La Cidade Matarazzo, un nouvel emblème pour São Paulo ?

Mur descriptif sur les constructions de 2016 de la Cidade Matarazzo, avec la phrase suivante : “Nous sommes en construction pour revitaliser ce patrimoine de la ville de São Paulo et donner une continuité à son histoire.
4 Juil 2019

Alors que son inauguration est prévue pour 2020, la Cidade Matarazzo, à São Paulo, développée par Alexandre Allard, prévoit déjà un programme de grande ampleur aux multiples ambitions. Parc de 45 000 m², nouveau hub pour la ville, projet responsable, durable, social, prônant un transfert de compétences pour un programme 100% brésilien, ses missions sont diverses et prometteuses.

vue du ciel du complexe de la Cidade Matarazzo

vue du ciel du complexe de la Cidade Matarazzo © Group Allard

Avec 30 millions de visiteurs attendus par an ou encore ses 4 000 emplois créés à prévoir, cette vision, entre génie du lieu, luxe et réinsertion sociale, interroge le sens des projets d’une telle envergure : peuvent-ils répondre à des problématiques urbaines qui perdurent depuis déjà de longues années dans certains pays du sud ? La Cidade Matarazzo peut-elle coïncider des enjeux sensibles au Brésil et à priori opposés telle que l’inclusion des plus pauvres exclus de la société, tout en offrant des services dignes des distractions des classes les plus aisées ?

L’authenticité du lieu, cette ressource unique exploitée pour développer l’identité des projets urbains

Implanté sur le site de l’ancien hôpital Matarazzo, sur les hauteurs de la ville de São Paulo et à proximité de l’Avenida Paulista, le site propose un cadre historique et paysager inédit, source d’inspiration et de création de valeur dans l’objectif de valoriser le succès du futur projet.

La végétation luxuriante est un des éléments de ce paysage qui inspire la vision du projet pour créer un fil conducteur entre ses différentes composantes. S’ajoute à cela la nostalgie d’un Brésil d’avant le développement urbain de masse. Avant cela, les résidences étaient en bois, mais, elle ont laissé place aujourd’hui à de grandes tours grises et désertes. Cette friche, située en plein cœur d’une mégalopole brésilienne, mue par le développement commercial et connue pour les affaires, demeure comme une résistance à la modernité. Pour sauvegarder une partie de cet héritage, un jardin “à l’italienne” est imaginé, ce qui rappelle la famille Matarazzo, avec une originalité, celle d’un jardin dont la nouvelle végétation pousse naturellement, sans la main de l’homme, comme la nature qui avait progressivement repris ses droits sur l’ancien hôpital de plus de 100 ans d’existence et laissé en ruine depuis plus de 20 ans. Les lianes en béton entrelacés, de l’architecte Rudy Ricciotti, conçues sur la façade de la Maison de la Créativité , en sont un exemple d’inspiration de l’ancien hôpital en friche.

Coupe d’une des façades de la Maison de la créativité par Rudy Ricciotti

Coupe d’une des façades de la Maison de la créativité par Rudy Ricciotti © Group Allard

L’identité du lieu, de cette résistance face à la ville dirigée par la croissance économique, porte le programme par la naissance de ce projet, d’abord culturel et dotée de nouvelles fonctions comme des salles de spectacles, une salle d’exposition, un auditorium, un théâtre ou un creative club ainsi qu’un espace réservé au jeune public. Avec une programmation minutieuse établie par les commissaires d’exposition Marcello Dantas et Marc Pottier, c’est aussi un laboratoire de création, d’innovation incitant la recherche et le projet. A côté de cette offre culturelle, les couloirs, les halls, les jardins et les terasses de l’hôtel Rosewood seront envahis par la créativité toute droit échappée de l’imaginaire de Jean Nouvel et de Philippe Starck.

Le projet se veut donc contextuel avec le développement d’un récit, d’une narration, d’un discours. C’est en partie sur ce concept pionnier à São Paulo qui fait se combiner la préservation des bâtiments historiques de l’hôpital à la construction de bâtiments modernes que la poésie du lieu veut transparaître. Jusqu’à aujourd’hui ces deux éléments urbains ne se mélangeaient pas. Dans la ville, le centre historique se différencie du reste des bâtiments plus contemporains qui bordent les grandes avenues.

Mur descriptif sur les constructions de 2016 de la Cidade Matarazzo, avec la phrase suivante : “Nous sommes en construction pour revitaliser ce patrimoine de la ville de São Paulo et donner une continuité à son histoire.

