La Défense métamorphose sa dalle
Le site de la Défense est en pleine transition. Alors que, depuis des années, il est aménagé pour devenir un morceau de ville à part entière, la crise sanitaire vient ébranler son fonctionnement. Aujourd’hui, différents chantiers s’enclenchent pour redessiner ses espaces publics et investir les espaces libres sous sa dalle.
Pourquoi cette transformation en profondeur des espaces publics à la Défense ? Quel impact à venir pour cet ensemble urbain ? Et de quelle manière cette mutation ambitieuse affirme une nouvelle approche pour ce quartier d’affaires ?
Un quartier rendu obsolète par la pandémie ?
Le quartier de la Défense est un des exemples les plus iconiques d’aménagement urbain respectant les principes de la Charte d’Athènes à travers la forme de la dalle urbaine. La caractéristique première de cette forme est de mettre en place une séparation verticale entre les fonctions urbaines et plus précisément entre les différents réseaux de circulation. La dalle de la Défense et ses bâtiments ont par exemple été bâtis au-dessus d’un échangeur routier, de parkings et de réseaux de transports en commun (métro et RER). Cette séparation permet alors d’organiser les flux et de mettre en place une vaste étendue dédiée aux piétons, préservée de la circulation automobile.
Un principe qui apparaît aux premiers abords comme adéquat dans une tendance urbaine où la voiture est de moins en moins la bienvenue. Pourtant, les quartiers sur dalle sont aujourd’hui fortement décriés, notamment à cause de leur faible accessibilité. En effet, la séparation des circulations crée une rupture physique préjudiciable avec le reste de la ville, tel un monobloc imperméable. Aussi, les dalles piétonnes peuvent mener à une désorientation des usagers, ce qui peut être le cas à la Défense où l’espace public, immense, représente 30 hectares. Différentes difficultés émergent alors, que ce soient en matière d’insécurité à cause du non accès des véhicules de police, ou d’entretien et de gestion des espaces, rendus difficiles et jusqu’à 30% plus coûteux qu’un sol dit naturel.
La critique majeure adressée aux dalles urbaines est la monotonie de leur forme, de laquelle découle une ambiance froide et un manque d’urbanité, symbolisé par exemple dans le film Buffet Froid de Bertrand BLIER en 1979. Face à tous ces défauts apparents, ne faudrait-il pas se débarrasser des dalles ? La dynamique des dernières années tend plutôt à transformer ces espaces issus du mouvement architectural moderne pour les inscrire dans les enjeux actuels et les adapter davantage aux attentes des citadins d’aujourd’hui.
D’ailleurs, la crise sanitaire a accentué la nouvelle donne urbaine. Durant le confinement du printemps 2020, tous les regards se sont tournés vers les quartiers d’affaires désertés, que partiellement réinvestis les mois suivants : l’Établissement public Paris la Défense indiquait une baisse de 40% de la fréquentation des bureaux par rapport à l’année précédente. Cette vacance s’est également accentuée jusqu’à atteindre 10.5% à la fin de l’année 2020, sous l’effet conjoint de la pandémie et de la livraison de dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux neufs et rénovés.
En quelques mois, le processus de remise en question de la pertinence de ces formes urbaines s’est accéléré, notamment sous le coup de la montée en popularité du télétravail et de la baisse de jauge dans les bureaux. Quelques orientations se dessinent alors pour l’immobilier d’entreprise, tout d’abord autour de l’idée de flexibilité. Une transformation qui s’inscrit à travers une évolution des baux commerciaux classiques avec l’apparition de formes plus souples, par la réduction de leur durée, la sous-location ou encore une occupation partielle des espaces. Le mobilier des plateaux de bureaux devient, quant à lui, plus modulaire afin de s’adapter aux tailles des équipes de travail et à l’intensité de l’activité, en plus de valoriser le travail collaboratif et la dimension sociale du travail.
Au-delà de ces spécificités, ce sont des enjeux de confort qui montent en puissance, avec l’accès à la lumière naturelle, la qualité de l’air et la présence du végétal qui sont également très prégnants aujourd’hui dans les aspirations et les attentes des salariés. Comme le souligne le sociologue Pierre VELTZ, “plus les choses deviennent télé-communicables et plus ce qui n’est pas télé-communicable, comme les relations directes avec autrui ou la qualité sensible des espaces qui nous environnent, prennent de la valeur”.
