UN-Habitat : le programme diplomatique hybride pour débattre d’un avenir urbain durable
Cette semaine s’ouvre à Quito (Equateur) la conférence Habitat III, troisième rassemblement des Nations Unies sur le logement et le développement urbain durable. Grand rendez-vous diplomatique inutile, ou occasion historique de rassembler tous les acteurs de la ville et débattre d’un avenir urbain durable? Début de réponse avec un éclairage sur le fonctionnement d’UN-Habitat.
Avril 2015, Nairobi, hub de la diplomatie pour l’Afrique de l’Est. Il existe, à une demi-heure du centre-ville, dans des bâtiments modernes entourés de verdure, un monde étrange qui fonctionne presque en vase clos. Ce n’est pas un nouveau parc Disney mais le campus des Nations Unies : leur salle de sport, leur piscine, leur bar. On se croirait chez Google…aux frais du contribuable mondialisé. Perchées sur leur colline au nord de la capitale, les Nations Unies donnent le sentiment d’être coupées du monde ou en tous cas des populations locales. Cette séparation est d’autant plus frappante quand on pense à l’intégration dans son environnement urbain du siège de New York. Sur ce campus, UN-Habitat partage avec l’UNEP (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) les locaux d’un bâtiment passif qui fonctionne sans air conditionné. Nous y assistons à un comité préparatoire à la conférence Habitat III.
Le Directeur exécutif d’UN-Habitat, Joan Clos, est l’ancien maire de Barcelone. Il ouvre l’évènement en ciblant sa priorité : « la question d’une ville abordable pour tous devient un enjeu majeur dans l’aménagement urbain. » Il affirme du même coup une ligne de conduite pour la conférence : « Nous avons un besoin absolu d’humilité pour résoudre les problèmes urbains avec des solutions simples sans chercher constamment à réinventer la roue. » Conscient des défauts habituels de ces grandes réunions, Joan Clos rappelle, non sans ironie : « Nous pouvons aborder la question de l’urbanisation de multiples manières. Mais pour Habitat III, nous devons quitter le domaine de l’art et de la littérature, fort appréciables, pour se tourner vers des politiques pouvant concrètement être mises en œuvre. »
Un programme onusien pas comme les autres
Cette liberté de ton est sans doute liée aux origines d’UN-Habitat. Créée en 1975 comme une simple émanation de l’UNEP, UN-Habitat a gagné en importance au cours des années à mesure que le phénomène urbain devenait majoritaire sur la planète. Loin des vingt-et-une conférences organisées sur le climat, UN-Habitat s’inscrit sur le temps long et structure son action sur des grands rassemblements tous les vingt ans. Après Habitat I à Vancouver en 1976 et Habitat II à Istanbul en 1996, la réunion de Quito a pour ambition de fixer le cap de la communauté mondiale en termes de développement urbain pour les deux décennies à venir.
En 40 ans, UN-Habitat s’est développée de manière organique et moins institutionnelle que les autres agences de l’ONU. Malgré un mandat très large, l’action de UN-Habitat était jusqu’à récemment centrée sur les questions de logement et d’habitat. L’arrivée d’un nouveau Directeur exécutif en 2010 s’est accompagnée d’un élargissement concret du champ d’action d’UN-Habitat. Aujourd’hui le programme onusien traite la question de la planification urbaine, et par conséquent celle de la gouvernance urbaine générant une bonne ou mauvaise urbanisation.
UN-Habitat se trouve donc dans une situation singulière. Habituellement, les agences et programmes de l’ONU (UNICEF, UNESCO, OMS…) font échos à des compétences étatiques et les assemblées générales des Etats sont donc légitimes et compétentes sur le sujet. Or, UN-Habitat traite de compétences liées principalement aux collectivités locales. Dès lors, comment faire pour converser avec les acteurs pertinents sans aller à rebours du fonctionnement onusien?
Une structure hybride tournée vers la concertation
UN-Habitat se conçoit comme un facilitateur qui réunit autour de la table les différentes partie-prenantes afin de faire le lien. L’ambition première reste de guider les gouvernements dans leurs objectifs, tout en assurant le rôle normatif qui incombe aux programmes onusiens. Ce rôle est d’autant plus important que les deux dernières décennies ont vu les acteurs publics reculer et les acteurs privés gagner en importance dans les politiques de logements à travers le monde. Ce phénomène a pour conséquence néfaste de déconnecter la construction de logement de la planification urbaine. Au sein du département Housing de UN-Habitat, on nous confie : « Le problème c’est que dans les pays développés, quand on construit ce n’est pas pour loger les gens mais pour spéculer. Ce phénomène prend de l’ampleur aussi dans les pays en développement. En anglais on parle de commodification du logement, l’utilisation du logement comme un bien de spéculation ».Tout en restant ouvert aux autres acteurs, la volonté de UN-Habitat reste donc claire : éviter les dérives en réaffirmant le rôle de l’Etat et du secteur public dans les politiques de logement et d’aménagement.
Tout soutien d’UN-Habitat aux gouvernements locaux ou nationaux pour la formulation de leurs politiques d’aménagement commence par une analyse des dynamiques locales. Cette analyse s’appuie la plupart du temps sur un processus participatif. C’est alors souvent la première fois que les gouvernements parlent à la même table avec le secteur privé et la société civile. Cette philosophie de travail a été également utilisée lors des réunions préparatoires d’Habitat III. Ce jour-là à Nairobi, toutes les parties prenantes sont représentées : groupement des gouvernements locaux, représentants du secteur privé, aménageurs publics, associations d’habitants des bidonvilles, associations de jeunesse, et professeurs issus du monde académique.
Depuis, chaque groupe a travaillé tout au long de l’année sur un document visant à expliciter les engagements qu’ils souhaitent prendre pour permettre la réalisation d’un nouvel agenda urbain durable et inclusif pour les vingt ans à venir. Les contributions des différents groupes sont réunis dans le Plan de Mise en œuvre de Quito (Quito Implementation Plan) consultable sur le site de la conférence. Ces engagements volontaires (mais néanmoins coordonnés) visent des actions concrètes et des objectifs quantifiables. Cela tranche par rapport aux textes souvent vagues dont accouchent les conférences onusiennes. Loin de son image coupée du monde, UN-Habitat a réussi son premier pari en mettant autour de la table tous les acteurs de la ville, sortant des clivages habituels. Espérons d’en voir les résultats avant Habitat IV, dans vingt ans.