Habitat : l’aube d’un nouveau jour
S’il a longtemps semblé « préservé » des grandes mutations que connaît la ville, l’habitat est aujourd’hui à l’orée d’une véritable métamorphose. Sous l’impulsion de plusieurs tendances majeures – et de quelques fluctuations complémentaires -, le logement se réinvente : dans ses formes, bien sûr, mais aussi dans ses fonctions, ses usages et même ses définitions…
Numérique et collaboratif, les deux mamelles du changement
Cette métamorphose s’explique d’abord et avant tout par la concomitance de deux tendances, qui se coordonnent pour transformer l’habitat. Le premier est sûrement le plus évident : le numérique, enfin, semble pénétrer la cellule du logement. Si la domotique est longtemps restée une belle promesse inachevée, la démocratisation des technologies numériques et des terminaux personnelles permettent aujourd’hui d’imaginer un domicile véritablement connecté. Et l’explosion attendue de l’Internet des Objets devrait renforcer cette tendance… Si l’habitat “intelligent” n’est toutefois pas encore une réalité, nul doute que les acteurs du secteur sauront mettre à profit leurs compétences pour le concrétiser plus efficacement.
La seconde tendance est un peu moins perceptible, mais tout aussi significative. S’immisçant elle aussi dans l’espace du logement après avoir chamboulé la ville, l’économie collaborative augure un lot de mutations particulièrement saillantes. Initiée par Airbnb, voire Couchsurfing si l’on remonte dans le temps, la mutation est avant tout conceptuelle. En effet, si le logement était hier celui d’un seul ménage sur une période donnée, il est aujourd’hui celui de tous les ménages qui souhaiteront y passer une nuit… La frontière d’antan, faisant une séparation nette entre l’intérieur (le royaume de l’intime) et l’extérieur (l’espace public au sens large), se fait logiquement plus poreuse…
J’irai dormir (et bosser) chez vous
Mais cela va aujourd’hui plus loin. On voit par exemple émerger certains services tels que OfficeRiders, dont le slogan est sans équivoque : “My home is your office” – « Ma maison est ton bureau ». « OfficeRiders permet aux particuliers de louer leurs espaces sous-utilisés la journée aux professionnels », explique ainsi le site de la plateforme sur laquelle des particuliers peuvent mettre en location leurs logements pour les transformer, le temps d’une réunion, en salle de travail. L’outil s’inscrit ainsi dans le sillage d’une économie en pleine réinvention, marquée la multiplication des freelances et des très petites entreprises, qui peuvent avoir ponctuellement besoin de salles de travail. Le domicile vient ainsi se greffer à un écosystème de plus en plus touffu d’espace de coworking et plus généralement de « tiers-lieux »… changeant par la même occasion de définition. Si le logement d’hier était presque exclusivement réservé à la fonction ‘Habiter’, il en accueille désormais de nombreuses autres : ‘Travailler’, donc, et pourquoi pas d’autres qui restent à inventer !
De même, le numérique augure de véritables changements dont on perçoit encore mal les ramifications, mais qui semblent particulièrement intéressants pour l’œil du prospectiviste curieux. Nombreuses sont en effet les propositions des géants de la tech qui promettent un domicile dans lequel les écrans se glisseront partout : sur les murs du frigo, bien sûr, mais aussi dans les placards, les toilettes ou les salles de bains ! Si ces miroirs connectés proposés par Toshiba et consorts restent encore quelque peu caricaturaux, ils n’en restent pas moins porteurs d’un autre changement de définition (encore un !) : les pratiques digitales, hier réservées aux chambres et au salon, conquièrent ainsi toutes les pièces à vivre du logement, et il sera potentiellement possible de gérer ses mails entre deux brossages de dents, ou d’effectuer un Skype depuis sa buanderie. Ajoutons au passage que de tels usages existent d’ores et déjà via les smartphones et tablettes personnelles : ces écrans prometteurs devront donc nécessairement proposer mieux, en termes d’ergonomie ou de puissance de calcul, s’ils souhaitent les supplanter dans les usages.
L’habitat en métamorphose(s)
De tout cela, que retenir pour les acteurs du logement ? La réponse est peu ou prou la même que celle que donnait l’architecte-urbaniste Beatriz Ramo, dans ces mêmes colonnes, concernant la nécessité de répondre par l’architecture aux mutations des structures familiales :
« Il s’agit ainsi de revoir l’habitat au prisme de ces nouveaux modes de vie, de réviser les typologies classiques dans la production de logements et d’optimiser l’existant. Chez STAR strategies + architecture, nous parlons d’évolutivité des appartements neufs : le logement doit pouvoir évoluer en fonction des besoins d’espace de ses habitants. »
Les réponses à donner aux deux tendances évoquées ci-dessus imposent en effet le même changement de prisme, et donc de penser l’évolutivité d’un logement qui sera soumis à de nouveaux besoins mouvants. Par exemple, comment faciliter la transformation d’un logement en bureau, et inversement, le temps d’une éphémère location ? De même, comment repenser la forme et le design d’une salle de bain en tenant compte des nouveaux usages qui pourront y germer, grâce aux nouvelles technologies notamment ?
On pourrait ainsi multiplier les questions à l’envi. Pour l’heure, les réponses s’attardent sur des structures modulaires assez légères, qui viennent littéralement se greffer dans l’enceinte du logement. Celles-ci restent encore expérimentales mais néanmoins prometteuses, et tout le secteur semble s’être mis au diapason pour répondre à cet enthousiasmant défi (cf. « Quand les modes de vie actuels façonnent l’habitat du futur », sur Batiactu). Néanmoins, il faudra bien un jour ou l’autre s’attaquer à une question aussi fondamentale que sous-jacente à toutes les problématiques évoquées ci-dessus : au final, c’est quoi l’habitat ? Entre changements de formes, d’usages et de définitions, une seule chose est sûre : l’habitat de demain ne sera pas celui que nous avons connu jusqu’ici…
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Note : ce billet fait suite à une intervention donnée par l’auteur dans le cadre du MIPIM 2016 sous la tente Bouygues Immobilier, aux côtés de Nathalie Watine, Gauthier Ansiaux et Grégory Van De Velde.
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Pour aller plus loin :
- A propos de l’impact de l’économie collaborative sur l’habitat, et notamment sur le plan des gouvernances urbaines : “L’économie du partage en questions – #2 : le bâti, entre ouverture et tractations”, par l’auteur
- Une agence hollandaise propose de transformer des entrepôts inoccupés en logement, grâce à de simples modules agiles : “Modular Hub Transforms Disused Offices Into Urban Apartments”, sur Pop Up City
- Au-delà de l’habitat, les parties communes sont elles aussi concernées par des mutations similaires. A ce sujet : “Les parties communes dans l’habitat : des usages à réinventer”, par L’École de design Nantes Atlantique