Imaginer l’architecture scolaire du futur : l’école du XXIe siècle
Il y a quelques semaines, Ashoka France, le 1er réseau mondial d’entrepreneurs sociaux organisait l’avant première d’un long métrage réalisé par Judith Grumbach et intitulé Une idée folle. Ce documentaire optimiste nous emmène découvrir 9 établissements scolaires aux quatre coins de la France, dont les équipes pédagogiques tentent chacune, jour après jour et à leur niveau, de proposer de nouvelles pédagogies plus en adéquation avec les élèves de notre époque. Mises bout à bout, ces initiatives, même si elles n’en ont pas individuellement la prétention, laissent bien entrevoir « une idée folle »… celle de réinventer l’école du XXIe siècle.
Bien que l’on ressorte plein d’espoir de cette projection, le film soulève de nombreuses questions. Et parmi elles, il y a celles de l’architecture des établissements scolaires. Peut-on aujourd’hui réinventer l’école en se passant d’une réflexion sur l’espace et l’architecture des bâtiments au sein desquels nos enfants passent le plus clair de leur temps ? Cette question, c’est celle posée par Jean-François Bonne, architecte urbaniste associé au sein du cabinet Architecture Studio et qui prit la parole durant le débat qui suivait la projection du documentaire.
Rencontré à cette occasion, nous avons souhaité en savoir plus sur son expérience et sur ce qu’elle raconte aujourd’hui pour construire les écoles du XXIe siècle.
Quelle est votre expérience de l’architecture scolaire ?
Au sein d’Architecture Studio, nous avons travaillé sur de nombreux bâtiments scolaires et nous sommes intervenus à toutes les échelles. Parmi les premiers projets que nous avons eu la chance de réaliser, nous avons commencé par la conception d’une école maternelle pour terminer ces jours-ci par la livraison de notre dernier projet en date, qui n’est autre que l’université de Jussieu. De la petite enfance, en passant par le collège, le lycée, l’école supérieure et jusqu’au bâtiment de recherche, nous avons donc à chaque fois été amenés à entamer une réflexion à partir d’un programme* (réalisé par un programmiste à partir de la volonté du commanditaire) qui définit les besoins du bâtiment. Notre volonté a été à chaque fois de nous adapter au plus près du projet pédagogique lorsqu’il est visible au sein du programme auquel on a accès.
Et ce qui ressort de cette expérience, c’est que le projet semble être de qualité lorsqu’il y a un projet pédagogique défini au préalable et que le programme auquel on a accès, lorsqu’on répond à un appel d’offre, est lui-même également de qualité, autrement dit qu’il s’inspire du projet pédagogique de l’école. Quand je parle d’un programme qualité, je parle avant tout d’un programme qui puisse définir la vie future d’un bâtiment à partir de la relation entre les élèves et toute la communauté éducative en son sein. Si cette donnée fondamentale n’est pas définie au préalable, on se retrouve alors avec un programme bateau dans lequel il n’y a pas de réflexion quant aux dispositifs pédagogiques.
Pourriez-vous nous donner un exemple d’intervention qui se basait justement sur un programme de « qualité » ?
A l’occasion du débat qui suivait le remarquable film « Une idée folle », j’ai évoqué l’expérience que nous avions eue avec l’école active bilingue Jeannine Manuel située dans le quartier Dupleix à Paris. Il s’agissait de réaliser une extension des locaux principaux de l’établissement scolaire. Ainsi, sur le terrain de la ZAC Dupleix, au sein duquel nous réalisions un immeuble d’un programme de logement, l’école Jeannine Manuel a obtenu l’accord de pouvoir y intégrer ces nouveaux locaux aux rez-de-chaussée ainsi qu’au premier étage. L’ensemble du rez-de-chaussée et le 1er étage de cette opération, ont donc été attribués à l’école.
