Kingersheim, exemple de co-construction citoyenne à haut potentiel d’essaimage

© Tzido / Getty Images
3 Mai 2022 | Lecture 3 min

Depuis plus d’une vingtaine d’années, la commune de 13 400 habitants de Kingersheim, dans le Haut-Rhin, expérimente des manières alternatives de faire vivre la citoyenneté au cœur des décisions municipales. Elle est aujourd’hui une référence en termes de démocratie participative au point d’en devenir un exemple emblématique pour d’autres communes, françaises et étrangères.

Comment permettre à la démocratie d’intervenir au cœur de la fabrique urbaine ? Si l’implication des citoyens dans ce contexte ne semble pas systématique sur tous les territoires, elle est parfois, au contraire, une condition centrale pour garantir une certaine idée d’urbanité à l’échelle communale. C’est le cas en particulier à Kingersheim, en Alsace, qui se dessine ainsi comme une élève modèle de l’urbanité à la française. Située en banlieue proche de Mulhouse, dans le Haut-Rhin, la commune est devenue un emblème de la participation citoyenne. Longtemps peu urbanisée au profit de nombreux champs et gravières qui constellaient autrefois la commune, Kingersheim a connu un gain de population du simple au double entre les années 1960 et 1980. Aujourd’hui plutôt résidentielle, la commune de 13 400 habitants « est en pleine transition écologique et démocratique », commente Laurent Riche, maire de la ville depuis 2020.

Placer les citoyens au cœur de la décision

« L’idée est de placer le citoyen au cœur de la décision, mais aussi en amont », continue-t-il. L’élu entend en effet prolonger le travail déjà initié par le précédent maire, Jo Spiegel, dont il était d’ailleurs adjoint jusqu’à sa propre élection. La volonté était alors « d’associer les habitants à l’enrichissement de la délibération grâce à leur expertise d’usage », permettant ainsi de « les faire cheminer et grandir », intellectuellement et ensemble. Si la formule de co-construction et de délibération participative développée depuis presque 30 ans a légèrement évolué depuis ses premiers pas, « tout est parti d’une conviction », poursuit l’élu kingersheimois. « On ne voulait pas donner rendez-vous aux habitants uniquement tous les 6 ans [pour les élections municipales], même s’ils s’en étaient accommodés. On a donc décidé avec Jo Spiegel de sortir de ce format démocratique très descendant, depuis les élus vers les citoyens, et qui est encore très présent en France ».

C’est alors que depuis le milieu des années 1990, les pouvoirs publics ont progressivement expérimenté de s’extraire du cadre institutionnel pour aller questionner les citoyens directement sur le terrain, afin de « les interroger sur leurs espaces de vie, sur leur quartier, sur leurs projets dans la ville », précise Laurent Riche. En incorporant une méthodologie de plus en plus robuste ainsi qu’une ingénierie de la participation, l’ambition des élus est ainsi de toucher le plus grand nombre de participants possible. Pour cela, le maire de Kingersheim insiste sur l’importance de bien cadrer les réflexions qui seront menées dans les différents projets : « fixer un périmètre sur ce qui est débattu permet de structurer le travail des élus ainsi que des équipes administratives et techniques, sans perdre de temps sur les questions de fond ».

Une démarche qui s’étend à l’échelle de l’intercommunalité

Par son ampleur d’abord, mais aussi par sa durée, le premier projet emblématique de la démarche de co-construction développée à Kingersheim, aux yeux de l’élu, reste certainement la révision du Plan local d’urbanisme (PLU) qui a démarré en 2010, pour une durée de 6 ans. « C’est certainement le projet le plus riche en termes de vécu parce qu’il s’est passé beaucoup de choses et avec beaucoup de personnes différentes », poursuit le maire. Mais depuis 2019, le PLU s’est étendu à l’échelle de l’agglomération et n’est alors plus sous la seule houlette de Kingersheim. Devenu ainsi « intercommunal », le PLU s’inscrit pourtant dans une aire urbaine plutôt favorable à la co-construction. « On a convenu avec l’agglomération de Mulhouse que les communes pouvaient avoir leur mot à dire grâce à une charte qui nous permettait de continuer notre travail participatif », explique Laurent Riche. Ce genre d’accord a ensuite pu être juridiquement valide grâce à l’adoption de la loi Engagement et Proximité de décembre 2019, permettant alors aux kingersheimois de poursuivre leur engagement dans la construction de leur ville.

« Maire-animateur » versus « maire-bâtisseur »

La démarche de co-construction se fortifie donc depuis plusieurs années et la méthodologie appliquée se précise. Après avoir convié tous les citoyens et les experts par voie de presse locale ou par d’éventuelles alertes numériques, une réunion publique ouvre le bal des réflexions afin de mettre tout le monde au même niveau de connaissances sur les problématiques et les termes usités. Si les équipes de la Ville sont présentes aux rencontres publiques, le maire insiste néanmoins sur l’importance de veiller à ce que « le collège des habitants soit toujours majoritaire ». Si ce principe n’est pas respecté, l’élu peut alors décider de « ne pas embarquer tout le monde » dans l’aventure. « C’est un principe clair et connu pour que les gens ne se sentent pas phagocytés », poursuit l’intéressé.

