Faut-il jouer pour devenir un citadin responsable ?

12 Oct 2021 | Lecture 4 min

Défi énergie, applications incitatives en faveur des éco-gestes, course sportive pour nettoyer les rues, de nombreuses initiatives ont pu émerger ces dernières années pour initier des changements de comportements. Alors qu’en Finlande, une ville récompense ses citoyens en fonction de leur bilan carbone, revenons sur cette tendance de mettre au défi les citoyens, en décryptant les possibles effets pour nos villes de demain.

 La gamification, concept qui consiste à apprendre ou s’impliquer par le jeu, est-elle une piste intéressante pour accélérer la transition écologique de nos villes, ou représente-t-elle seulement un levier temporaire ?

 Défis écologiques : les citoyens jouent le jeu !

Depuis quelques années, les challenges dits “citoyens” se multiplient dans nos villes. Qu’ils soient fondés sur un événement journalier, une campagne hebdomadaire ou une application en libre téléchargement, ces nouveaux défis tendent au même objectif : inciter à la participation des citoyens. Et pour séduire les citadins, les collectivités transforment les enjeux… en jeux ! Compétition, encouragements et récompenses sont alors au rendez-vous. Les codes ludiques semblent séduire les citoyens, on constate d’ailleurs que de plus en plus d’entre eux se lancent dans l’aventure avec parfois des démarches globales portées par les territoires en transition.

En Finlande, l’application CitiCap a été déployée à Lahti, une commune de 120 000 habitants afin d’inciter chacun à réduire ses émissions de carbone. Dans la pratique, pour leurs trajets quotidiens, les citadins sont notifiés chaque jour de nouveaux challenges, les encourageant, par exemple, à utiliser les transports en commun ou le vélo, plutôt que l’automobile. L’application trace les émissions produites par chaque utilisateur et fait la soustraction sur un quota carbone crédité chaque semaine. S’il n’est pas épuisé au terme de la semaine, l’excédent du quota est transformé en monnaie virtuelle échangeable contre des bons d’achats, tickets de bus, ou entrées dans des lieux sportifs et culturels.

L’appel du jeu, de la performance et de la récompense encourage les habitants à s’engager et télécharger l’application. C’est dans un second temps, que l’enjeu écologique de la réduction des émissions carbones s’affirment aux utilisateurs. Dans un communiqué du Lab Urbain de l’Europe, 70% d’entre eux ont déclaré que l’application avait éveillé leur conscience écologique sur leur mobilité, et 30% affirment que celle-ci les encourage à modifier leur façon de se déplacer. La Maire de Lahti, à l’initiative de l’opération, s’est dit ravie de ces retours dans ce même communiqué : “Nous avons pour objectif de trouver des manières plus stimulantes d’inciter les gens à marcher, à utiliser leur vélo et à emprunter les transports publics. Dans le cadre de CitiCap, nous développerons de toutes nouvelles mesures incitatives publiques, comme l’échange des droits d’émissions du carbone (PCT), qui pourraient révolutionner la participation des citoyens pour atténuer le changement climatique”.

En France aussi, de nouveaux défis émergent pour faire changer les comportements des citoyens, petits et grands. Par exemple, les villes organisent de nouveaux genres de marathon, où le but est moins d’arriver premier ou de faire un meilleur temps, que d’y parvenir en ayant ramassé un gros sac poubelle de déchets sauvages. Pour une journée conviviale, l’ambiance des courses à pied rencontre celle des événements cleanup.

Des défis énergie fleurissent également dans de nombreuses entreprises et écoles. Chaque service ou classe analyse la consommation énergétique du bâtiment et propose des solutions pour faire des économies d’énergie au quotidien. Au terme de la période fixée, le groupe le plus économe l’emporte, et si les économies sont meilleures que l’année précédente, le défi est relevé ! Les employés et élèves sont généralement ravis de ces projets collectifs, le jeu est d’ailleurs souvent transposé à la maison.