Plutôt que d’entériner leur animation, la pandémie actuelle renforce le besoin d’investir, aujourd’hui et dans le futur, davantage les espaces publics des quartiers d’affaires. L’Établissement public local Paris La Défense a bien pris en compte ses nouveaux enjeux et pilote différents projets pour transformer l’esplanade de la dalle… et même ses souterrains.
D’un espace de circulation à un espace de rencontre
40%. C’est le taux d’augmentation de l’investissement de la Défense dans ses espaces publics pour la prochaine décennie, avec pas moins de 30 millions d’euros qui seront destinés à l’aménagement de l’esplanade sous la forme d’un parc de sept hectares. Si ces milliers de mètres carrés sont déjà investis par un musée à ciel ouvert, par une programmation de plus de 350 événements annuels ainsi que par des usages plus informels, l’objectif est d’amorcer une nouvelle étape à travers l’embellissement de l’existant pour favoriser une appropriation plus apaisée de cet espace aux dimensions inédites.
Les premières phases de cette vaste opération, qui devrait s’étendre jusqu’à 2026-2027, ont déjà été lancées sous le nom de “Nouveaux Paysages”, avec 150 arbres plantés et 13 jardins hors sols aménagés sur une surface totale de 2 500 m². L’étape suivante consiste en l’aménagement de plusieurs espaces à vivre sur les 20 000 m² que constituent la place centrale avec comme volonté d’en faire le cœur du projet, entouré par les différentes œuvres déjà implantées. Ces espaces, au nombre de quatre, se matérialiseront autour de la place centrale. Cette dernière, rythmée de lignes et de légers détails incrustés, sera constituée de failles de brumisation durant l’été pour apporter aux passants un confort appréciable et indispensable en période estivale.
Aussi, la pelouse implantée au niveau de “l’arc déplacé” réalisé par Christine O’LOUGHLIN sera remise à plat et destinée à être investie par les usagers afin de se reposer et de se restaurer. Le second espace à vivre, du côté de “l’araignée rouge” sera également vert faisant écho par ses couleurs à la sculpture, et sera équipé d’un plus grand nombre d’assises. Dans une dynamique similaire, un jardin planté “tout en courbes” sera aménagé autour de l’œuvre de Miró. La dernière étape du projet se déploiera sur le terrain libéré par la destruction du mastaba situé en bordure de la verrière qui permet l’accès à la gare de la Défense, à travers une pelouse recouverte d’arbustes, d’érables et de cerisiers. On le voit, l’objectif est de dessiner des espaces appropriables, afin de faciliter le déploiement de nouveaux usages
D’autres espaces publics ont déjà été livrés au nord de la dalle, pour créer de nouvelles connexions avec le centre-ville de Courbevoie, à l’image de la place Zaha Hadid : ce parvis, composé de marches larges partiellement végétalisées, assure le lien entre la place des Saisons et le boulevard circulaire. Il constitue un exemple de la volonté de l’aménageur de connecter la dalle aux quartiers voisins. L’ambition qui transparaît est de faire de la Défense un quartier à vivre, en dépassant la monofonctionnalité tant décriée, autour d’espaces publics pensés pour être investis par les usagers.
Voyage au centre de la dalle : une reconquête de la ville sous la ville
Bien que les projets menés en surface de la dalle soient très ambitieux, l’opération la plus innovante menée par l’aménageur Paris La Défense est à explorer dans ses souterrains. Entre les différents réseaux, parkings et zones de livraisons, 20 000 m² sont encore inexploités, particulièrement entre l’esplanade et la place. Ces espaces, entremêlés avec les réseaux de l’ensemble du quartier et témoins de la construction progressive de la dalle, sont tombés dans l’oubli au fur et à mesure des décennies. Une aubaine pour l’Etablissement public local qui souhaite s’en saisir afin de proposer un espace ludique directement connecté avec “l’au-dessus”, comme l’illustre le concours de l’agence belge Baukunst.
Cliquez ici pour voir la vidéo “Promenons-nous dans les souterrains de la Défense” par l’AIGP
Le quartier de la Défense va donc encore “prendre de la hauteur”… mais cette fois vers le bas, à travers cinq grands espaces aux noms particulièrement marquants : “le plateau”, “la FNAC”, “les bassins”, “l’atelier” et “la cathédrale”. La programmation de ces lieux reste encore à définir précisément par l’agence Attitudes Urbaines, mais il est prévu d’y implanter des équipements sportifs, culturels, de commerces, restaurants ou de services. Une programmation qui fait écho à la volonté de métamorphoser cet ensemble urbain d’un “simple” quartier de travail à un véritable lieu de vie, puisque ces nouveaux espaces seront notamment dédiés à la culture et à l’événementiel, alors que la surface de la dalle incarnera davantage le rôle d’un parc végétalisé et convivial.