Il s’agissait d’une école alternative dotée d’une pédagogie très innovante. En ce qui concerne la disposition des lieux, nous avons donc pu l’articuler dans un dialogue permanent avec la directrice de l’école, ainsi qu’avec un certain nombre d’enseignants présents autour de la table lors des différentes réunions préparatoires que nous avions eues à l’époque. Et ce qui en ressort, c’est que cette école ne ressemble en rien à l’école qu’on avait réalisée quelques années auparavant pour des élèves du même âge, mais cette fois-ci dans le cadre d’un enseignement public. Cela, pour la simple et bonne raison que l’équipe pédagogique de l’école active bilingue Jeannine Manuel, nous avait fixé des contraintes très fortes qui découlaient des objectifs pédagogiques qu’elle s’était elle-même fixés.
Les dispositions qui nous étaient demandées étaient de pouvoir notamment réunir des élèves en petits groupes. C’est donc en fonction de ces objectifs pédagogiques, qu’il nous a été demandé de concevoir de nombreuses petites salles, qui s’apparentent à des petits boxes au sein desquels les élèves pourraient se réunir en petits groupes. Dans le programme, il était également précisé que des salles de classes plus classiques devaient aussi être présentes dans la réalisation finale. Tous ces éléments additionnés plus d’autres encore, on percevait un certain nombre de lieux qui nous paraissaient alors pouvoir changer l’espace habituel de l’école. Nous avons donc réalisé une école qui n’a pas un seul couloir, où l’on retrouve un grand espace d’atrium lumineux éclairé par une verrière en partie haute. Tous les boxes distribués par ce grand atrium, sont vitrés. Les élèves peuvent donc à la fois s’isoler et s’ouvrir à l’espace commun, grâce à des stores intégrés dans les cloisons vitrées. Et lorsqu’ils sortent de l’un de ces boxes dans lequel ils viennent de terminer leur travail en groupe, ils entrent à nouveau dans l’espace commun, conçu comme une véritable place urbaine. A la fois protégé et éclairé par des verrières, cet espace commun est un lieu de vie, le lieu des copains. Les élèves avec les professeurs peuvent y organiser des réunions ouvertes, des fêtes, c’est une sorte de lieu informel dans lequel ils peuvent se retrouver.
Et au final, cette école a donc quelque chose de particulier, puisque lorsque vous y êtes en tant qu’élèves ou professeur, vous êtes dans un lieu qui fédère. Notre idée, au delà de ses fonctions, était en effet de réussir à créer par l’architecture, une véritable identité du lieu. Ce lieu dans lequel de nombreuses personnes vont se retrouver, s’y investir, s’identifier, sentir qu’ils appartiennent à un groupe et faire en sorte que grâce à lui, puisse exister un véritable lien entre tous les membres de la communauté de l’école.
Comment se passe concrètement le travail architectural lorsque vous devez concevoir un établissement scolaire ? Y’a t’il des entretiens organisés avec l’équipe pédagogique ? Qu’est ce qui change entre l’école dont vous venez de nous parler et d’autres types d’écoles, dite plus classiques ?
La plupart du temps, en tant qu’architectes, nous sommes dans des procédures de concours, on répond donc à un appel d’offre. On envoie un dossier de candidature, basé sur un programme architectural qu’on nous fournit au préalable. Puis on rédige notre proposition. Sur les candidats qui sont présélectionnés pour intégrer le concours, un seul candidat aura la chance d’être désigné comme remportant le marché. On ne rencontre donc jamais l’équipe pédagogique qui pourrait nous en dire plus sur les objectifs qui sont fixés.
A l’inverse, nous sommes bridés par un programme architectural qui fixe les choses et la plupart du temps, il ne contient pas de réflexion préalable sur la vie et la pédagogie que les enseignants veulent dans l’établissement. La qualité d’un bâtiment scolaire relève forcément du travail de l’architecte en tant que lieu, mais avant le travail de l’architecte il y a nécessairement une étape préalable qui se révèle être aussi importante que le travail de l’architecte pour parvenir à la bonne utilisation du bâtiment.