À la fin de la réunion publique, place au débat, en veillant à ne pas s’écarter du « périmètre démocratique », pour reprendre le terme de Jo Spiegel et encore cher à Laurent Riche. Cela signifie que « l’aboutissement du travail est la résolution d’un problème particulier », explique-t-il. Plutôt que d’aborder toutes les problématiques qu’une rue peut, par exemple, présenter, le principe est alors de ne se concentrer que sur l’une d’entre elles, sans pour autant en occulter les autres, mais en gardant à l’esprit de répondre à la question initialement fixée. En résolvant ainsi une problématique précisée dès le début du travail, tous les participants, équipes de la Ville comprises, sont conscients de l’objectif collectif et peuvent ainsi réfléchir ensemble dans une direction commune. « Il faut que l’élu accepte de prendre du recul et de recueillir la parole des habitants. Je me considère plus comme un maire animateur que comme un maire bâtisseur ou dirigeant », souffle enfin Laurent Riche.

Cette démarche de recul et de neutralité s’exprime non seulement dans le partage avec les habitants, mais aussi en amont des réunions. Il est alors important d’éviter de biaiser la réflexion par une éventuelle solution qui serait implicitement mentionnée dès le titre de la réunion. Par exemple, lors d’un projet concernant les économies de budget et d’énergie, la mairie souhaitait trouver un titre neutre pour lancer la réunion : « plutôt que d’évoquer immédiatement l’extinction nocturne des lumières, nous avons préféré parler de la thématique “éclairer juste » ».

mairie de Kingersheim © Wikimedia Commons

mairie de Kingersheim © Wikimedia Commons

Toucher un public plus large

Malgré les efforts produits par la commune pour inviter ses citoyens à participer à la fabrique de la ville, Laurent Riche admet l’existence d’axes d’amélioration dans ces démarche de co-construction. « Quoi qu’on fasse, on n’a pas assez de participations » remarque-t-il notamment. « Pour élargir le public, on essaie d’être le plus clair possible dès notre programme électoral et sur la grande place laissée à la co-construction ». Mais l’élu n’en démord pas, puisque ce n’est vraisemblablement pas le manque d’intérêt des sujets abordés qui limite les participations. D’après le maire, ce sont en effet principalement des retraités qui se joignent aux réunions, alors que les actifs avouent régulièrement ne pas avoir le temps de se consacrer à ces rencontres, malgré l’intérêt qu’ils portent pourtant aux projets débattus.

Ce manque d’implication est d’ailleurs peut-être l’expression d’un « manque de moyens pour développer l’ingénierie nécessaire », comme le déplore Laurent Riche, qui aimerait pouvoir embaucher une nouvelle personne pour l’accompagner sur les sujets de démocratie participative. Mais la communication en direction des citoyens semble de toute façon être un axe sur lequel travailler pour favoriser le travail démocratique de tous les intéressés. « Je demande à mes équipes de toujours se débrouiller pour monter un stand lors des manifestations pour parler du programme et de ce qu’il offre en termes de participation possible », poursuit le maire.

La marche collective comme vectrice de réflexions apaisées

La démarche de participation citoyenne est, certes, portée par une vision politique ainsi que par des enjeux partagés par les kingersheimois, mais elle permet également d’interroger plus théoriquement les bénéfices de la co-construction. En particulier, la marche est placée au cœur des projets et semble être vectrice d’intérêts non-négligeables. Après avoir notifié les habitants d’une déambulation à venir, les services de la ville cheminent dans le quartier pour écouter les revendications éventuelles. « Le premier intérêt de la marche est de mieux se rendre compte des préoccupations des habitants, sur des éléments dont on ne se rend pas forcément compte autrement, depuis un bureau de la mairie ou une salle de réunion publique », explique Laurent Riche. Un panneau « stop », un passage piéton mal positionné… ce genre de détail qui peut sembler anodin depuis l’extérieur peut au contraire revêtir une certaine importance dans le quotidien des habitants.

© Lalocracio sur Getty

© Lalocracio sur Getty

Mais un autre intérêt de la marche serait également « d’apaiser les débats », remarque le maire de Kingersheim. « Le fait de cheminer crée automatiquement des modérations » par l’effacement des rapports de force habituels entre élus et habitants. Les supposés animateurs n’ont donc plus tant ce rôle à tenir, et les rapports s’horizontalisent d’eux-mêmes, par le simple exercice de la marche. « Les diagnostics en marchant sont donc très importants pour nous », continue Laurent Riche. Si bien qu’en cas de mauvais temps, la marche est reportée à une date ultérieure afin d’assurer ce genre d’échanges. Le rapport politique qui peut alors en principe régner sur les échanges entre élus et citoyens s’estompe, quelle que soit la couleur politique des représentants locaux, permettant ainsi de laisser une place plus légitime aux demandes des habitants.

Un potentiel d’essaimage qui demande un changement de posture

Malgré l’approbation vraisemblable des habitants vis-à-vis de la démocratie participative, les rapports entre acteurs de la ville sont encore très hiérarchisés dans la plupart des autres villes de France. Pourtant, les interactions citoyennes sont théoriquement possibles, certes dans un nombre de cas limités de projets urbains. Pourtant, les habitants locaux étant les premiers concernés sur les projets urbains, l’essaimage de démarches participatives comme celles expérimentées à Kingersheim semble devoir être pris en considération pour favoriser l’urbanité et la qualité d’usage des espaces publics.

Jusqu’à présent, Kingersheim se présente donc dans ce contexte comme un exemple français emblématique. A tel point que certains élus ou institutions contactent directement le cabinet de Laurent Riche pour en apprendre davantage sur les méthodes de travail appliquées sur la commune. Des élus d’Île-de-France ou d’Allemagne, des propositions de séminaires… le travail de communication ne s’arrête pas à l’échelle communale. Mais l’élu insiste : « Cet accompagnement demande beaucoup de travail pour changer la posture des élus à ce sujet. La co-construction est un concept qui fonctionne. Il ne faut juste pas négliger la méthodologie et l’exigence que cela suppose ».

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