Faut-il raser des « pâtés de maison » à Paris ?
La densité continue à faire débat chez les urbanistes. Alors que Paris est une des villes les plus dense au monde, certains spécialistes proposent purement et simplement de raser des îlots pour créer des espaces publics et une respiration dans la ville. Une proposition radicale ? Pas tant que ça, l’architecte Bernard Landau nous explique pourquoi.
Paris densifié, Paris saturé…
Pour comprendre, il suffit d’attendre les beaux jours puis de se rendre au parc Montsouris (13e arrondissement) ou au canal Saint-Martin (qui s’étend du centre de Paris au 19e arrondissement). Pas un centimètre carré de libre, les pelouses et les quais sont pris d’assaut. Le succès des espaces verts parisiens témoigne alors de deux choses : leur importance pour le bien-être des citadins et leur présence insuffisante dans la capitale parisienne. En effet, Paris est la ville la plus dense d’Europe. Quand Rome, Londres, Berlin, Lisbonne, Madrid oscillent toutes autour des 5 000 habitants par km2, Paris dépasse les 21 000, soit quatre fois plus. Arrondissement le plus peuplé de la ville, le 11e atteint quant à lui le chiffre vertigineux de 42 000 habitants par km2.
Des transports congestionnés à la pollution, c’est le bien-être en ville qui est mis à l’épreuve. « Il faut faire attention à ne pas surdensifier cette ville, car elle deviendra difficilement vivable », explique Bernard Landau, architecte voyer général honoraire de la ville de Paris. « D’ailleurs, c’est déjà le cas, l’Insee prévoit que la ville va perdre des habitants tous les ans au moins jusqu’en 2025. C’est compliqué de vivre à Paris. C’est une vie difficile. Si on veut redonner de la qualité de vie, il faut à mon avis qu’il y ait plus d’espace verts. Et à un moment, il faudra taper dans certains îlots des quartiers les plus denses. » Taper dans certains îlots, l’idée peut choquer, elle est pourtant très sérieuse.
À Barcelone, le modèle de Cerdà
Pour appuyer sa démonstration, Bernard Landau s’appuie sur une des rares villes européennes dont la densité approche celle de Paris : Barcelone. Au milieu du XIXème siècle, la capitale catalane se résume à un cœur historique minuscule et surpeuplé. La ville lance alors un concours afin de choisir les plans de ses futures extensions. Peu connu à l’époque, l’ingénieur Ildefons Cerdà met sur pied un ambitieux design à la fois fonctionnel et inspiré. Conçu autour de la forme de manzana – un îlot carré aux angles chanfreinés -, son plan ordonne la ville selon un quadrillage régulier.
Dans le plan original, les manzanas contiennent toutes un jardin en cœur d’îlot. Sur le papier, celui-ci est d’ailleurs ouvert au public, car un, voire deux, côtés ne sont pas construits. Mais le XXème siècle en décide autrement. Des logements, des parkings, des usines et des commerces viennent progressivement remplacer les jardins et refermer les côtés restés ouverts. Ainsi, le jardin central disparaît, la ville se densifie et les espaces publics restants sont privatisés. Pour aérer à nouveau la ville doit pratiquer le curetage. « Le curetage, c’est ça, explique Bernard Landau. On démolit quelques immeubles sur un îlot pour étendre un jardin qui existe. C’est ce que Barcelone a fait dans le Barrio Chino, juste après les Jeux Olympiques de 1992. Ensuite, la ville a décidé de cureter tous les cœurs d’îlots de Cerda là où c’était possible. C’est-à-dire de retrouver des grands espaces libres dans les cœurs d’îlots et de refaire des traversées. »
« Il faut faire un travail de chirurgien urbain »
De tels travaux ne sont pas inconcevables à Paris, qui détient déjà les outils pour le faire. Dès les années 1960, la loi Malraux crée un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) afin de « conserver le patrimoine architectural et historique et améliorer les conditions de vie et de travail des Français ». Il détermine pour le quartier du Marais, les bâtiments d’intérêt patrimonial à entretenir et ceux dont la démolition bénéficierait au bien-être des riverains. Le deuxième cas est ni plus ni moins qu’une opération de curetage. Bernard Landau poursuit : « Il n’y a pas d’expropriation, mais en cas de changement d’activité ou si des gens partent, l’ABF (l’Architecte des Bâtiments de France) demanderait la démolition ». Celles-ci s’exécuteraient donc dans le temps long, sans expulsion et en fonction des départs.
Pour Bernard Landau, il s’agit d’un travail minutieux : cibler les quartiers de très forte densité, retenir les copropriétés dégradées qui ne peuvent plus entretenir le bâtiment, évaluer l’intérêt architectural et patrimonial… « Il faut faire un travail de chirurgien urbain. Dès lors que vous avez des objectifs on peut y réfléchir, en tout cas en étudier la faisabilité. C’est certain que ça demande un investissement public, il faut une vraie volonté. Mais bon, si on réfléchit à la densité de la ville et des espaces verts, ça peut être la prochaine priorité pour les 30 ans ou 50 ans qui viennent. Le sujet va être à l’ordre du jour des prochaines élection municipales, c’est certain. »
« Injonctions contradictoires »
D’ailleurs de telles opérations ont eu lieu à Paris. En juillet 2018, le jardin Truillot ouvrait ses portes, reliant le boulevard Richard-Lenoir et l’église Saint-Ambroise. Dans les cartons depuis les années 70, le curetage dépendait de la démolition d’un SAMU social et d’une concession Mercedes. Pour Bernard Landau, cette percée est une très bonne chose, un geste important qui contribue à aérer la ville. Mais l’architecte constate que la tendance est à l’inverse. Ainsi, dans le 12ème arrondissement, les habitants de la cité Debergue militent contre la construction de logements au cœur même de l’îlot. Du côté de Bercy-Charenton, des associations ont fait modifier un projet immobilier qui voulait rogner sur les équipements sportifs du stade Léo Lagrange. Et la liste est longue.
« Aujourd’hui il y a des injonctions contradictoires. C’est-à-dire qu’on a jamais autant parlé de verdure, de nécessité d’avoir de la végétation dans la ville, et la réalité des 7-8 dernières années est qu’on est plutôt en train de supprimer des espaces libres que d’en rajouter. Ça me frappe d’autant plus que j’étais directeur de cabinet de Jean-Pierre Caffet, à l’époque premier adjoint de Bertrand Delanoë à l’urbanisme. L’époque était une densification modérée de la ville et là il y a eu un vrai tournant. »
Un tournant qui intensifie la densification d’une capitale qui se vide, quitte à vampiriser durablement les territoires périphériques… Et si, à l’heure du Grand Paris, la capitale partageait un peu sa densité ?
Vos réactions
Cent pout cent d’accord avec Bernard Landau. Pari doit créer des parcs et des jardins au niveau des piétons avec des arbres et des jeux pour les enfants et cesser de rêver à la vegetalisation verticale qui n’apporte rien à la qualité de vie des parisiens.