En France les villes lentes font leur chemin
Créé en 1999 en Italie, le mouvement Cittàslow (mot-valise formé de l’italien ‘città’, ville, et de l’anglais ‘slow’, lent) est un réseau international de villes engagées dans une réflexion sur le développement de leur territoire. Leur philosophie ? Une certaine vision de l’urbanisation par la patience et la mesure. Segonzac et Mirande, pionnières du label en France font le bilan de leur expérience, alors que le comité international doit se rassembler pour la première fois en France, à Mirande en juin.
Que sont devenues les premières « villes lentes » françaises, dont Segonzac et Mirande, respectivement 2 200 et 4 000 habitants sont des figures emblématiques ? Depuis qu’elles ont rejoint le label Cittàslow en 2010 et 2011, ces deux petites villes du sud-ouest s’appuient sur ce mouvement international pour repenser leur politique municipale. Inspiré du mouvement italien slow food qui entend combattre la malbouffe, le mouvement Cittàslow prône une philosophie du bien-être urbain. Les « villes lentes » qui signent la charte s’engagent à mener une politique municipale durable, locale et solidaire. Avec une limite aux villes de 50.000 habitants et un score moyen à obtenir sur environ 70 critères, l’entrée dans le club n’est pas donnée à tout le monde. « Le label est à l’origine de la réflexion sur la richesse réelle d’une nation, résume Pierre Beaudran, Maire de Mirande et Président du Réseau Cittaslow France. Si le PIB ou le PNB en sont les seuls indicateurs économiques jusqu’à ce jour, pour que la richesse soit réelle il convient d’y ajouter le BES (bien-être, équitable, soutenable). Le bien-être économique n’est pas suffisant s’il n’est pas associé au bien-être des personnes ».
Valoriser l’existant
Si l’adoption d’un indice alternatif au PIB ressemble à un geste politique, les raisons de l’adhésion au label en 2010 proviennent d’un constat simple : les préceptes de la ville lente correspondent assez bien au mode de vie des villages du sud-ouest français. « Pour nous, le label est apparu comme une démarche de qualité, dans la continuité de ce qui existait déjà, explique Gisèle Beuste directrice de l’office du tourisme de Mirande. Il s’agit avant tout de valoriser les atouts que l’on a ». Interrogée par téléphone, l’adjointe cadre de vie à la mairie Segonzac Colette Laurichesse abonde dans ce sens, le label offre une « ligne de conduite ». Les associations, commerçants et habitants ont des interlocuteurs privilégiés et un programme clair sur lequel s’adosser. Les restaurateurs proposent ainsi des menus Cittàslow, les boulangers des pains Cittàslow, les producteurs et artisans locaux ont un marché en circuit court dédié. Ici, mobilité douce, durabilité et lien social sont les maîtres mots. À Mirande, la municipalité travaillait sur un projet de maison de santé, au lieu de construire du neuf en périphérie, elle s’est plutôt décidée à réhabiliter un bâtiment dans le centre-ville. À Segonzac, l’assainissement des eaux est assuré par un système de bassins filtrants naturels sur roseaux. Ces exemples vont dans le sens d’un soucis permanent de rationaliser les projets municipaux, de valoriser l’existant pour une meilleure qualité de vie.
Une ville lente mais moderne
Lorsque les habitants de Segonzac entendent pour la première fois parler d’une certification Cittàslow, l’opinion s’inquiète. La ville lente est-elle passéiste ? Loin de là s’écrient les défenseurs de la ville lente : rationaliser c’est aussi accepter la société telle qu’elle est, et prendre la mesure des défis de demain. À Mirande, le télétravail est encouragé et accompagné, notamment avec le soutien du réseau Soho Solo imaginé par la chambre de commerce du Gers. Les efforts pour lutter contre la fracture numérique – même s’ils sont souvent pris en charge au niveau départemental – profitent aux villes du label dont l’accès à la fibre est un critère d’obtention. En architecture, si le patrimoine historique est bien sûr valorisé pour des raisons touristiques, les constructions modernes, les techniques et technologies à basse consommation sont de rigueur. Enfin, la défense de la biodiversité et la protection des races animales anciennes sont défendus comme un enjeu d’avenir. Gisèle Beuste détaille par exemple le succès du programme de préservation de la vache mirandaise qui a permis de sauvegarder une race en danger. Cette vache, typique de la région, était en effet menacée par l’arrivée en masse depuis les années 1970 de vaches normandes, plus productives mais aussi moins adaptées au climat du sud-ouest.
