La Cité Jardin : une recette encore d’actualité ?

La ville de Letchworth, première cité jardin de Howard.
25 Fév 2019

Concept né pour pallier les travers du Londres industriel du 19ème siècle, l’utopie réaliste de la cité-jardin a continué d’inspirer des projets d’après-guerre et semble être un modèle toujours autant d’actualité. Sans même le formuler ainsi, son esprit reste pourtant très présent au sein de nombreux projets immobiliers proposant une réponse entre ville et campagne.

Alors que la cité-jardin s’expose au Musée d’Histoire Urbaine et Sociale de Suresnes, nous interrogerons son succès et son avenir dans nos villes. Comment réintégrer son approche sociale et réinventer le modèle de la cité-jardin aujourd’hui ? Quels sont les nouveaux enjeux que révèle sa constante évolution ?

La ville de Letchworth, première cité jardin de Howard.

La ville de Letchworth, première cité jardin de Howard. Source : thehouseshop.com

La cité-jardin, naissance d’une utopie sociale et d’un idéal urbain

A la fin 19ème siècle, Londres ressemble à tout bon roman de dystopie : des familles ouvrières sans le sou, entassées dans une promiscuité imposée par la précarité, dans un univers étouffant et insécurisant. Symbole des dérives engendrées par l’industrialisation exponentielle, dont l’urbanisation croissante et non-maîtrisée est l’un des symptômes, divers savants se penchent sur cette problématique pour résoudre ce grand défi de la ville industrielle, celui de dépasser l’urbanisation indigne et de répondre aux besoins essentiels des populations.

Les intellectuels de l’époque, qu’ils soient médecins, sociologues, industriels, se creusent donc les méninges, débattent et imaginent une autre ville, celle permettant aux travailleurs d’accéder à un mode de vie plus digne, respectable et sain. Alors que de nombreux patrons se lancent dans des programmes d’habitats pour loger leurs salariés et créent des cités ouvrières proches de leurs usines, d’autres imaginent des modèles utopiques conceptuels pour un mieux vivre.

C’est dans ce contexte qu’est née l’idée d’une cité-jardin. Un modèle qui prend source dans différentes inspirations. D’abord, en puisant dans les écrits du docteur hygiéniste Benjamin Ward Richardson qui, en 1875, présente une ville idéale “Hygenia” tournée autour de la santé. Il y imagine un quartier avec des espaces verts, des maisons bien orientées et aérées, conçues en matériaux sains qui permettent la bonne santé des habitants. Il pense aussi à la construction d’hôpitaux et l’installation de cuisines et de salles de bain avec eau courante dans les logements. La montée des différents mouvements sociaux fait aussi émerger des idées nouvelles comme celles d’Edward Bellamy qui dessine une société égalitaire dans une uchronie en deux tomes. De son côté, le géographe libertaire russe Piotr Kropotkine propose une vision territoriale basée sur l’entraide et l’autosuffisance, rendant l’existence d’un État obsolète.

Riche de ces influences, Ebenezer Howard publie en 1898 “Tomorrow : a Peaceful Path of Real Reform” qui dessine un nouveau modèle urbain, celui de la “Garden City”, alias la cité-jardin, qui remporte un réel succès. Sans tarder, un an plus tard, la “Town and Country Planning association” fait naître l’ambition de concrétiser ce concept qui cherche à allier les avantages de la ville et de la campagne, décrit dans son principe des trois aimants comme l’idéal, et lance le projet de Letchworth.

Schéma des trois aimants : ville, campagne, ville-campagne

Schéma des trois aimants : ville, campagne, ville-campagne

La cité-jardin vectrice d’urbanité ?

Développées en France, le succès des cités-jardins s’explique en partie pour l’attention portée aux détails dans la conception, en somme tout le contraire des grands ensembles, qui répondaient eux à des grands principes mathématiques consistant à loger les masses. Une minutie qui a donc contribué à faire des cités-jardins des éléments de patrimoine architectural riche et le socle d’une identité forte pour les habitants. La cité-jardin s’adapte à son territoire, devenant vernaculaire, et prend en compte l’environnement dans laquelle elle s’intègre. À la différence des bâtiments modernes monotones, reproductibles, détachés de leur contexte paysager et urbain, la cité-jardin s’ajuste, se dessine en finesse. Ce soucis du détail permet de donner un caractère unique à chaque opération, de lui construire une identité propre, de le personnaliser, ce qui facilite le développement d’un sentiment d’appartenance de la part des habitants.

En cela, avec son traitement paysager qualitatif et ses singularités, la cité-jardin a permis le développement d’une urbanité, rendue aussi possible par la création d’espaces publics généreux dans certains quartiers. Il s’agit souvent d’une réponse urbaine en contraste avec la densité des grandes villes, donnant accès à un univers proche de la vie à la campagne. Exemple contemporain d’une réinterprétation de ce principe, “La rue e(s)t mon jardin” à Massy, imaginé par l’architecte Dominique Petermüller, tente de créer un quartier comme posé dans un grand jardin. Chaque logement possède un espace extérieur, les voiries sont conçues comme des prolongements de l’espace privé plus intime, ce qui diminue la frontière entre espace privé et public et le végétal est omniprésent. D’ailleurs, un jardin linéaire de 28 mètres de large a été créé et celui-ci se veut être le cœur du quartier, traversant différentes entités urbaines aux fonctions différentes.

