Ici bientôt anime l’étage de la rue !

La rue de la Ville pendant le chantier international "Do it your street", ©Maxime Disy 2018
9 Juin 2022 | Lecture 3 min

Lancée en 2017 pendant la Biennale Internationale de Design de Saint-Étienne, l’initiative Ici-Bientôt, portée par le CREFAD Loire, prend à bras le corps la problématique des rez-de-chaussée vacants. Celle-ci propose d’accompagner des porteurs de projets en ouvrant des boutiques éphémères et pérennes, mais également en animant des espaces partagés qui font revivre la Rue de la Ville.

Rencontre avec Florence Lenertz, animatrice du projet au sein du CREFAD Loire, pour parler revitalisation d’un quartier !

Comment s’est fédéré le projet Ici-Bientôt, et pourquoi avoir choisi de s’implanter Rue de la Ville, à la jonction entre le centre historique de Saint-Étienne et le quartier Beaubrun ?

« L’histoire d’Ici-Bientôt commence fin 2016/début 2017 avec l’installation du CREFAD Loire dans la rue de la Ville, accompagné des associations Carton Plein et Typotopy. L’implantation n’est effectivement pas le fruit au hasard et fait suite au travail de Carton Plein, sur la vacance commerciale au sein du quartier Jacquard de Saint-Étienne dans le cadre d’un projet éphémère. L’objectif du projet Ici-Bientôt était alors de poursuivre une mission similaire sur le temps long en nous installant nous-même dans un rez-de-chaussée commercial.

Dans un premier temps, nous avons conduit une démarche de recherche-action sur les rez-de-chaussée de la rue de la Ville, alors que plus de la moitié d’entre eux étaient vacants. Il a d’abord fallu mener une enquête approfondie pour retrouver les propriétaires : c’est-à-dire toquer aux portes comme consulter les archives afin d’identifier les derniers propriétaires. Mais on a également inscrit ce travail dans une étude plus large qui visait à retracer l’histoire de la rue, autrefois très commerçante et même riche par la présence de magasins de vêtements haut de gamme jusque dans les années 2000.

Porteur de parole © CREFAD Loire 2017

Porteur de parole © CREFAD Loire 2017

Il faut savoir que depuis les années 1970, Saint-Étienne a perdu 50 000 habitants pour en accueillir 170 000 aujourd’hui, et que cette chute démographique s’est accompagnée de la fermeture d’un grand nombre de commerces dans le centre-ville. Aujourd’hui, les pas de porte sont toujours vides avec des propriétaires qui se sont démobilisés pour des raisons très diverses d’une vitrine à l’autre. Certains possèdent l’entièreté d’un immeuble et récupèrent donc assez de loyers pour ne pas être incités à remettre le rez-de-chaussée en état, d’autres ne sont pas conscients des réalités du marché et appliquent des loyers bien trop élevés, et les derniers ne se savent même pas propriétaires au fur et à mesure des successions. »

Une fois ce premier travail réalisé, quelles formes d’accompagnements proposez-vous pour activer ces rez-de-chaussée ?

« Les types d’accompagnements sont très variables, et s’adaptent aux besoins et aux particularités de chaque projet, de chaque situation. Ça peut aller de simplement mettre en lien un propriétaire et une personne qui a un projet d’installation jusqu’à des accompagnements bien plus complets qui vont d’une ébauche d’idée à la création d’une structure et son installation. On peut également mentionner le cas de la Bricoleuse, atelier de bricolage, qui a été portée par des membres du CREFAD Loire aux côtés de la Poc Foundation et  de Alolise avant de se structurer en association indépendante dans son propre local.

On propose également des réactivations sur un temps court, pour montrer aux porteuses et porteurs de projet qu’il est possible de concrétiser leurs idées, grâce à des baux dérogatoires par exemple. Ça permet de tester et de ne pas s’engager sur un bail commercial 3-6-9 plus traditionnel, ce qui est rendu possible par la municipalité. On peut alors se rendre compte si le projet fonctionne ou non, ou si les locaux sont en fait sous-dimensionnés pour l’activité prévue.

