Indianapolis : une ligne de transport rapide pour une nouvelle approche urbaine
À Indianapolis aux Etats-Unis, alors que la ville s’est construite depuis des décennies autour de la voiture, les politiques locales actuelles tendent à renverser la tendance. Avec un plan ambitieux de mobilité de transport en commun, Indianapolis cherche désormais à diminuer la place de la voiture. Et plus qu’une réponse à la transition écologique, les mobilités deviennent pour la ville, le moteur essentiel d’une transformation urbaine.
La Red Line, bientôt suivie de la Purple et la Blue lines, proposent donc un nouveau service de bus électriques express, s’illustrant comme une véritable alternative à la voiture, et permettant de dessiner une colonne vertébrale pour la ville, autour de laquelle un développement urbain alternatif prend place.
Indianapolis, une ville façonnée depuis des siècles autour des mobilités
Au début du XXème siècle, la ville d’Indianapolis, fondée dans les années 1820, est constituée autour d’un centre urbain, véritable lieu de vie où prospèrent commerces et logements, accessibles à tous types de revenus. L’extension de la ville est, dans un premier temps, permis par la construction d’un tramway, qui relie les quartiers de Broad Ripple, Fountain square, Mass avenue, où piétons, cyclistes et tramway, cohabitent en bonne intelligence.
Le début du XXème siècle marque alors un tournant dans le développement urbain de la ville. À l’instar de Detroit, Indianapolis mise sur la voiture et devient rapidement un haut lieu de la manufacture automobile des États-Unis. À partir de la deuxième moitié du XXème siècle, l’importante multiplication des fonctions au sein de la ville repousse les limites bâties de cette dernière. Très vite, le développement urbain s’organise autour d’un zoning urbain stratégique, éloignant ainsi peu à peu les fonctions les unes des autres. Une conséquence qui, en plus de la démocratisation de l’automobile dans les foyers américains à partir des années 60, supprime progressivement l’utilisation de la marche ou du vélo pour se déplacer et impose la voiture comme l’unique moyen de transport dans la ville.
L’aménagement urbain qui en découle est donc également profondément centré sur la voiture. Parking, stations essences, concessionnaires automobiles viennent peu à peu s’installer en bordure des quatres autoroutes et des larges avenues qui sont construites afin d’absorber les flux automobiles. Parallèlement, la place du piéton disparaît en même temps que la suppression des trottoirs et des transports en commun.
Aujourd’hui, avec près de 900 000 habitants, Indianapolis reste avant tout une ville très étalée où la voiture est le principal mode de transport. Les infrastructures liées aux mobilités piétonnes et douces sont quasiment inexistantes, ce qui selon le Walk Score place Indianapolis comme l’une des grandes villes les moins “marchables” des États-Unis. Pourtant à Indianapolis, c’est un habitant sur 10 qui ne possède pas de voiture et 40% des foyers qui n’ont qu’une seule voiture. Une réalité contrastée lorsque l’on sait que la ville compte 2,5 places de parking par foyer.
La Red Line à Indianapolis, davantage qu’une ligne de transport
Pour mettre fin à plus de 50 ans d’aménagement centré sur la voiture et de zoning de fonctions, Indianapolis a en 2015 lancé “Indy Rezone”, un travail de diagnostic territorial visant à la création de nouveaux quartiers mixtes dont les normes de conception encouragent le recours aux mobilités douces et actives pour leurs habitants. Au cœur de cette nouvelle politique d’aménagement, trois lignes structurantes de transport en commun, gérées par IndyGo, se dessinent pour la ville : les red, blue et purple lines. Derrière ce plan de mobilité, les ambitions sont grandes puisqu’il s’agit, d’abord, d’engendrer une réelle transition des mobilités pratiquées dans la ville pour quitter peu à peu la dépendance à la voiture. Aussi et en parallèle, il s’agit de recréer de véritables espaces de vie mixtes, où chacun est libre de se loger, consommer et se déplacer comme il le souhaite.
Première pierre à l’édifice, la red line est inaugurée en 2019. Ce sont en tout 21 km d’aménagement dédiés à une ligne de bus express qui permettent de relier le nord Broad Ripple au sud de la ville University of Indianapolis. Le long de cette nouvelle ligne de transport structurante, les aménagements favorisent le recours aux mobilités collectives et actives. Une voie centrale est exclusivement réservée à la circulation de bus double électriques, ce qui permet d’assurer une desserte fluide de l’ensemble de la ligne et à des horaires élargis. Ces bus possèdent tous un espace dans lequel il est possible de stocker son vélo pendant les trajets et d’encourager la multimodalité des mobilités. Les arrêts de bus sont placés en cœur de route, ils sont pensés pour protéger des intempéries et équipés afin de tenir au courant en temps réel les usagers de la circulation des bus. Grâce à des systèmes colorimétriques et à leur élargissement, les trottoirs et passages piétons sont mis en valeur, ce qui assure la sécurité des usagers. Enfin, les bordures de ce nouvel axe sont transformées pour laisser moins de place à la voiture et davantage à la nature.
