Entre jardins partagés et artisanat en ville
Depuis dix ans, les Berlinois apprécient autant le tout petit Prinzessinnengärten que l’ancien aéroport de Tempelhof, devenu un gigantesque parc public. Dans la ville en partie désertée de Détroit, les habitants opèrent un retour à la terre, grâce à des associations pionnières comme Mufi et son remarquable jardin-école.
Trois jardins partagés
TEMPELHOF, BERLIN – À la conquête du tarmac
Les jardins communautaires de Tempelhof ont été créés après la fermeture de l’ancien aéroport, en 2008. Les pouvoirs publics envisagent alors un projet immobilier qui sera abandonné au vu des réactions des riverains. En 2010, sur cette emprise hors normes de 386 ha au sud de
Berlin – plus étendue que Central Park à New York –, s’ouvre un espace public constitué de pelouses et de kilomètres de pistes.
Vont s’y développer des microjardins et autres initiatives individuelles et potagères hors-sol, creuser la terre étant proscrit en raison de la pollution du site par le kérosène. Au milieu de pelouses à perte de vue, on circule librement sur 6 km de tarmac avec toutes sortes d’engins roulants car les moteurs restent interdits.
Dès la fermeture de l’aéroport, Tempelhof a été pris d’assaut par les riverains, ce qui peut paraître étonnant pour une ville qui compte pas moins de 40 % d’espaces verts. En 2014, les Berlinois ont rejeté à 65 % par référendum une nouvelle tentative de construction de logements et d’un centre culturel sur le pourtour du site. Malgré tout, pour loger quelque 7 000 réfugiés, le gouvernement a autorisé en 2016 la construction de logements provisoires dans les hangars et alentour. Des projets d’habitat permanent sont à l’étude.
Le PRINZESSINNENGÄRTEN, BERLIN
Au cœur même des grandes agglomérations d’Europe et du monde entier, des « espaces de liberté » végétalisés voient le jour sous des formes multiples (jardins communautaires, fermes urbaines, ruchers, poulaillers…). À Berlin, ces mutations s’accélèrent grâce à l’intervention de « facilitateurs urbains », qui entrent dans la ronde des nouveaux métiers de l’aménagement. La confiance qu’ils inspirent aux partenaires publics et privés leur permet, non seulement de faire entendre la voix des citoyens, mais aussi d’accompagner le développement de nouveaux projets.
Au centre de Berlin, le jardin partagé le plus réputé, le Prinzessinnengärten, illustre bien l’importance de ces nouveaux médiateurs.
Andreas Krüger, le directeur général de Belius, société de conseil en « stratégies spatiales communautaires», a su gagner la confiance des institutionnels et permis à l’association Nomadisch Grün de signer un bail de location avec la municipalité. Devenu lieu de production, de formation et de rencontres, ce jardin de 0,6 ha situé dans le centre-ville abrite notamment un potager collectif, un café et une bibliothèque.
MUFI,DÉTROIT – Le pionnier des potagers
Avec plus de 1 400 fermes urbaines et jardins communautaires, Détroit est devenue pionnière en matière d’agriculture urbaine. Ses nombreux potagers partagés participent d’un mouvement ascendant, qui consolide les liens sociaux à l’échelle locale, et se caractérisent
sans doute plus qu’à Berlin par leur vocation vivrière. La ville, marquée par des processus de paupérisation et de désindustrialisation après des décennies de leadership dans le domaine de l’automobile, offre dorénavant une alternative alimentaire écologique, sociale et solidaire aux réseaux d’approvisionnement classiques.
Basée dans la communauté de North End, épicentre de l’agriculture à Détroit, l’association Michigan Urban Farming Initiative, ou Mufi, a réaménagé ainsi 1,2 ha de terrain en ferme urbaine. Un centre communautaire offre aux habitants du quartier des programmes éducatifs et une formation aux meilleures pratiques de l’agriculture durable. Un café-restaurant y sert une cuisine de bonne qualité à faible coût, le reste des produits étant gratuits. D’après Mufi, plus de 2 000 ménages, églises, cantines et autres collectifs en bénéficieraient dans un rayon de 3 km.
Le grand retour à l’artisanat en ville
Le réseau d’ateliers Make ICI, présent dans plusieurs villes, regroupe des artisans divers, les « makers », dans le cadre d’ateliers solidaires, et propose des stages d’initiation. L’école de production automobile de Lens et l’atelier Emmaüs à Lyon dispensent, eux, une formation semi-professionnelle à un petit effectif d’élèves en rupture d’école et les confrontent aux réalités du marché.