Mais quels seront les liens entre la dalle et les souterrains ? Une question essentielle à appréhender pour éviter de créer une coupure urbaine et d’attirer l’ensemble des publics et usagers, d’autant plus qu’en 2017, la première expérience de transformation de parking en espace d’exposition n’avait séduit que les entreprises implantées sur le quartier, pour l’organisation de leurs séminaires. Afin d’attirer les usagers vers ces souterrains jusqu’alors bien cachés, une promenade souterraine sera donc réalisée entre les cinq espaces. Accessible depuis le dalle par un belvédère prenant la forme d’un gigantesque anneau, elle permettra d’accéder à la cathédrale par un escalier, un escalator et des ascenseurs. Même si deux autres ouvertures seront implantées de part et d’autre du parcours, la problématique de l’accessibilité sous la dalle se pose et le travail de programmation reste capital pour s’assurer que les espaces souterrains fonctionnent de concert avec la dalle.
Souvent présentée dans l’imaginaire de la science-fiction comme la forme urbaine de régimes autoritaires post-apocalyptiques, la ville souterraine peut au contraire constituer une opportunité de développement urbain loin des images anxiogènes connues de tous. En plus de ses avantages évidents de résilience et de disponibilité, les propriétés thermiques des souterrains sont particulièrement remarquables. Leur température, comprise entre 12 et 13°C, facilite grandement le rafraîchissement en été et le réchauffement en hiver. L’architecte Dominique PERRAULT fait partie de ceux qui voient ces volumes comme une nouvelle frontière à conquérir, notamment à travers le projet que son agence porte à Séoul et qui fait écho aux évolutions de la Défense.
Dans le quartier bien connu de Gangnam, l’agence DPA sera l’architecte du futur pôle multimodal qui se déploiera dans le sous-sol de la ville à travers un centre commercial – comprenant des cafés, restaurants, galeries d’art et espaces de coworking – accessible par un large tunnel piéton intitulé Lightwalk. Ce passage sera marqué par une multitude de surfaces végétalisées et un éclairage naturel rendu possible grâce à une faille de verre. Il est prévu que la promenade lumineuse soit connectée à la surface, là où se déploiera le Green Land, un nouvel espace paysager qui accueillera des usages multiples en fonction des saisons : une foire au printemps, un cinéma en plein-air l’été, un festival en automne et du patinage sur glace en hiver. De plus, les nombreux arbres et fleurs plantés sur le site expriment également cette saisonnalité. À Gangnam comme à la Défense, l’attention portée à l’imbrication des espaces et leur complémentarité participe à amplifier leurs caractères publics et leurs rôles urbains, ce qui ouvre de nouveaux horizons à l’urbanité en surface et en sous-sol.
Vers une diversification des espaces publics dans les quartiers d’affaires ?
La pandémie mondiale aura permis d’accélérer les réflexions sur la métamorphose des quartiers d’affaires monofonctionnels en véritables destinations urbaines. Cette redéfinition passe de ce fait par une nouvelle réflexion de leurs espaces publics. Ces derniers, qui étaient à l’origine pensés comme des espaces de circulation, se transforment en espaces à vivre pour les salariés et les habitants, tout en liant le quartier à ses alentours, à l’image des transformations en cours à la Défense. Ce lien passe également par le renforcement de l’accessibilité de ces quartiers jusqu’alors déconnectés du reste du tissu urbain et par l’exploitation de nouvelles opportunités urbaines, y compris en souterrain pour les dalles urbaines qui en offrent l’opportunité.
Cette transformation des espaces publics, qui implique ici une revégétalisation et le développement d’une programmation culturelle et événementielle, répond donc aux nouvelles attentes des usagers, à la recherche de lieux de convivialité. Elle est également le marqueur d’une évolution plus profonde de ces quartiers originellement dédiés à l’activité tertiaire, où les immeubles de bureaux s’adaptent déjà aux enjeux actuels. De nouveaux horizons s’ouvrent alors pour les quartiers d’affaires et de bureaux en pleine mutation, y compris pour leurs espaces publics à investir et redéfinir !