Après deux ans d’exploitation et de transformation des alentours de la red line, deux changements radicaux s’imposent :
- Le premier est celui de la métamorphose des espaces jouxtant cet axe. En effet, l’aménagement de la red line a été l’occasion pour les autorités locales de revoir les normes de construction des zones qu’elle traverse dans le but de les densifier. Les nombreux espaces dédiés à la voiture, que ce soit les parkings, les concessionnaires automobiles, les stations services ou encore lave-auto sont peu à peu remplacés par du logement intermédiaire, un type d’habitat peu présent sur le territoire.
- Le deuxième est la réalisation de nouveaux quartiers à proximité de cette nouvelle ligne structurante. Avec une forte mixité programmatique, ces nouveaux espaces ont été pensés pour devenir des lieux de vie, où tous types de foyers et familles peuvent s’installer. Construits à moins de 300 mètres d’un arrêt de bus, ces quartiers promeuvent les mobilités douces et communes, mais aussi limitent la place de la voiture dans leur conception.
Plus qu’un plan de transition de mobilités, la création de la red line a donc permis de transformer la manière dont l’Indianapolis de demain se construit. Et dans la même logique, les lignes bleues et violettes participeront à cette nouvelle identité urbaine, effaçant peu à peu la monofonctionnalité des quartiers de la ville et le tout voiture. Derrière ces mutations urbaines, la municipalité cherche à la fois à inscrire la ville dans une durabilité et résiliente plus accrue, y compris face aux dérèglements climatiques, tout en la rendant plus attractive grâce à la création de nouveaux quartiers qui offriront des lieux de vie où la marche, le vélo et le vivre-ensemble seront valorisés.
Anticiper les travers d’une nouvelle attractivité territoriale initiée par le déploiement de nouvelles mobilités
Comme l’illustre le cas d’Indianapolis, la création de nouvelles lignes structurantes, en communs, doux ou actifs, peuvent participer à la transformation et au développement des espaces qu’elles traversent, si les territoires actionnent des outils dans ce sens. Ainsi, ces lignes de transport renforcent la desserte en transport durable et participent à l’accroissement de l’attractivité des espaces, engendrant ainsi par conséquent l’arrivée de nouveaux foyers et de projets urbains accompagnés par les municipalités. Une des conséquences concrètes de ces aménagements est leur participation à l’inflation des prix du foncier et donc à la gentrification de quartiers construits autour de ces nouvelles infrastructures.
Consciente de ces conséquences et désireuse de produire des logements accessibles pour tous, la municipalité d’Indianapolis a cherché à contrer le phénomène de gentrification. Pour cela, la ville a décidé de mettre en place une réelle politique de construction de logements abordables, notamment à proximité de ces nouvelles lignes de transport en commun. Afin de s’assurer de la réussite de l’opération, la municipalité cherche à acheter des terrains grâce à des subventions étatiques. Une fois acquis, elle les revend à des promoteurs qui s’engagent à construire des logements abordables. Ainsi, certaines nouvelles constructions de ces quartiers peuvent être accessibles à des foyers à faibles revenus.
Des conséquences qui ne se limitent pas seulement aux dynamiques américaines, puisque plus près de chez nous, en région parisienne un phénomène équivalent est en cours. Alors que l’aménagement des lignes du Grand Paris Express se déploie peu à peu autour de la capitale, et que les chantiers des 68 gares sont initiés, certains s’inquiètent de l’impact de cette nouvelle ligne de transport en commun pour le territoire. Dans un article du Monde, intitulé Grand Paris : le pari perdu de la mixité sociale, la journaliste Isabelle Rey-Lefebvre souligne l’importance de la mise en place de politiques sociales pour la création de logements abordables dans le but de contrer l’indéniable inflation du foncier déjà en cours dans certains territoires de première couronne.
La construction de nouvelles lignes structurantes de mobilité illustre donc une profonde dualité. D’un côté, elle participe à la transition écologique des mobilités, promouvant bien souvent l’utilisation de transports en commun ou de mobilité douce. Elles permettent également la desserte de certains territoires jusqu’alors en marge d’un réseau de transports en commun et promeuvent ainsi une certaine justice spatiale de l’accès à la mobilité. Mais parallèlement, développer les moyens de transport efficaces c’est contribuer au développement de l’attractivité territoriale, qui peut malheureusement dans de nombreux cas participer à la gentrification de ces nouveaux espaces desservis. Alors comment renforcer l’attractivité via la mobilité des territoires sans pour autant engendrer des phénomènes néfastes ? Le cas d’Indianapolis nous prouve que c’est possible, si l’on anticipe le développement futur des quartiers, tout en cherchant à diminuer les effets par le prisme de politiques sociales engagées.