La 3D : prochaine étape de l’agriculture urbaine ?
L’agriculture urbaine est limitée par le manque d’espace inhérent à la ville. Une solution peut émaner d’une innovation à la fois simple et révolutionnaire : cultiver la terre en trois dimensions. A Nairobi, l’idée se développe avec succès.
C’est au hasard d’une traversée du bidonville de Mathare que nous découvrons ce mode d’agriculture urbaine original. Les sacs de jute font un mètre de haut et semblent exploser de toutes parts, la toile étant transpercée de dizaines de pousses verdoyantes. Suivant l’endroit, les sacs sont organisés comme un jeu de dames bien ordonné sur un grand terrain ou installés de manière plus aléatoire sur une petite parcelle. Souvent, un groupe de jeunes en tee-shirts verts s’activent autour de ces jardinières surprenantes.
Un sac simple et ingénieux
Il est fréquent à Nairobi de trouver, sur le bord des routes, des parcelles d’horticulture où les plantes sont cultivées dans des sacs, prêts à être vendus, le plus souvent à des promoteurs, pour fleurir les nouveaux jardins privés. Les sacs de Mathare sont d’un genre très différent. Beaucoup plus volumineux, foisonnants, ils accueillent des plantes alimentaires.
Ruben est en charge de coordonner les jeunes en tee-shirts verts, volontaires dans le service civique kenyan (le National Youth Service). Il nous explique : « Le sac en toile de jute fait environ un mètre de haut pour 50 cm de diamètre. Il contient 3 couches concentriques : de la terre, du compost et, au centre, une colonne de graviers pour drainer l’eau sur toute la hauteur. On plante les pieds sur les côtés et sur le dessus du sac. Comme ça, on démultiplie la surface de culture. »
Idée toute simple et néanmoins révolutionnaire : elle permet une économie de surface massive. Sur un mètre carré de surface au sol, on peut cultiver l’équivalent de 5 à 10 fois le même nombre de pieds qu’en culture traditionnelle. Grégoire Schira, spécialiste du développement en Afrique liste les avantages d’une telle innovation : économie de terre et d’eau, plus grande efficacité de la main d’œuvre et réduction de la pénibilité du travail, les cultures étant plus accessibles qu’en plein champ.
Une fois les plantes arrivées à maturité, on récolte, on ouvre le sac en défaisant le lacet sur le côté, on enrichit la terre avec le compost et on peut recommencer. Un sac peut facilement résister dix ans à l’usure. C’est du solide !
Ce mode de culture est applicable à une grande variété de plantes et de légumes : oignons, tomates, choux feuille, tubercules, carottes, courgettes…
Une agriculture urbaine source de lien social et de fierté
Grégoire Schira a fait partie des premiers à développer ce type de culture. En 2008, les violences post-électorales font plus de 1 500 morts dans le pays et entraînent un début de pénurie, les prix des denrées alimentaires s’envolent. Dans un contexte très tendu, l’ONG Solidarités Internationales développe alors ces sacs de culture dans le quartier de Kibera. L’objectif était multiple : d’un côté, développer l’autonomie alimentaire par la production et la distribution locales, d’un autre, renforcer le lien social en engageant des jeunes et des femmes dans l’agriculture urbaine communautaire. Dans une Afrique encore instable politiquement, la question de l’approvisionnement urbain est essentielle. « En 2025, la moitié de l’Afrique habitera dans les villes, mais l’approvisionnement vient de zones rurales, parfois reculées. Et, en cas de crise, cet approvisionnement est coupé, d’où l’importance de développer massivement l’agriculture urbaine. Enfin, luttant contre les préjugés qui stigmatisent les habitants des bidonvilles dans l’opinion publique (avec ses stéréotypes : criminalité, paresse…), une telle initiative permettait de valoriser le savoir-faire agricole qu’ils ont hérité de leurs origines rurales. »
Cependant, Grégoire nous prévient : « Il faut faire attention à ne pas enjoliver les histoires. Pour le moment, l’impact de ce programme est similaire à celui des jardins ouvriers en France : une fois par semaine, une famille va cultiver son lopin et aura la fierté de consommer ce qu’elle a produit. […] D’ailleurs, les femmes des bidonvilles cultivent le plus souvent dans ces sacs le chou feuille connu ici sous le nom de « Sukuma Wiki », qui signifie » coup de pouce à la semaine » en swahili. »
On est donc, actuellement, encore loin de l’indépendance alimentaire.
Un modèle pour l’agriculture intensive à petit échelle
Afin d’approfondir l’enquête, direction Tika, une petite ville à 60 km au Nord de Nairobi. C’est là que l’ONG Real Impact développe, depuis 2009, la recherche expérimentale sur ce nouveau mode de culture afin d’aider à son adoption massive au Kenya et à l’international. La diffusion du modèle de Real Impact pourrait être déterminante dans le chemin vers l’autonomie alimentaire des populations.
Sur le flanc d’une colline verdoyante, l’ONG s’attelle à développer un système de production intensive répondant aux besoins des fermiers locaux. Julia et Florence nous font faire le tour de cette ferme expérimentale. Jardins verticaux, cultures d’insectes et de vers, clapiers à lapin…Real Impact travaille sur le cycle et l’interdépendance des ressources et a développé un prototype de ferme fonctionnant intégralement en cycle fermé, sans intrants, sur seulement un demi-hectare de terre. L’urine des lapins est utilisée pour produire du fertilisant et leurs excréments sont donnés aux vers qui les transforment en compost utilisé pour la croissance des plantes. L’idée est de développer un modèle d’agriculture intensive à une échelle pertinente pour les petits fermiers locaux.
Le modèle de l’agriculture en sac vertical est fondamental dans ce projet. Sur 1 m2, il permet de cultiver 110 pieds (100 sur le coté, 10 sur le dessus), au lieu d’une vingtaine en temps normal. Outre l’économie d’eau, de pénibilité et d’espace déjà évoquée, le sac présente un autre intérêt du point de vue des cultures. Comme la majeure partie de la terre est couverte, cela évite aux mauvaises herbes de pousser autour et donc d’entrer en compétition pour les ressources avec la plante cultivée. En revanche, cela demande une grande attention de la part du cultivateur car, en intensifiant la production, on augmente l’impact des insectes nuisibles et des diverses maladies.
Pour permettre de développer cette technique avec rigueur, Real Impact organise régulièrement des ateliers. Pour toucher le plus grand nombre de personnes elle commercialise par ailleurs des sacs de divers formats (40 et 100 trous). De son côté, le service civique du Kenya emploie depuis 2015 plusieurs centaines de jeunes pour développer et entretenir ces jardins de culture appelés « chamba », notamment dans les zones d’habitat informel de la ville.
En apparence plus basique que les utopies de fermes verticales, ce type de culture « en 3D » offre une option à la fois flexible en terme d’espace et accessible à tous, notamment aux personnes à mobilité réduite. Serait-ce l’étape décisive vers le développement d’une agriculture urbaine réellement démocratisée ?
Vos réactions
Quelle belle idée, toute simple et riche de promesses.
espérons qu’elle évoluera en douceur, sans trop de bruit, pour ne pas déchainer les envies ou les freins des grands ordanateurs d’une agriculture trop organisée et tournée vers le profit des GRANDS.
Bravo en tout cas et merci.