Nous mettons enfin à disposition des associations une partie de notre local, qui est devenu le centre du projet Ici-Bientôt, avec un espace de réunion et de travail pour des associations de passage et des porteurs de projets au rez-de-chaussée. »

Après cinq ans d’actions, la rue semble avoir bien changé. Quelle est l’étape suivante pour le projet Ici-Bientôt ?

« Notre diagnostic sur les rez-de-chaussée vacants a été étendu aux rues alentour et on cherche désormais à déborder dessus avec les associations et les autres acteurs du quartier Beaubrun-Tarentaize. Pour cela, et avec tous les autres acteurs du quartier, on a, par exemple, co-conçu un outil d’animation mutualisé dans l’espace public, qui est hébergé à la médiathèque de Tarentaize est accessible à tous : l’OMNI, dont la conception a été animée par l’association O.U.F et la fabrication par la Bricoleuse.

Inauguration de l'OMNI © Crefad Loire 2021

Inauguration de l’OMNI © Crefad Loire 2021

Demain, nous allons poursuivre notre action grâce au projet de l’Atlas des Possibles, que l’on considère comme la suite d’Ici-Bientôt. Celui-ci prolonge notre construction et fonctionnement de tiers-lieu en archipel, avec plusieurs associations et services qui prennent place dans des espaces mutualisés selon les besoins. L’Atlas des Possibles, c’est le projet d’acheter collectivement l’immeuble situé au 29 rue de la ville avec sept autres associations pour en faire le QG, la pièce maîtresse de cet archipel.

Ce bâtiment de 500 mètres carrés répartis sur cinq niveaux devrait alors accueillir en vitrine d’un côté un café-cantine d’un côté et de l’autre une conciergerie de quartier qui constituera un centre de ressources sur l’éducation populaire, ainsi qu’une sorte d’office de tourisme de la rue de la Ville. La cour intérieure de 100 mètres carrés pourra accueillir une terrasse, mais également une forme d’excroissance de l’atelier associatif La Bricoleuse, qui pourra déborder en cœur d’îlot. L’Atlas ce sont ensuite des bureaux, des salles de formation, un espace dédié à la reprographie et à la photo, ainsi que des espaces communs comme une salle polyvalente. Autant d’espaces qui nous permettront de combler nos besoins, mais aussi de créer un nouvel espace-test de cuisine au niveau du café-cantine, où des porteuses et porteurs de projets seront accompagnés pour tester leur activité sur 1 à 3 ans.

© Domizia Tosatto

© Domizia Tosatto

Ce projet est également l’aboutissement de nos réflexions sur la propriété collective à but non-lucratif. On utilise tous les mécanismes et outils juridiques à notre disposition pour que l’accès à la propriété soit facilitée aux associations tout en la stabilisant pour qu’elle n’en supporte pas les risques. Plutôt qu’une propriété rémunératrice, c’est une propriété d’usage qui prédominera dans l’Atlas des Possibles. »

Pouvez-vous me préciser les outils que vous utilisez pour acheter ce futur QG ?

« Afin d’acheter l’immeuble nous avons créé une SCI (Société Civile Immobilière) avec laquelle nous avions d’ailleurs déjà acheté notre local actuel. Une couche coopérative va y être ajoutée, pour que le pouvoir de décision ne soit pas proportionnel au nombre de parts, et les mécanismes de spéculation seront empêchés pour limiter la revalorisation : quand une association quitte la SCI, elle ne peut pas s’enrichir pas sur la valeur créée. Si il y a de la plus-value, elle retombe dans le projet plutôt que de rémunérer les sociétaires.

Un deuxième outil est le fonds de dotation que nous avons créé pour nous permettre de lever de l’argent sous forme de dons, défiscalisables. Ce fonds fait partie intégrante de notre SCI et possède la majorité des parts afin de la stabiliser. Ainsi chaque association n’a qu’une petite part afin de faciliter les entrées et les sorties. Ce fonds est mutualisé au niveau du réseau national des CREFAD, qui ont pour beaucoup le même type de projets d’achat et de réflexion sur la propriété collective. Plutôt que de proposer à des acteurs privés de devenir sociétaires, on leur permet de donner de l’argent en participant à des campagnes de financement participatif.