Mur descriptif sur les constructions de 2016 de la Cidade Matarazzo, avec la phrase suivante : “Nous sommes en construction pour revitaliser ce patrimoine de la ville de São Paulo et donner une continuité à son histoire.” ©wikimedia

Ainsi, ce paysage vernaculaire et cette identité culturelle développée offre une expérience urbaine singulière qui contribue à renforcer la matérialisation de l’utopique ville imaginée par Alexandre Allard. Cet univers rêvé prend forme pour surprendre et enchanter le visiteur, ce qui n’est pas sans rappeler le recyclage urbain qui se fait actuellement dans les villes européennes. Cette manière d’appréhender l’existant sert de support solide offrant de nombreuses opportunités pour développer un tel projet.  C’est le départ d’un projet engagé, allant du politique et de l’économique au social. Mais alors, quels sont les leviers de ce projet pionnier qui veut réinventer les modes de faire urbain à São Paulo ?

Le nouveau luxe : quand le commerce Paulista se réinvente et entre dans l’ère du “phygital”

La ville de São Paulo est connue pour son histoire commerciale et le projet s’en accommode plutôt bien en proposant une offre de commerces riche conçue autour d’une expérience culturelle et paysagère unique. Tel un village organisé autour d’un complexe hôtelier de 150 chambres et 122 suites entre une ancienne maternité et une tour conçue par Jean Nouvel, le site comprendra par exemple, 69 maisons, un centre d’art, des commerces, un marché organique et 34 restaurants dirigés par des chefs brésiliens. Le but est de révéler le dynamisme de la ville en proposant un lieu de création qui soit également un lieu d’expériences, stimulant l’activité économique.

Ainsi, le projet mise aussi sur l’offre commerciale avec la présence d’une plateforme logistique automatisée en sous-sol permettant des livraisons ultra-rapides dans la ville, mais aussi des commerces de grands renom, qui s’orientent vers la personnalisation et les services afin de plaire à un public qui s’est éloigné des commerces physiques avec le développement du numérique. L’enjeu est donc d’attirer les consommateurs vers une expérience physique qui s’adapte à son contexte avec un concept contextualisé incluant le digital. Le projet veut ainsi entrer dans le “phygital” d’après Anthony Khoi, expert du secteur du retail qui participe au développement du projet. Le numérique est ainsi en synergie avec les activités culturelles et artistiques proposées et l’acte d’achat ne doit pas se substituer sinon être un accessoire à l’expérience vécue.

Le projet va encore plus loin dans l’expérience en proposant un système de collecte des données pour adapter le parcours du client par l’usage de l’intelligence artificielle, un sujet qui questionne encore face aux menaces du numérique et à la surveillance rapprochée des mouvements et des comportements.

Si le projet prône également le développement économique, de manière à première vue contradictoire avec cette identité de résistance que véhicule l’hôpital de la Cidade Matarazzo, c’est qu’il défend également une forte création d’emplois. Pour cela, il a pour ambition d’accueillir l’excellence de l’artisanat brésilien afin d’empêcher leur délocalisation. Le programme prévoit l’intégration de 69 nano-shops pour l’artisanat brésilien. Il s’agit aussi de travailler la construction des édifices avec les ressources propres du pays comme le bois, la pierre, le béton, le tissu mais aussi avec ses artistes et ses artisans. Si ce savoir-faire brésilien a disparu, l’ambition est alors de retravailler cette mémoire. La Cidade Matarazzo s’est aussi un peu conçue comme un laboratoire en vue d’inciter le dialogue entre les artistes et les artisans.

L’exercice est de proposer une nouvelle façon d’appréhender le luxe et de renouveler l’idée du commerce pour combattre les effets néfastes de la mondialisation. Plus de shopping mall mais un retour au travail de la main, vers le talent et la création, une autre manière d’offrir une expérience client atypique et haut de gamme, qui se veut aussi plus locale et éthique.

Le projet se veut également un nouveau lieu de rencontres et d’échanges impulsé par la fusion de diverses fonctions, entre culture, divertissement et achat. C’est cette expérience unique qui veut inciter les gens à sortir de chez eux pour découvrir, se connaître, se rencontrer favorisant un brassage de culture, de découverte.

L’enjeu est de faire rayonner le projet à l’échelle mondiale afin qu’il devienne une référence culturelle incontournable et qu’il soit à São Paulo, une destination touristique à ne pas rater. La Tour Rosewood de Jean Nouvel marque le projet dans cette direction avec la construction d’un complexe hôtelier 6 étoiles de 56 000 m².

