Home sweet home: Mona Chollet, ou l’habitat réenchanté

3 Août 2015

Le logement, parent-pauvre de l’imaginaire urbain ? Que nenni, s’élève l’essayiste Mona Chollet dans un récent ouvrage, qui offre un décloisonnement salvateur de nos horizons domestique…

Les chaleurs estivales font écho à la récente publication d’un passionnant ouvrage, signé Mona Chollet et publié aux Éditions Zones : “Chez soi, une odyssée de l’espace domestique”. Un titre qui résume à merveille une tendance de fond, que nous allons tenter de décrypter ici : la retour en force du logement comme espace de réenchantement, et de réappropriation.

Enfin, l’habitat réhabilité

Si l’essai de Mona Chollet est intéressant, c’est parce qu’il résonne avec une mutation du regard porté sur l’habitat comme espace paradoxalement méconnu. En effet, le “chez-soi” nous est tellement familier qu’on en oublierait presque de l’étudier. Au fur et à mesure que la ville se complexifiait, sociologues et anthropologues ont progressivement détourné leurs regards hors du domicile, pour s’intéresser aux passionnants sujets qui nous animent sur ces colonnes. Mais, par corollaire, l’habitat est lentement devenu le “parent pauvre” des imaginaires urbains. Au point qu’il faille redire et réécrire ce qui étaient autrefois de saines évidences : oui, on peut être heureux en restant chez soi. C’est tout l’objet de l’ouvrage de Mona Chollet, que Libération résumait parfaitement :

"Chez soi, une odyssée de l'espace domestique” - Mona Cholet. Crédits : Éditions Zones

« Chez soi, une odyssée de l’espace domestique” – Mona Cholet. Crédits : Éditions Zones

« Non, l’espace domestique n’est pas cet endroit terne auquel il convient de ne pas jeter un regard. Et ce qui se passe à l’intérieur des maisons est aussi intéressant que ce qu’il y a dehors. C’est la thèse audacieuse avancée dans un essai de Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique […] Pourquoi le travail domestique est-il autant méprisé ? Comment concilier l’intérieur (le confort du salon) avec l’extérieur (le monde tel que raconté sur Internet, par exemple) ?
Pour faire le tour de ce vaste sujet, Mona Chollet convoque la philosophie et l’architecture, le féminisme et la politique, Instagram et le ­travail du dimanche. Et cite, pêle-mêle, Gaston Bachelard et Georges Perec, Raoul Vaneigem et Virginia Woolf, Nicolas Bouvier et Betty Friedan. Éclectique et pop, cet ouvrage nous fait considérer autrement le «chez-soi» : qu’on se le dise, notre table basse est, elle aussi, politique. »

Voir l’extérieur de l’intérieur

Non seulement notre table basse est un objet “politique” (au sens noble du terme), mais elle est de surcroît un objet doté d’un imaginaire plus riche qu’il n’y paraît. Au sein d’un foyer se construisent les sociabilités d’une famille, non seulement entre les membres d’une même famille, mais aussi avec un réseau toujours plus étendu. Cette théorie est connue depuis plusieurs décennies, mais elle prend dans l’espace du “chez soi” un atour bien plus stimulant. L’ubiquité offerte par le numérique, en effet, permet de tisser des liens avec des individus et des communautés a priori éloignées, que ce soit par la distance physique ou culturelle ; pour reprendre Mona Chollet :

“Rester beaucoup chez soi n’est pas forcément le signe d’un manque d’intérêt pour le monde : on déploie sa curiosité tout autant, mais de manière ­différente. On n’est pas plus hermétique au monde extérieur, il y a une perméabilité. Il s’agit, après tout, de trouver un équilibre, une harmonie entre l’intérieur et l’extérieur. Internet représente parfaitement ce rapport entre intérieur et extérieur.”

