Kalundborg, modèle d’écologie industrielle
Petite ville portuaire danoise, Kalundborg s’illustre depuis plusieurs décennies pour son approche avant-gardiste de l’écologie industrielle. Mais c’est quoi au juste l’écologie industrielle ?
Les eaux du fjord
Imaginez une seconde, une centrale électrique qui ferait bénéficier de la vapeur qu’elle rejette à une raffinerie de pétrole, qui en retour renverrait à la centrale ses eaux usées pour son refroidissement. Formidable non ? Et maintenant imaginez que les eaux devenues tièdes aillent dans une ferme piscicole, favoriser la croissance des espèces… Ce scénario n’a rien d’utopique, il est concrètement mis en œuvre à Kalundborg au Danemark.
Mêlant bâtisses de briques rouges et complexes industriels, Kalundborg est une petite ville danoise nichée au creux d’un fjord de la Mer du Nord. À une centaine de kilomètres de Copenhague, elle bénéficie d’une situation géographique stratégique : c’est l’un des rares ports disponible tout l’hiver à cette latitude. Cet avantage facilite le développement industriel de la ville. À partir des années 1950, elle accueille une centrale électrique et une raffinerie de pétrole qui sont devenues aujourd’hui les plus importantes du pays. Progressivement, d’autres sociétés s’implantent aux alentours, notamment dans les biotechnologies ou les matériaux de construction.
Un réseau de coopération circulaire
Mais si la petite commune danoise est connue à travers le monde, ce n’est pas pour ses entreprises de pointe, c’est surtout pour son approche d’écologie industrielle pionnière. En effet, à partir de 1961, elle a développé un système de partenariats entre les entreprises et la municipalité. Celui-ci a permis de mettre en relation les différents flux des entreprises. Reproduisant un système circulaire, les déchets rejetés par chacune d’elle deviennent des ressources ou de l’énergie pour d’autres. Cette coopération permet d’optimiser leurs coûts et de réduire leur impact sur l’environnement.
La proximité géographique des acteurs et le contexte territorial jouent un rôle important. Grâce à la proximité du lac Tissø, l’eau est la ressource la plus réutilisée dans le système. Après son utilisation par une entreprise, elle devient un sous-produit (ou produit résiduel). En fonction de son état (chaude ou froide, salée ou non, pure ou souillée…), elle peut être réintroduite dans la production d’une autre entreprise et devenir une matière première ou une source d’énergie. Aujourd’hui, il existe une douzaine d’accords d’échange d’eau entre les entreprises de Kalundborg.
Industrie ou écologie ?
Application du développement durable à l’industrie, l’écologie industrielle entend en finir avec les chaînes de production linéaires, hautement gourmandes en ressources et grosses productrices de déchets. Arnaud Diemer et Sylvère Labrune.
détaillent les chercheursCette logique de production circulaire est une façon de rationaliser la production afin de l’inscrire dans la transition climatique. Elle permettrait de découpler la croissance économique de l’augmentation de l’exploitation de ressources naturelles. D’après les deux auteurs, l’écologie industrielle est une lecture économique de l’écologie où
. En cela, elle s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler la croissance verte ou le développement durable.Symbiose empirique
Pour réussir une telle « symbiose » entre les différents acteurs – c’est le terme officiel utilisé par la municipalité de Kalundborg -, il est nécessaire que l’ensemble des flux et des transformations de matières soient décrits et détaillés. C’est la condition à laquelle un déchet peut trouver repreneur. Le volontarisme est donc déterminant dans cet exercice. En effet, alors que le schéma économique habituel repose sur une compétition entre les acteurs, la symbiose implique une transparence et une circulation d’information sur le fonctionnement des chaînes de production.
« Rien n’a été planifié, raconte au National Geographic Lisbeth RANDERS, coordinatrice de la symbiose à Kalundborg. Ce système s’est développé sur quatre décennies, accord bilatéral après accord bilatéral ». Cette dynamique intuitive et empirique a d’ailleurs encouragé l’implantation de nouveaux partenaires. Le constructeur de panneaux muraux Gyproc s’est installé à Kalundborg parce qu’il pouvait profiter à bas coût des gaz résiduels de la raffinerie (comme source d’énergie). Plus tard, il a négocié du gypse avec la centrale à charbon Asnaes qui pouvait en produire par l’extraction de dioxyde de soufre de ses fumées. Il évitait ainsi d’en faire importer d’Espagne.
Transparence coordonnée
La ville anime cette coordination et s’efforce de créer un climat juridique et financier incitatif. Elle participe également à certains financements : le pipeline qui permet le transit de la vapeur de la centrale à la raffinerie de pétrole a été financé par la ville qui, au passage, a amélioré le réseau de chaleur urbain à destination des habitants.
Si Kalundborg a une avance historique sur les projets d’écologie industrielle, la France soutient depuis quelques années leur développement, via l’Ademe. Elle œuvre à la définition d’une méthodologie commune (le référentiel ELIPSE) qui est pilotée par l’association Orée, tandis qu’un outil baptisé Act’IF permet de collecter et réunir les flux industriels pour identifier de potentielles synergies par territoires. L’agence lance également des appels à projets régionaux et structure le réseau Synapse qui fédère les différents acteurs de l’écologie industrielle.