L’idéal serait donc de créer une rencontre entre les architectes qui conçoivent le projet et l’équipe pédagogique. On comprendrait mieux quel est le désir des pédagogues. L’architecte ne peut pas tout inventer et le projet se nourrirait évidemment de ce dialogue. Quand on a compris, pour l’école Jeannine Manuel, que la pédagogie exigeait de temps en temps de réunir les élèves en petits groupes de 5 personnes, on a eu l’idée de concevoir de nombreux petits boxes et cela fonctionne à merveille selon l’usage qu’ils nous avaient décrit au départ.
Nécessairement, avant le travail de l’architecte il faut donc qu’il y ait un travail préalable vis-à-vis du programme pédagogique et même plus : Comment imagine-t-on la relation au quotidien dans l’espace temps des enfants et des adultes qui sont dans la communauté scolaire ? Comment la vie doit-elle être imaginée pour que cela fonctionne bien ? Ce sont toutes ces questions auxquelles il faut répondre.
Ensuite seulement, on peut imaginer le programme pédagogique, autrement dit, qu’est ce qu’on va leur apprendre. C’est le travail qu’il est nécessaire d’engager. Il s’agit donc de convaincre les administrations pour faire bouger les lignes. Ensuite les architectes pourront saisir très facilement ce que doit être l’illustration de ces projets extraordinaires que les équipes pédagogiques entendent réaliser. C’est dans cette optique que j’ai interpellée la représentante du Ministère de l’Education Nationale qui était dans la salle de projection le jour de la diffusion du documentaire.
En plus de cette réflexion préalable que vous préconisez sur les objectifs pédagogiques, quelle est la spécificité de votre agence au regard des différentes réalisations que vous avez livrées ?
Au delà de la réponse aux besoins, qui sont exprimés dans le programme, on essaie toujours d’aller un peu plus loin. Concernant l’Université de la Citadelle à Dunkerque par exemple, le terrain attribué comportait un ancien entrepôt des tabacs, emblématique d’une imagerie portuaire et de l’histoire du lieu. Nous avions alors la liberté dans le concours de garder le vieux bâtiment ou de le détruire. La moitié des candidats avait choisi de démolir le bâtiment. Nous l’avons au contraire conservé. Les planchers de l’entrepôt ont été détruits révélant la structure bois et le volume existants : l’espace créé a été offert aux activités culturelles de l’université et de la ville.
Non seulement on a donc choisi de le garder, mais plus encore, de ne pas l’occuper par les fonctions du programme pour le laisser appropriable par les étudiants et on a gagné ce concours. Au final, nous avons donc offert aux étudiants un bâtiment de 1 000 m2 et de 20 mètres de haut en plus du programme. Et ce bâtiment a été entièrement pris en main par les étudiants. Au moment du carnaval, le lieu devient un véritable pole culturel du quartier qui ouvre l’université dans la ville. Si les occupants prennent les choses en main, ces lieux suscitent des échanges entre toutes les personnes qui vivent dans les murs et même au-delà.
Pour l’Ecole Novancia, située dans le 15e arrondissement de Paris, nous avons réalisé une grande cour entre deux bâtiments, l’ancien et le nouveau qu’on a du créer. Nous avons donc conçu un entre deux grâce à une sorte de grand atrium, lui-même recouvert d’une grande verrière. C’est un grand hall supplémentaire, dans lequel on a utilisé le toit du grand amphithéâtre pour créer comme une espèce de terrasse intérieure, qui aujourd’hui est un nouveau lieu à part entière. Ce lieu s’est très vite vu approprié par les étudiants pour être considéré comme un véritable lieu de vie, une espèce de salon collectif. Le fait est que ce lieu, comme pour l’Université de la Citadelle à Dunkerque, n’était pas prévu à la base, alors qu’aujourd’hui, c’est un véritable lieu de vie pour l’école.
