Habitat et Partage, l’immobilier à la sauce ESS ?
En plein développement, l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) se déploie en France, notamment depuis sa reconnaissance par la Loi du 31 juillet 2014, qui en fait une économie à part entière. Véritable alternative à l’économie de marché, elle transforme de nombreux secteurs, y compris l’immobilier. Explorons ces changements avec le cas concret d’Habitat et Partage, une société coopérative d’habitat participatif.
Promouvant des valeurs d’utilité sociale, d’équité, de protection de l’environnement, l’ESS regroupe l’ensemble des coopératives, mutuelles, associations, mais aussi fondations et sociétés commerciales qui agissent au quotidien pour tendre vers un meilleur équilibre entre performance économique et cohésion sociale. Elle propose différents dispositifs économiques, financiers et modèles d’organisations, visant au travers d’actions socialement utiles, un fonctionnement économique coopératif et ancré localement.
Avec l’émergence de l’innovation sociale et de l’habitat participatif, qui transforment les méthodes de faire l’immobilier, on constate ces dernières années, une mutation progressive du secteur. Naissent de nouvelles approches intégrant des thématiques telles que le lien social, l’autogestion, le partage et la solidarité. Peut-on pour autant déjà parler d’immobilier à la sauce ESS ?
Changer la logique immobilière : l’ESS par le prisme de l’habitat participatif
L’habitat participatif se démocratise dans les années 2000 en France et impulse progressivement un autre modèle. Il s’agit d’une nouvelle forme de promotion immobilière intégrant une démarche citoyenne, qui regroupe plusieurs ménages ayant pour volonté de concevoir, construire, financer et gérer ensemble un immeuble collectif. Cette nouvelle manière d’habiter a été officialisée par un cadre juridique instauré par la loi Alur en 2014. Une reconnaissance qui facilite aujourd’hui sa mise en place.
Totalement inscrit dans cette mouvance, Habitat et Partage cherche à développer le modèle de l’habitat participatif dans l’optique d’aller plus loin que sa forme actuelle. Car si l’habitat participatif a le vent en poupe, les projets ont pourtant parfois du mal à décoller, que ce soit en raison de la complexité pour les groupes d’habitants de monter un projet, les difficultés à réunir les financements ou une co-construction qui peine à voir le jour.
Dès ses débuts, l’ambition du projet d’Habitat et Partage est claire. Le Groupe cherche à monter des projets participatifs par le biais de divers moyens : d’abord, l’auto-promotion d’habitats participatifs pour le développement d’un parc immobilier qui lui sera propre, et ensuite, l’accompagnement d’une Société Civile Immobilière d’Attribution (SCIA), permettant l’achat à plusieurs d’un bien immobilier.
Plusieurs projets sont déjà en cours. Habitat et Partage accompagne les quelques étapes clés pour une co-construction solidaire et durable. La première est celle de la recherche de terrains disponibles auprès des élus, des aménageurs et des bailleurs. Puis vient la sollicitation de personnes intéressées par la démarche d’habitat participatif, dans le but de créer un groupe d’habitants. Et enfin, Habitat et Partage accompagne ce collectif tout au long du processus de construction et de maturation du projet.
Audrey Gicquel, dirigeante associée d’Habitat et Partage, nous explique que l’habitat participatif change l’image de l’immobilier. Elle-même habitante d’un logement issu de ce modèle, elle affirme que :
le participatif propose une posture différente des habitants vis-à-vis de leur lieu de vie, créant alors une dynamique du vivre-ensemble avec de l’entraide, de la solidarité et de l’intergénérationnel qui va par exemple considérer les personnes âgées comme utiles à la société. Cette révolution sociétale et ce dynamisme vont également se retrouver dans le quartier avec des habitants très actifs, avec un mode de vie qui peut alors se répandre assez rapidement.
L’ESS, un bagage d’outils utiles pour le changement
Avec ce basculement, on le voit bien, il s’agit d’avoir la possibilité de faire autrement. Or le développement de coopératives d’habitants, de sociétés d’habitats participatifs ou encore de sociétés de promotion immobilière autogérée par les habitants, sont autant de structures directement issues du monde de l’économie sociale et solidaire (ESS).
Habitat et Partage reprend ainsi les avantages de l’immobilier, notamment en ce qui concerne le montage économique et juridique pour ainsi porter avec sécurité, différents ensembles d’habitats participatifs. Le principe d’habitat participatif permet la sauvegarde de valeurs solidaires avec une co-construction réalisée autour de la coopération, du partage, de l’écologie, de la solidarité et de l’innovation. S’appuyer sur les outils qu’offre l’ESS, permet ainsi de créer une nouvelle manière de concevoir des logements et de considérer le montage financier et juridique, en impliquant davantage les citoyens concernés.
Après 5 ans d’expérience visant à démocratiser l’habitat participatif, l’association change de statut en 2018 pour devenir une société coopérative d’intérêt collectif anonyme (SCIC SA), ce qui lui permet de se lancer dans l’autopromotion. Autrement dit, donner la possibilité à des particuliers de se regrouper afin de concevoir, de financer et de réaliser ensemble un projet immobilier. Un changement qui donne à Habitat et Partage la possibilité de prendre de l’ampleur, avec l’ambition de développer plusieurs opérations immobilières et de se constituer un patrimoine de logements en habitat participatif.