Initier le changement par le jeu : une tendance européenne globale

Cette tendance au défi et à l’amélioration des habitudes quotidiennes par le jeu s’ancre dans une vision européenne globale. En effet, dans une société dictée par la performance et le développement personnel, il est bien vu de vouloir s’améliorer et de se fixer des objectifs à atteindre, à court et moyen terme. Une démarche qui permet de donner le meilleur de soi et qui apparaît comme une garantie de réussite. De nouvelles offres de services aux particuliers émergent d’ailleurs pour répondre à cet objectif. Applications, coaching et programmes de développement, montres connectées, formations… tous les outils sont bons pour analyser ses propres conditions et capacités mentales, organisationnelles et physiques et entamer le changement afin de donner le meilleur de soi-même. La tendance actuelle du développement personnel à la particularité de souvent reprendre les codes et l’esthétisme du jeu, un moyen supplémentaire de stimuler sa motivation.

Depuis quelques années, les collectivités ont saisi le potentiel de cette tendance et proposent d’en faire un levier de transformation de nos villes. Car si le jeu peut permettre de faire de meilleures personnes, dans la poursuite de l’idéal du développement personnel, il peut aussi stimuler de meilleurs citoyens, aux comportements plus vertueux pour l’environnement. La définition contemporaine du bon citadin s’en trouve recomposée : ce dernier est dynamique, joueur et engagé.

Le système de récompense : atouts et limites pour la citoyenneté

Ainsi, l’appel du défi est fédérateur et engagé, il tend à permettre une prise de conscience ludique et à composer de nouvelles habitudes. Mais la gamification peut-elle permettre la transition durable de nos villes, ou son effet levier n’est-il que temporaire ?

D’abord, nous l’avons vu, transformer l’enjeu en jeu revêt plusieurs atouts pour la transformation de nos villes. Le jeu permet de dédramatiser des problèmes sociétaux, rendre certains sujets plus accessibles et encourager l’engagement volontaire. Il limite aussi l’effet de rejet qu’implique l’imposition brutale d’une nouvelle règle et favorise, par son approche, la sensibilisation. L’objectif est d’utiliser le jeu comme support à la pédagogie, à la discussion et à l’émancipation des consciences citoyennes. Les citadins découvrent, apprennent, s’emparent d’une pratique et s’approprient des objectifs globaux en douceur.

Source : Tiago Aleixo via unsplash

En outre, certains jeux poussent à la mise en commun, l’effort devient alors collectif et le résultat est plus important. Mais les nouveaux défis ne sont pas tous bien pensés et certains ont des limites. La compétition peut prendre le pas sur le jeu, et alors limiter la mobilisation. S’il est trop encadré, le jeu peut par exemple devenir source de stress et d’exclusion, perdant alors son approche spontanée et ludique. La connotation individualiste peut également limiter une perspective de changement global : le but devient celui de gagner le jeu et l’enjeu écologique n’émerge pas. Reste également que la sur-sollicitation peut devenir lassante. Les citadins trop souvent invités à participer à des missions peuvent s’épuiser, devant consacrer beaucoup de temps aux défis confiés. On peut donc tomber dans le biais suivant : les missions à courte durée mobilisent davantage. Alors, à ne réagir qu’à la nouveauté, les citoyens peuvent ne s’engager que sur un temps court sans vraiment intégrer des habitudes sur le long terme, passant d’un défi à l’autre.

À condition qu’elle soit bien pensée, la gamification des enjeux écologiques et urbains peut ainsi initier sur le long terme de bonnes pratiques. En effet, le jeu renouvelle la citoyenneté par une approche plus ludique et diffuse. Cependant, il s’agit de rester vigilant et de porter attention à ce qu’il ne devienne pas pour certaines personnes une source supplémentaire de charge mentale. Les collectivités peuvent agir pour penser des jeux en ce sens et garantir en amont que les nouvelles pratiques chercheront à développer des réflexes et permettre un changement durable. L’implication dès le plus jeune âge des citadins peut d’ailleurs être une piste intéressante. S’il a des limites, la transformation des comportements par le jeu  apparaît donc comme un outil de mobilisation fort et un levier efficace d’activation des bons gestes.

LDV Studio Urbain
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