« Transformer un bâtiment, c’est se glisser dans les habits de la modernité. »
« Un bâtiment combien de vies ? La transformation comme acte de création », c’était le titre de l’exposition présentée à la Cité de l’architecture & du patrimoine l’année dernière au Palais de Chaillot. Placée sous le signe de la réversibilité, l’exposition s’appuyait sur la formule de Carlo Scarpa : « Conserver, c’est transformer » pour reformuler la question du patrimoine moderne atteint par l’obsolescence. Et si l’on s’arrêtait de démolir systématiquement pour construire ? C’est tout l’enjeu du processus de transformation. La question dépasse la simple réhabilitation et autre mise en conformité pour prendre la dimension d’un acte de création à part entière.
A l’heure de la résilience urbaine, où les territoires doivent faire face à l’étalement urbain et à la pression démographique, comme les villes doivent répondre aux nouveaux usages et aux contingences climatiques, ces mots prennent toute leur résonance.
Dans le cadre de l’édition « Réver(cités), Villes recyclables et résilientes » de l’Observatoire de la Ville, Francis Rambert, directeur de l’Institut français d’architecture, et commissaire de l’exposition, est revenu sur cette approche du « déjà-là ».
Mutables, multifonctionnelles, nos villes de demain
Symbolisée aujourd’hui par la High Line à New York – cette voie ferroviaire de marchandises transformée en promenade publique – la réversibilité invite à régénérer des espaces abandonnés. Touchant d’abord le monde industriel avec ses silos et entrepôts en friche (à l’image de l’ancienne filature Le Blan à Lille, projet pionnier de Reichen & Robert à la fin des années 70 en France, une usine transformée en logements, et équipements publics), elle s’est étendue à l’échelle de la ville pour devenir ensuite indissociable de la question urbaine.
C’est l’exemple de Detroit aux Etats-Unis, ville « monofonctionnelle » qui a dû s’adapter pour faire face à la crise industrielle. Ainsi, surnommée « MotorCity » — on y fabriquait presque toutes les voitures américaines –, elle est en passe de devenir « Farm-Ville » pour désigner son potentiel de reconversion en une véritable ferme urbaine et communautaire. La réversibilité apparaît dès lors comme un véritable levier économique capable de répondre à l’obsolescence des programmes. En Italie, la transformation du Lingotto, ancienne usine Fiat à Turin, par Renzo Piano, est l’icône de cette transition du monofonctionnel au multifonctionnel (université, bureaux, hôtels, centre commercial, auditorium… )
La mutabilité des espaces et leur métamorphose invitent les acteurs de la ville à avoir une lecture intelligente du bâti, autrement dit à anticiper les usages du futur. Transformer, c’est donc ré-imaginer, réinterpréter, reprogrammer, par exemple des bureaux en logements, des usines ou des abattoirs en lieux culturels… Autant de mutations qui proposent de se glisser dans les habits de la modernité d’une époque. C’est se lancer dans une expérimentation autant spatiale que programmatique qui allie mémoire des lieux et innovation technique pour relever le défi de nouveaux usages.
Enfin, en permettant de retrouver du sens dans ces lieux en déshérence, la culture du « déjà-là » convie foncières, promoteurs et villes à avoir une approche urbaine. A l’échelle territoriale, gardons en tête la leçon de l’IBA Emscher Park en Allemagne qui, en faisant le pari de transformer ses friches industrielles via une démarche écologique et sociale à la fin du XXe siècle, a vu le regard de ses habitants, et bien au-delà, changer sur la région de la Ruhr. La stratégie ? Avoir une approche culturelle de la notion de transformation.
Pour en savoir plus, c’est ici avec le compte-rendu de l’audition.