Préfiguration artistique dans l'immeuble du futur Atlas des Possibles, ACTE 7 "Adolescences" Compagnie sous X, ©Superstrat 2021

Préfiguration artistique dans l’immeuble du futur Atlas des Possibles, ACTE 7 « Adolescences » Compagnie sous X, © Superstrat 2021

On se place donc comme un acteur de la fabrique urbaine, au même titre qu’un promoteur immobilier ou qu’un propriétaire privé, en proposant un autre modèle, dont on souhaite démontrer la pertinence et la pérennité. Sortir un bien de la propriété lucrative permet de l’inscrire dans le temps, et de trouver les mécanismes qui font en sorte que seules des associations puissent en avoir l’usage. Même si le CREFAD Loire décide de quitter la SCI, les statuts de celles-ci garantissent que seules des associations à but non lucratif restent maîtresses du bâtiment. »

Les projets menés par le CREFAD Loire comme Ici-Bientôt ou l’Atlas des Possibles visent-ils à changer l’image de « capitale des taudis » qui colle à la peau de Saint-Étienne et du quartier Beaubrun en particulier ? 

« Cette image du quartier Beaubrun comme « capitale des taudis » véhiculée de manière exagérée à l’extérieur repose sur des problématiques avérées. Il suffit de voir la qualité très dégradée du bâti pour s’en rendre compte. Mais plutôt que de simplement changer l’image du quartier, nous cherchons à le changer dans les faits, d’autant plus que le quartier ne manque pas de personnes qui ont envie de porter des beaux projets. Notre rôle, c’est justement de les rendre possibles, que des vitrines se remplissent, qu’il y ait du monde dans la rue.

Dès le départ, nous étions dans l’idée que travailler sur les rez-de-chaussée vacants permettrait également d’investir l’espace public, puisque animer des vitrines c’est participer à l’animation des rues. Le contexte était assez favorable à ce genre d’intervention il y a cinq ans, puisque que le quartier attendait la deuxième phase du projet ANRU, et que plusieurs services fermaient (la CAF, l’URSSAF, la Sécurité Sociale, le théâtre la Comédie) pour être déplacés de l’autre côté de la ville. C’est à ce moment-là qu’on a voulu interroger les passantes et les passants sur leurs pouvoirs d’agir, sur leurs connaissances de la ville et ce qu’il était possible de faire dans l’espace public.  Nous avons par exemple pris la liberté de construire des bancs place Boivin, au bout de la rue de la Ville, dans le cadre d’un cycle d’événements avec d’autres associations. Et ces bancs sont encore aujourd’hui présents en attendant que la rue soit réaménagée.

Aujourd’hui, on a mis cette partie de notre activité en pause, puisqu’on arrive dans la phase où la Ville de Saint-Étienne engage une équipe qui organise la concertation sur l’espace public, et on ne cherche pas à se substituer à eux ou à brouiller les frontières. On essaie plutôt de travailler avec les commerçantes et les commerçants avec qui on cohabite sans toujours trop se connaître, pour monter un événement qui va permettre la rencontre et l’échange avec bien évidemment la perspective de l’Atlas des Possibles qui va drainer encore plus de monde qu’aujourd’hui.

© Maxime Disy/CREFAD Loire

© Maxime Disy/CREFAD Loire

On porte enfin un projet de programmation partagée à l’échelle du quartier, avec d’autres structures (médiathèque, centre social, amicale laïque) dans le cadre de la Biennale du Design 2022. Plutôt que de proposer quelque chose de nouveau, on a voulu montrer ce qu’il se passe dans toutes les associations du quartier. Pour ce projet intitulé « Voyager à Beaubrun-Tarentaize », chaque structure a sélectionné des événements à mettre en avant dans une programmation commune, avec une volonté de valoriser la richesse associative et bénévole du quartier.»

LDV Studio Urbain
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