Plan paysager du quartier d’Ampère à Massy ; Modélisation du quartier et de la Mail d’Ampère ; Modélisation du quartier et de la Mail d’Ampère ; Photo du quartier et de la Mail d’Ampère ; Photo de la Maille d’Ampère vue du ciel ; Coupe profil du Mail d’Ampère et des jardins traversants.

Plan paysager du quartier d’Ampère à Massy ; Modélisation du quartier et de la Mail d’Ampère ; Modélisation du quartier et de la Mail d’Ampère ; Photo du quartier et de la Mail d’Ampère ; Photo de la Maille d’Ampère vue du ciel ; Coupe profil du Mail d’Ampère et des jardins traversants.

Ce concept possède cependant quelques faiblesses, notamment celle de s’appuyer principalement sur ses espaces publics généreux afin d’impulser des liens sociaux et un vivre ensemble. Or, à son origine, le concept de cité-jardin cherche à transcender cette problématique en dépassant le simple caractère paysager par l’intégration d’équipements publics situés au centre de la ville, le cœur social d’un quartier. Ainsi, les parcs ne sont pas seuls à créer une urbanité riche en interaction sociale, s’y ajoutent des commerces, des équipements publics et espaces culturels, qui permettent la réalisation d’une utopie sociale que ce concept porte. Une approche de plus en plus au cœur de l’aménagement avec la création par exemple de conciergerie et de lieux hybrides, vecteurs d’une urbanité qui s’avère essentielle pour créer un quartier où l’on aime habiter.

Cité-jardin et écoquartier, des points communs ?

Finalement, la cité-jardin n’est-elle pas les prémisses du modèle d’écoquartier ? Si le concept de ville durable pousse la thématique écologique, elle ne réduit pas à celle-ci. Son modèle repose sur un équilibre entre différentes thématiques et une variété de critères, avec des enjeux contrastés tels que la gouvernance, la mixité fonctionnelle et sociale, le cadre de vie et l’environnement dans sa globalité.

Le cadre de vie est un élément essentiel dans la conception des cités-jardin, comme pour celle du Petit-Bétheny à Reims, sortie de terre en 2006. Implantée entre des voies de chemins de fer et des friches industrielles, afin de pour pallier à cet environnement peu favorable, son approche urbaine mise un traitement paysager original en créant un imaginaire autour des jardins : jardins des “saveurs”, jardin des “senteurs”, jardin des “sons” et en protégeant le quartier avec des lignes arborées le long des voies ou des talus.

Cette démarche se retrouve aussi dans les écoquartiers, comme celui des Rives de la Haute-Deûle à Lille qui s’apparente à la cité jardin par son organisation autour de “la grande pelouse”, un ensemble paysager relié à des parcs et des espaces publics ouverts à tous, telles que la voie-jardin ou encore les allées piétonnes. Mais l’écoquartier va plus loin et se démarque par son approche écologique très poussée qui porte qui intègre la phytoremédiation permettant la dépollution des sols, des eaux usées et à purifier l’air. Une mesure qui peut s’apparenter à l’objectif hygiéniste des cités jardins qui cherchait à améliorer la santé des habitants.

Dans les cités-jardins, l’objectif de la mixité sociale est aussi centrale que dans le concept d’écoquartier, l’aspect social étant l’un des piliers du développement durable. Sur cette question, la cité-jardin de Stains est particulièrement ambitieuse pour son époque. Construite par Eugène Gonnot et Georges Albenque de 1921 à 1939, étalée sur 27 ha, elle abritera 7 000 personnes. Tandis que les rues secondaires accueillent des pavillons individuels et l’avenue principale des immeubles collectifs, quelques petites industries et commerces de proximité sont implantés en rez-de-chaussée. Autre point fort, sur la place principale du quartier sont installés des équipements pour le profit de tous, comme la maison commune, des bains douches populaires et des lavoirs publics, des jardins, des potagers coopératifs, des équipements sportifs comme une piscine et une salle de culture physique, mais aussi des équipements culturels avec une salle de spectacle et même un cinéma.

Cité jardin de Stains ; Ecoquartier des Rives de la Haute-Deûle ; Eco-quartier des Noés à Val-de-Reuil ; Cité-jardin du Petit-Bétheny à Reims

Cité jardin de Stains ; Ecoquartier des Rives de la Haute-Deûle ; Eco-quartier des Noés à Val-de-Reuil ; Cité-jardin du Petit-Bétheny à Reims

Ressort alors cette idée de village, dont l’éco-quartier des Noés à Val-de-Reuil s’empare. D’ailleurs, la volonté de la mairie a été de créer un village dans la ville, dans l’idée de faire naître un sentiment d’appartenance et de vivre-ensemble. D’ailleurs, chaque éco-hameau propose une place intermédiaire pour se retrouver et favoriser les liens sociaux, et la présence de jardins familiaux, de l’horticulture ou de vergers renforcent le voisinage. Par ailleurs, la mixité est très visible avec des formes qui varient entre collectif et tissu pavillonnaire, entre typologies de l’accession ou location, entre social et privé. C’est aussi l’image d’un mode de vie sain, apaisé, sécurisant qui se reflète dans cette organisation.