Perspective sur la "Torre Mata Atlântica" conçue par Jean Nouvel

Perspective sur la « Torre Mata Atlântica » conçue par Jean Nouvel © Group Allard

Un projet économique innovant qui porte une responsabilité sociale et environnementale

Mais la Cidade Matarazzo ne veut pas se limiter aux enjeux économiques. Au contraire, l’ambition est de prendre le contrepied des anciens projets urbains réalisés lors des trentes dernières années, connus pour avoir donné naissance au paysage urbain de São Paulo, dense, bétonné et congestionné par le trafic routier qui engendre nuisances sonores, visuelles et olfactives. Pour faire rupture, le chantier s’inquiète de préserver l’environnement. Pour cela, un grand projet proposé par le paysagiste Benedito Abbud est dédié à la nature. Il s’agit d’une ville forêt avec la plantation de 10 000 arbres, représentant une végétation diverse et luxuriante sous un jeu de formes et de textures. Ce travail paysager dessinera ainsi des espaces distincts et des perspectives originales.

En relation avec cette démarche environnementale, Alexandre Allard veut “promouvoir les produits organiques locaux”, que ce soit par l’intégration de petites boutiques ou des espaces commerciaux pour les grandes marques de mode ou de cosmétiques. En parallèle, la création d’emploi qui découle de ce projet, avec 2 800 professionnels et 4 000 artisans brésiliens, vient de cette vision de responsabilité sociale qui s’y rattache. Pour favoriser l’intégration sociale, 40 000 visiteurs sont attendus chaque jour sur le plus grand marché organique imaginé pour São Paulo, qui prendra place non loin du Retail Village. Ce marché créé en partenariat avec la Ville et une ONG de l’agriculture urbaine a pour finalité la réinsertion par le travail de personnes à la rue avec 400 fermes urbaines impliquées.

Perspective 3D des espaces extérieurs où se localisera le marché organique de la Cidade Matarazzo, imaginé par les frères Campana

Perspective 3D des espaces extérieurs où se localisera le marché organique de la Cidade Matarazzo, imaginé par les frères Campana © Group Allard

Par ailleurs, pour atteindre cette vision, il a été question de former ces 6 800 professionnels par 40 ingénieurs européens et les Ateliers de France. L’ambition est de créer des bâtiments, notamment la tour de Jean Nouvel, à partir de béton BFUP, une technique qui existe au Brésil mais qui n’est pas maîtrisée par les acteurs Brésiliens de la construction. C’est là qu’intervient un “transfert de compétences” qui se justifie, selon l’architecte Rudy Ricciotti, par la crise économique actuelle que vit le Brésil lui interdisant toute importation. L’ambition est donc de transférer ce savoir-faire à une usine identifiée dans la région de São Paulo.

Demeurant un lieu privé qui se veut malgré tout majoritairement ouverte à tous les publics, la Cidade Matarazzo est accessible par l’une des artères les plus connues et parcourues de la ville, l’Avenida Paulista. Plus d’un million de piétons l’empruntent chaque jour. Pour renforcer cette accessibilité, la rue São Carlos Do Pinhal, qui traverse le site, sera enterrée et recouverte par un parc urbain afin de faciliter l’accès au futur projet. Et pour aller plus loin dans la recherche de racines brésiliennes, le programme a fait appel à un artiste, Tupi, totem du village qui veut mettre à l’honneur la diversité culturelle du Brésil. La sculpture est multicolore… L’ultime emblème pour faire de la Cidade Matarazzo une vitrine de la mixité brésilienne qui redorera l’attractivité de la ville en lui insufflant une identité nouvelle.

Tel un jardin d’Eden, au cœur de São Paulo, le projet de la Cidade Matarazzo a tout prévu pour réussir à concilier un programme à la fois économique porté par une ambition sociale et environnementale. Sa proposition allie avec précision retour sur investissement, réinsertion, mixité, développement économique pour la ville et qualité de vie pour les habitants.

Même si le projet est porté par une communication exceptionnelle auprès de professionnels réputés et même si la philosophie du programme qui se veut 100% brésilien face à un projet initié et conçu par une majorité d’experts venus d’Europe peut s’avérer un peu maladroite, l’ambition reste de proposer une nouvelle dynamique à ce quartier afin de redonner un souffle économique à la ville. L’envergure de ce projet n’est pas sans rappeler la philosophie des appels à projets innovants français comme Réinventer Paris, Dessine Moi Toulouse ou Imagine Angers, qui se développent un peu partout dans le but de repenser l’aménagement et de se diriger vers de nouveaux modes de vie au sein d’un quartier.

Dans cette même mouvance, l’envergure de cette programmation prévoit ainsi de relancer la ville de São Paulo, qui pourra sans doute stimuler sa croissance tout en intégrant, grâce à sa stratégie urbaine inclusive, une plus large partie de la population.

LDV Studio Urbain
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