Innover… par l’absurde !
Innovation. Voilà le mot magique, le mantra qui nous sortira de tous nos soucis et nous portera vers une société meilleure. L’innovation est au cœur des programmes politiques, c’est elle qu’il faut soutenir et encourager afin de rester une grande nation. L’innovation c’est aussi le Saint-Graal des start-upers, le petit plus qui permettra une levée de fonds importante. Oui mais voilà, à force d’entendre parler d’innovation à longueur de journée et pour n’importe quoi, on finirait presque par en oublier le sens premier du mot et que toutes les innovations ne se valent peut-être pas. C’est pour dénoncer ces dérives, et surtout pour en rire, que les designers d’interactivité Camille Azam et Bastien Kerspern organisent le 29 avril 2017 à Stereolux (Nantes) la deuxième édition du Hackacon, un Hackathon à la con. Ces héritiers du dadaïsme entendent bien ériger l’absurde, le stupide, le décalé au rang de valeurs porteuses d’innovations. Rencontre avec Bastien Kerspern pour évoquer cet événement et sa philosophie.
D’où est venu le concept du Hackacon ?
Bastien Kerspern : Le Hackacon, c’est avant tout le fruit d’une vile passion qui consiste à tourner en dérision une certaine scène start-up. Avec Camille, co-désorganisatrice du Hackacon, nous aimons lancer des idées d’applications et de services totalement inutiles, mais qui sont suffisamment crédibles pour être, un jour, prises au premier degré. Nous nous sommes dit que d’autres personnes, quelque part, devaient avoir les mêmes déviances créatives et nous avons découvert les Stupid Things Hackathon déjà organisés aux États-Unis et au Canada. La source d’inspiration était toute trouvée : quitte à inventer des choses stupides, autant le faire à plusieurs !
Comment l’absurdité peut-elle constituer un levier d’innovation ?
B.K : Accoler « absurde » à côté du très noble terme d’« innovation », c’est avant tout se mettre en recherche de réflexivité. Derrière ce gros mot, on retrouve le registre de la dénonciation par l’absurde, une discipline qui exige que l’on aiguise son esprit critique et qui est à la source du Hackacon. Si l’on devait la définir, l’innovation par l’absurde serait le fait de réinterroger ce qui tient au final de simples tendances superficielles à travers une prise de recul salutaire. Mais ce serait surtout de ralentir les processus d’innovation là où tout un culte du prototypage rapide, pour ne citer que lui, nous suggère qu’on les accélère. L’idée est de prendre (enfin) le temps de réfléchir et faire réfléchir, pour mieux mettre en lumière les arrière-pensées inavouées et autres mythes inavouables de cette fameuse innovation.
Que retenez-vous de la première édition du Hackacon ? Quels exemples de projets ont pu y être développés ?
B.K : Le tout premier Hackacon a été un bon cru, avec des idées qui ont dépassé le simple gadget technologique inutile pour aller jusqu’à des accessoires de mode. Nous avions enrichi les Stupid Things Hackathon originaux avec d’autres formats absurdes inspirés des canons de la culture de la Silicon Valley. Il y avait au programme le Business Mortel Canvas, qui propose d’imaginer les modèles économiques les plus immoraux qui soient, ainsi que le Pitch Exquis, une présentation improvisée d’une fausse start-up à partir d’un diaporama (slides) lui aussi totalement absurde.
Si je devais retenir un projet emblématique de l’esprit de cette idée d’innovation par l’absurde, je citerais Hotspot. La promesse de ce service est ridiculement simple : rendre ludique le harcèlement de rue et faciliter la mauvaise rencontre. Concrètement, c’est une application qui met en relation harceleurs et harcelés et qui se joue de tous les codes des réseaux sociaux : notation de son harceleur, recommandations personnalisées de lieux de traque, etc. À ce titre, Hotspot tutoie le design fiction. Ce projet est, à mon sens, une relecture critique des rapports de force déséquilibrés entre les différents usagers de la ville, mettant en exergue la manière dont l’infrastructure urbaine vient conditionner, voire favoriser, ces formes de prédation.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique
Informations pratiques :
Le 29 avril, à Stereolux (Nantes)
Inscriptions : https://docs.google.com/forms/d/1YrVFdcKXaR9sCcjsnTqJji2bCpcR84R58ZGgHYrffr8/viewform?edit_requested=true
Pour plus d’informations : http://www.hackacon.fr