Innovation frugale : bienvenue dans la slow économie
Le 31 mars, Navi Radjou, consultant spécialisé dans l’innovation et le leadership, était de passage à La Ruche, le nouvel espace collaboratif aménagé dans ses locaux par Bouygues Immobilier. L’occasion de présenter son nouveau livre, L’innovation frugale : comment faire mieux avec moins (Diateino, 2015).
Depuis plusieurs années, Navi Radjou va à la rencontre des chefs d’entreprises du monde entier pour leur vanter les mérites de l’innovation frugale. Autrement dit : leur présenter les différents moyens de créer plus de valeur avec moins de ressources. Plus qu’un simple modèle économique palliatif en temps de crise, l’innovation frugale constitue, d’après ce consultant franco-indien installé dans la Silicon Valley, un véritable changement de paradigme.
Bienvenue dans la slow économie
« Nous sommes entrés dans l’ère de la slow économie. Les ressources naturelles se raréfient, la plupart des pays européens connaissent des chiffres de croissance inférieurs à 2% et, surtout, les consommateurs sont de plus en plus nombreux à considérer la frugalité comme une valeur essentielle. Aujourd’hui, 14% des Français disent être prêts à vivre mieux en possédant moins de choses. Autre chiffre éloquent : 55% des consommateurs se disent prêts à payer plus pour des marques engagées sur les plans social et environnemental. Une majorité de consommateurs déclare également être prête à passer plus de temps à chercher des produits qui leur correspondent vraiment. Ils veulent pouvoir s’identifier aux produits qu’ils consomment. »
Le pouvoir passe de l’offre à la demande
« Les deux axes majeurs de l’économie frugale sont le partage et la notion de « faire soi-même ». D’après une étude réalisée fin 2014 par PWC, le marché mondial de l’économie du partage pourrait ainsi atteindre près de 270 milliards d’euros d’ici à 2025, contre 12 milliards aujourd’hui. Ça veut dire que les citoyens n’ont plus vraiment besoin des grands laboratoires ; ils ont pris conscience qu’ils peuvent fabriquer eux-mêmes leurs propres outils. D’ailleurs, les composants les plus ingénieux de la révolution numérique sont déjà développés en open source, je pense notamment au nano-ordinateur Rasperry Pi ou au circuit imprimé Arduino.
Et les ateliers d’hier sont en train de se transformer en mini-usines, à l’image du fameux techshop de San Francisco. On peut aussi parler de la montée en puissance du mouvement « Citizen science », de l’agriculture frugale, de la finance frugale et de projets comme Qarnot Computing, qui consiste à chauffer les appartements et les bureaux avec l’énergie produite par des serveurs informatiques. Tous ces exemples montrent bien que le pouvoir est en train de basculer du côté de l’offre vers celui de la demande. »
La prise de conscience des grosses entreprises
« C’est un peu comme dans l’histoire de Gulliver : il y a déjà plein de lilliputiens qui attaquent aujourd’hui le cœur de marché des grosses entreprises. Les entreprises doivent donc se réinventer, sinon elles se feront toutes « disrupter » par les start-up et l’économie peer-to-peer. Et on ne pourra pas faire grand-chose pour celles qui refusent de s’adapter… »
Conversion à l’innovation frugale : mode d’emploi
« On peut identifier quatre bonnes pratiques pour aider les entreprises à s’adapter à la slow économie. D’abord, développer des produits durables. Par exemple, dans le secteur automobile, on peut citer Renault-Nissan avec la création du Common Module Family (CMF) qui va leur permettre de développer des voitures low cost en faisant des économies d’échelle importantes.
Autre exemple : l’entreprise Tarkett, qui fabrique des revêtements de sols et s’est engagée à développer 90% de ses produits à partir de matériaux renouvelables ou recyclés d’ici à 2020. Deuxième bonne pratique : la nécessaire réduction de l’écart entre l’offre et la demande. Il est indispensable aujourd’hui de produire au plus près du lieu de consommation. Google propose ainsi un smartphone sur mesure, baptisé Ara, dont on peut remplacer les composants à la carte au lieu de changer d’appareil. Troisième idée : intégrer la frugalité au cœur du modèle économique. Le groupe Unilever entend ainsi doubler son chiffre d’affaires pour atteindre 80 milliards d’euros tout en réduisant son impact environnemental de moitié d’ici à 2020. Enfin, dernière bonne pratique : le partage des actifs, des employés et des clients entre les entreprises. Ça commence au niveau logistique, avec la mise en commun de camions pour réduire les coûts de livraison par exemple. On peut citer aussi l’exemple de Ford, qui a converti un ancien hangar de Detroit en immense techshop grandeur nature pour ses employés afin de leur permettre de développer des prototypes tangibles. Deux ans plus tard, le nombre d’idées brevetables de Ford a augmenté de 120 % ! Bref, pour créer l’innovation, on a besoin du bon environnement plus que d’argent. À terme, je pense même que les entreprises partageront leur propriété intellectuelle, comme c’est déjà le cas dans le parc éco-industriel de Kalundborg, au Danemark. »
Vers un gouvernement frugal ?
« Après l’innovation frugale, la prochaine étape, c’est bien sûr le gouvernement frugal. Barack Obama a déjà créé une agence d’innovation sociale chargée de réfléchir à ces enjeux. La problématique devient alors : comment être encore plus efficace tout en renonçant à une certaine part de contrôle, en apprenant à se désengager. Le gouvernement frugal, c’est autonomiser et responsabiliser les citoyens. Si on continue de vouloir faire du micromanagement pour tout, ça ne pourra pas marcher. »