La profession de foi du foyer

Cette porosité, à défaut d’être un phénomène véritablement nouveau, apporte un éclairage nouveau sur ce qu’est précisément l’habitat. L’évolution de celui-ci, à travers l’Histoire ou plus récemment avec l’émergence de l’économie collaborative, invite à en effet à se question sur la nature de cet “espace domestique” qui devient tantôt un bureau, tantôt un hôtel. Cette dimension protéiforme du logement a d’ailleurs été particulièrement comprise par les publicitaires, à l’image de cette campagne pour les cuisines Mobalpa, véritables “hubs” de ce logement multi-fonctions. La cuisine y devient tour à tour agora, salle de concert ou salle de classe :

https://www.youtube.com/watch?v=Yt_hZe193PA

Ce faisant, la notion de “foyer” s’éloigne de ce qu’elle a longtemps défini, renforcée par la fragmentation des cellules familiales. Comme l’écrit la journaliste Marion Rousset dans sa lecture de l’ouvrage de Mona Cholet,

“le foyer dont il est ici question ne renvoie pas à la famille nucléaire ni à la fée du logis, aux repas du dimanche ou aux sapins de Noël. Ce serait plutôt la « chambre à soi » de l’écrivaine féministe Virginia Woolf, la maison dans laquelle l’auteur-baroudeur Nicolas Bouvier a vécu toute son existence, ou encore les architectures idéales de Christopher Alexander. Dans son encyclopédie, celui-ci préconisait la création, à l’intérieur du logement, d’« un royaume privé, presque un foyer à part entière » pour chaque adulte. Autant de lieux réels ou fantasmés dans lesquels s’isoler pour préserver son individua­lité, penser et créer, se ressourcer avant de s’élancer de nouveau dans la foule.”

La ville agile comme inspiration

Car c’est en effet dans l’imaginaire que tout se joue. Si Mona Chollet écrit que “l’essentiel se joue dans le quotidien et l’ordinaire”, rien n’empêche de le rendre précisément extra-ordinaire. Pour ce faire, divers moyens existent, et l’on pourra ici s’inspirer des pratiques qui s’organisent pour réenchanter l’échelle de la ville. On transforme par exemple les quais en plages éphémères, pourquoi ne pourrait-on pas le faire dans un logement ?

Évidemment, on peut aussi imaginer des enchantements plus raisonnables – et moins dispendieux ! – en reprenant les bonnes recettes de l’événementialisation urbaine : privilégier des installations temporaires, faciliter la mixité des usages, inviter la culture dans l’espace du quotidien : tous ces “enseignements”, qui ont prouvé leurs vertus à travers les métropoles du monde, permettent aujourd’hui de dessiner les contours de ce que sera peut-être la décoration intérieur de demain. Et pourquoi pas, en poussant la logique et puisque la période s’y prête, partir en vacances… chez soi ! Une tendance que les sociologues avaient baptisé “staycations” au milieu des années 2000 (pour “stay” + “vacations”, littéralement des vacances où l’on reste chez soi). Les plus téméraires d’entre vous s’inspireront s’ils le souhaitent de ce superbe clip du groupe français Jupiter, dans lequel l’habitat se réinvente et se végétalise à l’aune des fantasmagories du duo qui l’habite…

Note : fidèles à leur habitude, l’ouvrage de Mona Chollet est entièrement consultable sur le site des Editions Zones. Si nous vous conseillons évidemment l’achat de l’ouvrage par soutien à l’autrice et à son éditeur, les plus intrigués d’entre vous pourront y trouver un judicieux avant-goût !

Pour aller plus loin :

– Certains réenchantements sont moins enthousiasmants que d’autres : passionnant article sur “les déboires d’un propriétaire de maison hantée”
– Télétravail + économie collaborative = le logement comme bureau à partager, ou comment l’habitat se métamorphose
– Parmi les bonnes feuilles de l’ouvrage de Mona Chollet, cet extrait sur la blogueuse cuisine Mimi Thorisson, ou “l’hypnose du bonheur familial

{pop-up} urbain
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