On cherche donc à chaque fois à faciliter la vie de la communauté en créant des lieux qu’elle pourrait habiter. Notre intervention va donc au delà de la seule réponse à un programme pédagogique.
Enfin, sur le collège innovant de Mantes-la-Jolie pour lequel nous venons de concourir, le programme architectural propose une répartition de l’espace temps complètement innovante pour l’ensemble de la communauté scolaire qui composera cet établissement.
En ce qui concerne l’aspect pédagogique, de nombreuses innovations seront mises en place. Les élèves qui seront inscrits dans ce collège, seront tous intégrés au sein une équipe d’une trentaine d’élèves. A chacune de ces équipes qui ne seront pas forcément composées d’enfants issus de la même classe d’âge, sera attribuée une salle de référence, qui sera « leur maison ». Chaque équipe et par conséquent chaque élève composant ces équipes, pourra faire ce qu’il veut dans cet espace, qui sera en quelque sorte « leur salon ». Les élèves pourront s’y reposer durant l’intercours, se réunir durant la pause de midi, que sais-je encore, mais en tout cas, ils seront libres d’aménager ce lieu comme ils le souhaitent et donc de se l’approprier.
Par ailleurs, les élèves ne seront pas répartis dans des classes de niveaux et n’auront pas de classe attribuée. Ils auront des cours qui ne seront pas forcément organisés sous forme de plénière, mais plutôt sous forme de groupes de séminaires. Ils pourront donc intégrer des groupes de 2 de 4, de 15, de 30 voire même de 150… Au niveau des espaces, la corrélation habituelle entre une classe de 5e A avec une pièce de 50 m2 qui ferait office de salle de classe quotidienne n’existe donc pas. Nous avons alors élaboré une proposition mettant en avant un grand hall qui permettrait d’organiser des activités festives. C’est un lieu en plus, pour lequel on a poussé les murs et surtout pour lequel nous avons proposé de supprimer les espaces de couloirs situés au rez-de-chaussée. Tous les locaux du rez-de-chaussée sont donc lien direct avec le hall. De ce fait on obtient un hall beaucoup plus grand capable de participer au projet pédagogique.
Au delà de la motivation habituelle que nous avons aujourd’hui pour remporter ce concours, il y a pour nous une réelle envie de pouvoir discuter avec des personnes qui attendent réellement qu’on leur parle de leur espace : un espace qu’ils appréhendent comme indispensable à la bonne réalisation des objectifs pédagogiques.
Alors pour résumer, comment aujourd’hui on fait bouger les murs des écoles de demain ?
Si on veut que ça bouge, si on veut vraiment faire changer l’école et là je parle des murs de l’école, il est nécessaire qu’il y ait un travail pédagogique préalable qui compose le programme qui sera soumis aux architectes. Il est donc nécessaire que dans les programmes qu’on donne aux architectes, il y ait du sens qui soit ajouté. De cette manière, on pourra ouvrir les portes et donner les espaces adéquats à d’autres types de pédagogies.
Il y a 20 ans, nous avions participé à la réalisation d’un lycée innovant. Ce lycée était en effet novateur pour l’époque, mais dans les structures spatiales que son programme architectural décrivait, il n’était en rien différent de ses contemporains. Cela ne suffit donc pas de dire qu’on souhaite des lycées innovants. Il faut réellement se poser la question de ce que doit être l’innovation dans un établissement scolaire. Selon moi, il ne s’agit pas seulement de rajouter quelques éléments techniques, comme des installations informatiques de dernière génération, ou d’autres éléments technologiques… Ce qui est innovant avant tout, c’est la pratique de la pédagogie entre les enfants et les adultes, et par delà, cette pratique, ce que l’on souhaite mettre dans l’espace qui accueillera ces pratiques.