Habitat et Partage est une activité sans but lucratif, puisque tous les bénéfices sont réinvestis dans les futurs nouveaux projets pour un modèle économique soutenable, rejoignant ainsi la volonté de durabilité des projets sociaux dans le secteur de l’économie sociale et solidaire.
Tendre vers le modèle coopératif pour davantage intégrer les futurs habitants ?
“Le secteur de l’immobilier assiste à la fin d’une époque où les acteurs de l’immobilier pensaient à la place de l’habitant”, nous raconte Audrey Gicquel d’Habitat et Partage. En effet, de plus en plus de projets prennent davantage en compte le destinataire du logement, et cela par divers outils et méthodes, de la concertation à une approche plus collaborative ou participative.
Très développée dans certains pays comme la Suisse, le Canada et en Belgique, il s’agit d’un principe entre location et propriété. L’idée est de donner la possibilité aux habitants de gérer leur bâtiment comme une propriété collective, sans propriétaires. Avec un apport faible et des loyers modérés, les habitants détiennent des parts de la société propriétaire du bâtiment, tout en étant locataires des logements.
En lien avec le modèle de la cité-jardin, ce principe se base sur une approche démocratique où chaque personne possède une voix, pour l’élaboration d’un projet commun. D’autres sociétaires peuvent se greffer au projet comme des architectes ou des investisseurs solidaires.
Cette co-création pour une gouvernance partagée assure la garantie d’une certaine solidarité entre les habitants. Ceux qui vivent dans le lieu peuvent choisir leurs espaces communs et privés, ainsi que l’état d’esprit et les valeurs d’une vie partagée. Pour rendre cela possible, l’équipe d’Habitat et Partage utilise des outils ludiques et clairs lors des ateliers, notamment le ressentimètre, une méthode humanisante qui consiste à mesurer ses émotions au début et à la fin d’un atelier ou d’une réunion. Un travail de co-construction de longue haleine puisqu’il faut environ trois ans pour mener à bien un projet participatif.
Ainsi, Habitat et Partage se présente comme un acteur d’accompagnement assurant la bonne gestion des projets d’habitat participatif. Fort d’une expérience associative variée, cet acteur issu de l’ESS possède aussi un statut de foncière qui solidifie son portefeuille immobilier. Par exemple, lorsque l’un des immeubles collectifs est en capacité de rembourser son prêt, cela lui permet d’être capable de financer d’autres projets immobiliers participatifs. Sous cette forme, l’immobilier est alors non spéculatif et d’intérêt collectif. Un moyen de répandre plus largement les modes de faire participatif au parc immobilier résidentiel.
Une nouvelle approche pour dépasser la logique individuelle
L’ESS propose des alternatives immobilières en facilitant le développement d’opérations qui s’insèrent dans une démarche d’économie sociale et solidaire. Les structures telles que Habitat et Partage dessinent des solutions pour développer le foncier solidaire ou l’habitat participatif à plus grande échelle. Elles innovent pour créer de nouveaux montages pour répondre à cette nouvelle demande sociale. Alors que le développement de l’habitat participatif présentent des valeurs de solidarité et de coopération, Habitat et Partage propose une solution de montage économique bien ficelée et suffisamment solide pour en assurer la sécurité, tout en lui permettant d’être autosuffisant et de garder son approche fidèle à l’ESS.
Une démarche ESS qui plait et donne du sens aux projets immobiliers. D’ailleurs, les élus sont en général plutôt favorables à ces initiatives axées sur l’intérêt général et le partage de propriété. Habitat et Partage peut ainsi accompagner ces acteurs dans leur volonté de transformer en habitat participatif une partie de leurs territoires ou patrimoines résidentiels. Aujourd’hui, de plus en plus de propriétaires de terrains sont intéressés par cette approche et souhaitent vendre leur terrain pour donner la possibilité de créer un projet entièrement dédié aux habitants. Habitat et Partage peut ainsi acquérir du foncier en dessous des prix du marché.
Mais Habitat et Partage n’accompagne pas seulement les futurs habitants. Le Groupe accompagne également les promoteurs immobilier. Leur positionnement prend alors la forme d’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO), avec pour mission de bien identifier les habitants intéressés en amont pour co-construire leur logement. Le promoteur peut également laisser un bâtiment à Habitat et Partage qui en devient alors propriétaire pour développer un projet d’habitat participatif.
L’enclenchement de ce processus participatif et solidaire ne se limite donc plus à un seul projet mais s’étend à toutes les opérations immobilières, créant ainsi une boucle vertueuse pour démarrer de nouveaux projets. Un socle conçu pour accélérer la transition sociétale de l’immobilier et l’inscrire dans le mouvement de l’économie sociale et solidaire. Reste donc à suivre les aventures de la foncière d’Habitat et Partage, ainsi que d’autres initiatives, encore toutes jeunes mais fermement engagées pour le futur social de l’immobilier !