Jusqu’où ira le co-living ?
Après les espaces de travail, c’est au logement d’être mutualisé. Suite logique du co-working, le co-living est une nouvelle offre immobilière qui commence à faire son chemin. Réponse à la mobilité et à la solitude de la classe créative des grandes villes internationales, elle consiste en une formalisation de la cohabitation. Le phénomène essaime, de New York à Pékin en passant par Paris et Dahab en Égypte, et dessinera peut-être la ville de demain. Mais doit d’abord répondre à de nombreuses problématiques.
La ruée vers l’or
« Le co-living englobe sous un même terme des modalités très diverses de pur cohabitation », résume Lucie Molina, Directrice Coliving chez Bouygues Immobilier interrogée pendant la deuxième édition du Co-Liv Summit qui a eu lieu à Paris les 12 et 13 octobre 2018. « C’est un produit hybride qui répond à un besoin d’une population en quête de vivre-ensemble », poursuit-elle, mais que l’on peut résumer en une offre immobilière où des chambres individuelles de taille réduite partagent des espaces de vie communs.
De nombreuses entreprises se sont lancées ces dernières années dans la création de tels espaces à travers le monde. Parmi eux, The Collective, qui a érigé en 2016 à Londres le plus grand bâtiment dédié au co-living. Baptisé Old Oak, le bâtiment accueille plus de 500 personnes en leur offrant des loyers comparables à l’offre londonienne, pour une chambre individuelle d’une dizaine de mètres carrés. La plupart des habitants sont de jeunes actifs, âgés entre 22 et 35 ans, à la recherche d’un lieu de vie collectif et servicel
Le lifestyle du 21ème siècle
Au-delà d’une simple offre de logement, le co-living offre de nombreux avantages. Le propriétaire peut augmenter la quantité de locataires par rapport à un immeuble traditionnel et organiser leur turnover grâce à la digitalisation. Le locataire de son côté est débarrassé de la paperasse liée à un emménagement : eau, électricité, internet et taxes. Pour être définitivement attrayant et tendance, l’offre inclut également un panel de services : cours de cuisine ou de yoga, soirées et animations, piscine ou salle de sport.
Le co-living répond bien à l’évolution des modes de vie contemporains. En plus du prix du foncier, la mobilité croissante et la complexification des parcours professionnels appellent plus de souplesse que ne permettent les baux actuels, le co-living rebondit sur le le succès des espaces de co-working dont les travailleurs en freelance raffolent (le nombre d’espace de coworking à Paris a été multiplié par 8 en 5 ans). Enfin, par le modèle de vie communautaire qu’il défend, il offre une réponse à la solitude urbaine, alors que le nombre de jeunes sans amis proches a triplé depuis 1985 selon Irene Pereyra, designeuse et auteure d’un court documentaire sur le co-living.
« Il faut un accompagnement des pouvoirs publics »
Pour autant les obstacles restent nombreux pour Lucie Molina, « c’est le début d’une histoire et on ne sait pas encore où l’on va ». Sans réglementation spécifique, le co-living navigue dans un flou juridique, entre le logement et l’activité. En effet, il a « l’âme du logement et la simplicité de l’hôtel ». La réglementation du logement exige des garanties pour ne pas faire peser un défaut de paiement sur le propriétaire, et la réglementation hôtelière soumet à la TVA à 10%. L’ensemble des acteurs présents au Co-Liv Summit se sont accordés sur le besoin d’un régime spécifique. « Il n’y a pas de secret, pour accélérer les choses il faut un accompagnement des pouvoirs publics», conclut Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et de l’habitat durable sous François Hollande, présente au salon.
Une réglementation est d’autant plus nécessaire que le co-living peut avoir des effets néfastes à l’échelle d’une ville. En effet, en mutualisant les espaces de vie, il densifie la ville. Un bon point pour lutter contre l’étalement urbain, mais un risque dans une ville comme Paris, déjà très dense. De plus, alors que la cohabitation concerne habituellement les plus précaires, le co-living doit assurer son modèle économique et il cherchera naturellement à séduire des classes plus aisées.
La Maison Bleue à Bourg-la-Reine se veut une communauté éco-responsable – La Maison Bleue
Opportunité sociale
La logique de l’objet « pur marketing » charrie avec elle – consciemment ou non – des enjeux d’avenir. En proposant des logements personnalisés autour d’une communauté, le co-living s’offre des déclinaisons à l’infini. En effet, chaque communauté est caractérisée par ses habitudes de vie, ses affinités et centres d’intérêt. Les uns seront vegan portés sur l’économie solidaire, les autres seront des freelances LGBT+ ou des hackers fans de jazz japonais. Accélérateur de l’entre soi et de la gentrification ou opportunité sociale ? Ce marketing de la fête permanente entre jeunes diplômés peut potentiellement renforcer les communautarismes. La Station F prévoit par exemple d’ouvrir bientôt une extension de logement en co-living. Mais le concept peut également servir d’incubateur de diversité s’il parvient à s’ouvrir sur son quartier par des efforts répétés de médiation. On peut imaginer alors des communautés intergénérationnelles, prêtes à accueillir des personnes à mobilité réduites ou des sans-abris.
Le coliving est certes une opportunité pour le logement, il en est une aussi pour le territoire. L’ouverture de tels espaces pourrait être pensée en concertation avec les habitants et les responsables politiques à l’échelle métropolitaine comme c’est le cas aux Grands Voisins qui accueille justement le Co-Liv Summit. De la lutte contre l’habitat précaire, la décongestion des transports ou la possibilité d’une meilleure mixité sociale, le co-living ne peut pas fermer les yeux sur des enjeux territoriaux de la ville de demain.