EPAL, LENS – Les écoles de production
En France, la tendance « makers » s’appuie parfois sur certaines filières d’apprentissage. Il existe ainsi 25 « écoles de production » dans de nombreux secteurs d’activité. Leur enseignement repose sur trois piliers financiers : bénéfices de la production, aide de la région et taxe d’apprentissage. Ces écoles dispensent des diplômes professionnels d’État : CAP, bacs pro ou certifications professionnelles.
Depuis mars 2017, l’École de production automobile de Lens (Epal) accorde ainsi une deuxième chance à des jeunes « décrocheurs » de 15-16 ans en rupture avec le système éducatif classique et parfois avec la société (ils seraient 150 000 en France au total). Ces jeunes ayant quitté les sentiers de l’école se voient proposer des formations de deux ans pour obtenir un CAP en maintenance automobile. Les apprentis travaillent dans un atelier automobile situé au sein de l’école, ce qui les place en situation professionnelle réelle et leur permet de retrouver confiance en eux. Ils acquièrent auprès de maîtres formateurs de solides compétences en mécanique et, comme les employés, ont l’occasion de rencontrer les clients du garage. Après avoir suivi cette formation, ils pourront rejoindre des filières professionnelles.
ATELIER EMMAÜS, LYON – Éditeur de design
L’Atelier Emmaüs fait partie du mouvement du même nom mais avec le statut de maison d’édition de mobilier et d’objets de design contemporain, boutique à la clé. Il répond également à des demandes privées de projets d’aménagement et d’agencement intérieur. Créé près de Lyon en 2017, cet éditeur est en même temps un lieu d’apprentissage à la menuiserie pour un petit effectif de compagnons d’Emmaüs et de personnes accueillies dans d’autres structures de l’action sociale. L’objectif est de donner à ces artisans-élèves (une quinzaine actuellement) la possibilité de se projeter dans un avenir professionnel avec l’appui du réseau Emmaüs. Un collectif de designers se charge de dessiner modèles et projets, puis les meubles sont fabriqués en atelier avec des matériaux prélevés dans les gisements de rebuts mobiliers d’Emmaüs ainsi que des chutes industrielles. Chaque meuble est numéroté et signé par celui qui l’a réalisé.
ICI MARSEILLE, ICI MONTREUIL – Manufactures sociales et solidaires
En plein coeur de l’opération Euromed 2, menée par l’aménageur public Euroméditerranée, ICI Marseille s’est implanté à l’automne 2018. Pour UrbanEra (Bouygues Immobilier) et LinkCity, sponsors de ce projet, l’enjeu est d’investir un quartier en mutation, de favoriser l’activité professionnelle et de préfigurer l’écoquartier méditerranéen Les Fabriques qu’ils vont développer à proximité. ICI Marseille est un ensemble d’ateliers, une « manufacture sociale et solidaire » qui peut accueillir jusqu’à 200 « makers » dans un hangar de 3 500 m2. Le lieu participe au retour en ville d’activités qui, le plus souvent, étaient repoussées à la périphérie. Il permet aussi de recentrer des jeunes marginalisés autour d’un projet professionnel et de redynamiser le quartier dans lequel il s’implante. ICI Marseille est, avec ICI Nantes, le dernier-né du concept Make ICI. C’est une manufacture sociale et solidaire ouverte à tous, c’est-à-dire un réseau d’ateliers à la disposition d’artistes, d’entrepreneurs, d’artisans et de start-up du « made in France ».
Le premier atelier – de 1 700 m² –, ICI Montreuil, a ouvert en 2013 à l’initiative de Nicolas Bard. D’autres ouvriront à Bordeaux, à Lormes, dans le Morvan, et bientôt dans de nombreuses villes en France car les ICI commencent à essaimer. La démarche qui fait le succès de Make ICI a consisté à investir d’anciennes emprises industrielles, des parkings ou des espaces sous-utilisés par les villes et à y réunir des professionnels très différents. Ébénistes, plasticiens, experts en impression 3D, tôliers… les makers ont leur propre espace et partagent des ateliers, des espaces de réunion et de coworking et même des showrooms. Les surfaces et les outils de travail partagés – parc de machines, zones de stockage, open spaces ou services – réduisent les dépenses des makers tout en favorisant la coproduction entre occupants. De manière générale, le concept Make ICI, dans un souci d’équilibre, repose sur la répartition suivante : un tiers d’artisans, un tiers d’artistes et de designers et un tiers d’entrepreneurs et de structures issues des industries créatives.