Ainsi, les ponts entre le concept de la cité-jardin et des écoquartiers sont nombreux. L’utopie d’Howard est une source d’inspiration qui donne à voir un modèle davantage social, qui dépasse et transcende les solutions techniques souvent davantage mise en avant dans les projets d’écoquartier, avec des objectifs énergétiques et de conception bioclimatiques forts. La cité-jardin, quant à elle, défend une approche plus contextuelle, qui réinterprète le contexte local, propose un morceau de ville entier avec une approche sociale ambitieuse.

Une utopie difficile à atteindre qui a encore du sens

La cité-jardin de Howard propose donc un modèle urbain encore d’actualité qui inspire toujours, notamment car il porte en lui une approche urbaine globale en faveur d’un mieux vivre partagé. Mais finalement, ce n’est qu’une partie du concept initial qui a perduré dans les imaginaires. En effet, sujet à une appropriation souvent partielle, certains autres points plus complexes à mettre en place de cette utopie ont été oubliés. Le modèle urbain d’origine a été réinterprété partout dans le monde, y compris en France, et ne revêt pas exactement la forme du modèle urbain d’origine.

Même si les interprétations du modèle divergent en fonction du lieu et de l’époque dans lequel celui-ci prend vie, un esprit commun perdure. Cette âme de la cité-jardin réside dans son objectif premier : lutter contre la crise du logement en proposant des logements sociaux de qualité, un accès à la nature et des espaces permettant le développement d’une vie sociale, pour assurer de bonnes conditions de vie aux habitants. Cette utopie urbaine semble pousser les acteurs à repenser la conception du logement social et à intégrer une approche urbaine forte. Pour autant, les autres concepts mobilisés par Howard et exprimés dans son idéal de “Garden City”, renaissent aujourd’hui sous différentes formes.

Le plus évident est celui de l’agriculture urbaine. En effet, dans son idée d’origine, il envisageait la création d’une ceinture agricole autour de la ville, notamment pour permettre une autosuffisance alimentaire et un accès facilité à la nature. Une idée qui fait son bout de chemin depuis quelques années avec l’essor des jardins partagés et familiaux, et l’exemple de Detroit qui a réussi une renaissance en visant un développement par l’autosuffisance alimentaire. On peut aussi citer des exemple plus loufoques, comme la ferme urbaine géante et autosuffisante, Dragon fly de Vincent Callebaut, une utopie où chaque habitant devient producteur de ce qu’il consomme. Plus réaliste, le projet “Terres de Versailles” propose aussi une cité fertile autour d’une éco-ferme de quartier dotée des lieux de production et de formation, mais aussi un système de circuits-courts participatifs et ouverts aux habitants.

Quartiers résidentiels dans un jardin ; La place boisée avec la Maison de l’économie participative ; Le jardin Nourricier ; Coupe en plan du projet Terres de Versailles

Quartiers résidentiels dans un jardin ; La place boisée avec la Maison de l’économie participative ; Le jardin Nourricier ; Coupe en plan du projet Terres de Versailles . Crédit : Chroniques Architecture

A l’origine, le modèle de la cité-jardin proposait aussi une maîtrise publique du foncier qui permettait de limiter les effets de la spéculation, pour garantir des loyers modérés et un accès à tous au logement. Une thématique que l’on voit revenir avec des concepts comme le foncier solidaire qui propose une dissociation du sol et du bâti. C’est une solution qui limite la spéculation foncière et dont différentes expériences sont menées actuellement en Bretagne.

De plus, fervent défenseur d’une forme d’équité dans l’économie, Howard proposait de maîtriser l’implantation des entreprises sur l’espace urbain pour préserver les citoyens de l’installation d’activités nocives pour les citoyens. Ainsi, la présence ou non d’une entreprise dans la ville est validée ou refusée par les habitants via la municipalité. Une dynamique qui peut s’apparenter à l’essor d’outils participatifs, tels que C ma rue ou Made in vote, qui permettent aux citoyens de choisir les commerces ou services de proximité qu’ils souhaitent voir s’installer près de chez eux.

On le voit, ce concept imaginé à la fin du 19ème siècle reste plein de ressources et continue d’éclairer sur les enjeux d’aujourd’hui. Ses facettes sont riches et plurielles. Encore faut-il ne pas créer des communautés exclusives, cultivant un entre-soi, et veiller à ce que l’utopie s’intègre dans une logique d’ensemble, connectée au monde réel, pour dépasser l’autarcie et impulser un renouveau dans l’urbanisme actuel en plaçant le mieux vivre, le vivre ensemble, la santé et le droit à la ville au centre de nos projets utopiques contemporains.

LDV Studio Urbain
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