Apprendre à prendre le temps
La forte médiatisation qui entoure la première labellisation permet à chacun de s’exprimer, elle met également en lumière l’importance de la pédagogie. « On a échappé à cette image d’escargot et de lenteur (ndlr : le logo de Cittàslow est un escargot avec une ville sur la coquille), mais il faut toujours prendre le temps d’expliquer la démarche » affirme la directrice de l’office de tourisme de Mirande. Dans sa ville, la stratégie Cittàslow dépend du schéma de développement touristique local. Son rôle est donc de faire la médiation avec les touristes, les partenaires extérieurs mais aussi avec les Mirandais. « C’est vrai que le terme de « lent » peut être faussé, il s’agit plutôt de respect du rythme » complète Colette Laurichesse qui se félicite aujourd’hui de l’évolution de l’exigence des habitants pour leur qualité de vie. Pour elle, limiter la vitesse à 30 km/h sur certains axes de la ville aurait été impossible à voter il y a 10 ans. Aujourd’hui, pour limiter les nuisances sonores, la pollution et accroître la sécurité, les habitants y sont très favorables et réclament même l’élargissement de la zone. Une preuve que la pédagogie et la sensibilisation font changer les mentalités.
Justine Lucas, étudiante en géographie et aménagement durable à l’université de Pau et des pays de l’Adour (UPPA) a passé deux mois à Segonzac dans le cadre de son mémoire sur le label Cittàslow. Pour elle, « c’est un label très pédagogique et plein de possibilités. J’ai rencontré des habitants assez fiers d’être labellisés. Pour autant, certains ne comprennent pas les enjeux au-delà du label. Il faut donc constamment animer et dynamiser la communauté. Si je devais identifier un point faible, ce serait cette dépendance à la motivation des élus. Un essoufflement politique peut rapidement démobiliser les habitants. »
La lenteur comme inspiration
Certes, le label Cittàslow n’a pas su drainer les foules. Il ne peut pas repeupler un village de campagne, ni radicalement rajeunir sa population vieillissante. Il semble pourtant réussir un tour de force, celui de réconcilier l’urbain et le rural, la croissance et le respect de l’environnement, la tradition et l’innovation. Aujourd’hui de nombreuses villes qui ne peuvent pas rejoindre le réseau à cause de leur trop grande population cherchent à implémenter des politiques « lentes » dans leur projets de développement. Les villes Cittàslow, fortes de leur expérience, développent ainsi une activité de conseil et inspirent de nouvelles politiques urbaines. A tel point que l’idée de quartiers ou de communautés de communes labellisées Cittàslow commence à germer dans les esprits. Actuellement, les fondateurs du mouvement ne reconnaissent que l’échelon municipal, le plus universel. « Ce serait intéressant pour répartir les efforts estime Justine Lucas. En France et contrairement à l’Italie par exemple, nous avons beaucoup de très petites villes. Pour situer, Mirande est la plus grande du réseau français avec 4000 habitants, ça reste assez petit. Leurs ressources sont trop limitées pour mettre en oeuvre efficacement la vision Cittàslow ».
Vos réactions
Très intéressant concept avec une limite cependant comme cela est indiqué: cela dépend de la classe politique locale, qui est très souvent peu réceptive à ces attentes profondes de la population.