Impression 3D à domicile : un mirage ?
C’est entendu, l’imprimante 3D se démocratise à grande vitesse. Mais avons-nous vraiment intérêt à en posséder une à domicile ? Déployer cette machine à l’échelle du quartier n’est-il pas plus pertinent ?
Depuis cet été, la ville de Rennes est devenue la première en Europe à équiper les pôles multimédia de chacun de ses quartiers d’une imprimante 3D. Un projet financé par la direction de la vie associative de la ville (coût estimé : 50 000 euros) et développé en partenariat avec l’association Bug et le Labfab, un atelier local de fabrication numérique. Les machines n’ont pas été livrées seules mais accompagnées de différents kits de prototypage électronique permettant de réaliser toutes sortes de montages. « Au premier fab lab historique, à Barcelone, on nous envie beaucoup », déclarait à Ouest France Richard de Logu, le directeur de l’association Bug, lors du lancement de l’opération, en février 2014.
Imprimante 3D au salon : pas avant 2040
Au-delà de son ambition d’attirer tous les publics dans les lieux de fabrication numérique, le projet rennais a également le mérite de relancer le débat sur l’échelle urbaine la plus pertinente pour un déploiement optimal de l’imprimante 3D.
En 2012, dans son livre Makers : la nouvelle révolution industrielle, Chris Anderson prédisait que nous aurions bientôt une imprimante 3D à domicile et que chacun pourrait imprimer à sa guise les objets dont il aurait besoin. Perspective séduisante mais pour le moins optimiste, reprise en chœur depuis par d’autres acteurs de l’économie numérique.
Si l’impression 3D, objet encore méconnu du grand public, a indiscutablement gagné du terrain ces derniers mois – notamment à l’échelle médiatique – il convient pourtant de souligner ses limites. À ce jour, elle ne permet de fabriquer qu’un nombre assez restreint d’objets (figurines, coques de portable, etc.), dans des délais encore trop longs, et la qualité du rendu n’est pas toujours au rendez-vous. « L’impression 3D s’apprête à entrer dans la phase de déception telle que l’a définie Gartner sur sa Hype Cycle », écrivait en juillet 2014 Alain Clapaud sur le site 4erevolution, faisant ici allusion à la courbe conçue par le cabinet de conseil pour décrire le cycle d’adoption des technologies (qui passe forcément d’après Gartner par cette phase déceptive, même pour les technologies les plus populaires).
Pour qu’une imprimante 3D trouve sa place dans notre salon, elle devra donc être bien plus performante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Une position théorisée par Conor Mac Cormack, le PDG de la société Mcor Technologies, qui considère que l’impression 3D ne pourra véritablement se démocratiser qu’à condition de proposer un véritable écosystème d’instruments ultraperformants (logiciels de design, scanners 3D, plate-formes pour télécharger les plans, etc.). Si l’on se fie à l’infographie publiée en mars 2014 par la société américaine Farnell, qui fabrique des composants électroniques et industriels, il faudra même attendre 2040 pour que l’imprimante 3D trouve sa place au domicile de chacun.
Besoin d’expertise technique
Impossible donc d’enterrer définitivement l’hypothèse d’une démocratisation massive de l’imprimante 3D, sur le modèle de l’ordinateur et du téléphone portable. Ce dont on est certain, en revanche, c’est que ce jour n’est pas encore arrivé. Et qu’en attendant, c’est à une autre échelle géographique qu’il convient de déployer ces machines. On pourrait par exemple équiper chaque immeuble d’une imprimante 3D accessible à tous ses résidents, sur le modèle des laveries aménagées au sous-sol d’un certain nombre d’immeubles new-yorkais. La mutualisation des machines serait une solution moins énergivore et qui permettrait de tisser du lien social entre voisins. Le problème, c’est qu’une imprimante 3D n’est pas encore un objet très simple à manipuler. Une certaine expertise technique est même nécessaire pour maîtriser son usage. C’est là que le projet rennais de déployer une imprimante 3D par quartier – et d’installer ces machines dans des pôles multimédia – prend tout son sens. Les citoyens se rendront dans ces espaces par simple curiosité ou bien dans un but de fabrication bien précis, mais d’abord guidés par le plaisir d’apprendre et de partager une expérience. « Je penche plus vers un scénario où des fablabs de quartier verront le jour un peu partout. On y viendra avec ses plans, fabriquer ses meubles en kit par exemple », expliquait la journaliste Amaëlle Guiton en 2013 dans une interview accordée au site SoonSoonSoon.
Pour autant, quand on se risque à évoquer l’avenir de telle ou telle technologie, il convient de prendre des pincettes et de toujours faire preuve d’humilité. Sinon, l’Histoire peut se rappeler à votre bon souvenir et faire sonner faux vos prédictions. En annexe de son infographie prédisant l’arrivée de l’imprimante 3D à domicile seulement aux alentours de 2040, la société Farnell rappelait ainsi quelques-unes des ces prophéties périlleuses. Nous nous contenterons ici d’en rappeler deux, juste pour mémoire : « Le téléphone comporte trop de défauts pour être sérieusement considéré comme un moyen de communication » (Western Union, dans un mémo interne de 1876) et « Il n’existe aucune raison pour laquelle quiconque souhaiterait avoir un ordinateur chez soi » (Ken Olson, Digital Equipment, 1977). À méditer…
Vos réactions
Pour aider également à remettre en perspective les enjeux :
Rumpala Yannick, « L’impression tridimensionnelle comme vecteur de reconfiguration politique », Cités 3/ 2013 (n° 55), p. 139-162
URL : http://www.cairn.info/revue-cites-2013-3-page-139.htm