Itinéraires bis : faire de la route une destination
25 millions. C’est le nombre de kilomètres de nouvelles routes que notre planète comptera d’ici à 2050, soit l’équivalent de 600 fois le tour de la terre. Ce chiffre astronomique illustre notre besoin de nous déplacer toujours plus, toujours plus loin, mais aussi toujours plus vite. C’est dans ce sens, par exemple, qu’Elon Musk a lancé le projet Hyperloop, ce train à hyper grande vitesse capable de relier San Francisco à Los Angeles en 30 minutes. Mais dans ce monde où la vitesse est érigée au rang de valeur ultime, ne risque-t-on pas de perdre le lien qui unit l’Homme à l’espace qui l’entoure ? L’envie pressante d’un retour à la nature qui se fait sentir dans une optique de vie plus saine et plus durable ne peut se faire sans un ralentissement du rythme pour renouer avec notre environnement. Il ne s’agit pas de dénigrer la technologie, mais plutôt de proposer une offre alternative, un itinéraire bis qui permettrait de prendre le temps et de valoriser non pas l’arrivée mais le voyage. Comment alors sortir de l’aspect utilitaire de la route pour en faire une destination en soi ?
La route : un mythe à réinventer
On n’a pas attendu les préoccupations écologiques pour s’intéresser à la route, au chemin. La beauté des paysages traversés, la symbolique du voyage, la poésie qui s’en dégage a séduit depuis bien longtemps écrivains, artistes ou réalisateurs. La route devient un mythe, un genre littéraire et cinématographique à part entière. Mais ce rapport à la route a tendance à changer, et ce depuis quelques années. La route est devenue davantage synonyme de dangers, avec des éléments de sécurité routière très présents sur nos bords de route, un élément ultra-codifié loin du symbole de liberté véhiculé par les œuvres cinématographiques et littéraires qui ont contribué à mythifier la route. Certaines de ces routes mythiques, comme la route 66 aux États-Unis, sont devenues aujourd’hui des attractions pour touristes en quête de fausse authenticité. Il s’agit alors de concilier les impératifs liés à la sécurité et au développement économique avec la poésie nécessaire pour réinventer ce mythe de la route. Et il est un endroit, ou plutôt un non-lieu, où l’imaginaire lié à la route peut particulièrement prendre place : les bords de route.
Les bords de route : un non-lieu à valoriser
Les bords de routes sont des espaces naturels, de ce fait, ils évoluent au fil des saisons. Ils sont le marqueur de la diversité des milieux et sont ce à quoi est confronté de prime abord l’automobiliste lorsqu’il voyage. En tant que témoins de cette activité naturelle, ils doivent, pour conserver leur attrait, être respectés et pouvoir se développer sans que l’activité humaine ne les endommage. Les bords de routes sont des espaces délaissés depuis longtemps. Ces espaces naturels ont pourtant un potentiel important à exploiter par les collectivités et doivent être réinventés. Nombreux sont les moyens de revaloriser ces espaces, afin de faire évoluer la vision de la mobilité et de la pause. En valorisant les espaces naturels ou encore en créant un attrait visuel sur les bords de routes, il serait possible de faire évoluer le rapport qu’entretiennent les usagers avec la route. Ces manières de souligner le potentiel culturel autant que naturel des bords de routes pourraient permettre de changer la mobilité. Le designer, et particulièrement le designer scénographe, a un rôle à jouer dans la réinvention des bords de route.
Scénographier les bords de route
Pour un designer scénographe s’intéresser aux bords de routes est un moyen de travailler avec la nature et de pouvoir valoriser les espaces semi-urbains. Ils sont caractérisés par un découpage de l’espace, du temps et de l’action qui donne une valeur poétique à ces non-lieux. C’est un support riche qui permet de créer des lieux scéniques pour mettre en place des outils qui vont les rendre actifs et même acteurs, afin de créer ou renforcer une connexion entre les environnements qui les entourent. Les bords de routes du designer doivent prendre en compte les besoins des usagers. Il doivent être visible par ces derniers et aussi leur permettre de prendre de la hauteur. À la manière d’un belvédère, ils proposent aux usagers d’appréhender et d’observer le territoire dans sa globalité. Les bords de routes doivent aussi orienter le regard de l’usager et diriger son attention, afin de le sensibiliser au patrimoine naturel et artificiel. Ce patrimoine est une valeur ajoutée aux bords de routes et fait partie d’un tout ayant pour objectifs de revaloriser et de se réapproprier ces bords de routes. C’est forte de ces observations qu’Eva Rousseau, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, a choisi de s’intéresser à un axe routier particulièrement fréquenté : l’axe Nantes-Le Croisic (en passant par Saint-Nazaire). Cette route possède de nombreux atouts : un patrimoine naturel, bien sûr, mais aussi un patrimoine artistique avec des œuvres d’art contemporain créées dans le cadre de la biennale Estuaire Nantes-Saint-Nazaire. C’est donc un itinéraire bis qu’a choisi de mettre en valeur Eva Rousseau, en ponctuant le parcours de micros architectures, de belvédères, permettant de faire une pause en créant des points de vue. Les bords de routes deviennent ainsi une attraction en soi, une véritable destination.
Par Eva Rousseau, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, et Zélia Darnault, enseignante.
Vos réactions
Magnifique travail
Créatif, très design, certainement utile dans les années à venir.
Cela mérite une belle récompense