Existe-t-il encore des espaces publics urbains ?

5 Juin 2018

Quelles seraient nos villes sans leurs espaces publics ? Lieux de partages et de rencontres, les espaces publics urbains sont surtout des lieux qui portent l’image et l’identité de la ville. Ce sont dans ces lieux que l’on se promène, que les touristes y prennent le plus de photos ou que l’on se retrouve entre amis à l’arrivée des beaux jours. Sans les espaces publics urbains, aucune âme de ville ne peut ainsi transparaître aux yeux des citadins ou aux yeux des visiteurs de la ville.

Dans nos villes pourtant, les entreprises et les franchises privées envahissent de manière plus ou moins visibles nos espaces publics. Cette occupation de la part des acteurs privés peut dans certains cas entraîner une véritable nuisance à l’égard de l’égalité entre tous les utilisateurs : dans ces lieux, une partie de la population est en effet mise à l’écart plus ou moins officieusement. Mais ce genre de privatisation n’est pourtant pas toujours si néfaste que cela et peut même apporter de réels bénéfices à l’espace public urbain.

Par le biais de panneaux publicitaires, d’aménagements privés, de terrasses qui s’accaparent les espaces piétons, ou bien d’aménagements urbains à plus grande échelle comme les gated communities ou les quartiers publics gérés par des acteurs privés, les espaces urbains véritablement « publics » tendent donc à disparaître… En existe-t-il donc encore et surtout, de quelles manière cette privatisation se caractérise-t-elle ?

Devant la Bourse de Londres, l’espace public géré par le privé est sur-protégé

Devant la Bourse de Londres, l’espace public géré par le privé est sur-protégé

L’espace public comme lieu ouvert et accessible à tous

En principe, l’espace public urbain est le lieu de rencontre de tous les citadins. En ce sens, il s’agit par conséquent d’un lieu d’échanges, de débats et de vie en communauté, pour le meilleur comme pour le pire. Par définition, les espaces publics urbains concernent l’ensemble des lieux qui sont accessibles de manière gratuite et égale à l’ensemble des personnes qui sont amenées à pratiquer la ville. Ils sont par ailleurs la propriété des acteurs municipaux, qui les gèrent et les entretiennent de sorte que les citadins puissent s’y épanouir au mieux et en communauté.

Mais encore trop régulièrement, la notion d’espaces publics est confondue, par des professionnels ou bien par des novices en la matière, avec l’idée selon laquelle l’espace public ne désigne en réalité que « ce qui n’est pas bâti ». Le Corbusier et sa charte d’Athènes considéraient alors ces espaces comme n’ayant qu’une vocation de transport entre des lieux fonctionnels de la ville. Avec par ailleurs l’apparition progressive de l’usage de la voiture personnelle, le regard sur les manières d’aménager les villes s’en sont largement ressenties, à tel point que les voiries publiques en sont devenues des lieux de transition ou de stationnement, aux dépens de la vie piétonne et de l’humain.

Or, si les espaces publics désignent en effet ces lieux qui connectent les constructions architecturales, ils n’en demeurent pas moins un élément à part entière d’une ville pour lequel il est nécessaire d’apporter une vision extrêmement inclusive sur les manières de l’aménager.

La ville comme une mosaïque d’espaces privatisés

En théorie, la gestion des espaces publics relève de la compétence de la commune ou de la collectivité sur laquelle ils se situent. L’entretien des voiries, leur aménagement ou encore les services de police sont en effet des secteurs qui doivent être pilotés par les collectivités territoriales, de façon à faire régner l’ordre public et garantir l’intérêt général.

Mais dans certaines situations, ce sont des entreprises privées qui mettent en place avec les acteurs publics ce que l’on appelle un « partenariat public-privé ». Cela permet à un lieu public d’être financé et géré par ces prestataires privés auxquels la collectivité aurait fait appel au préalable. À Londres par exemple, dans le secteur de la « City » au sein duquel se trouvent de gros groupes financiers, l’ensemble du quartier a été confié à des entreprises privées pour sa gestion et sa protection. Il s’agit d’un Business Improvement District, ou BID.

Dans le même principe, mais cette fois-ci dans des quartiers résidentiels, les « gated communities » sont ces quartiers dans lesquels seuls les riverains ont l’autorisation d’accéder. Pour garantir cette sécurité, de grands portails bloquent l’accès aux rues du voisinage et seuls les habitants peuvent les franchir. Il ne s’agit donc plus simplement de logements ou de bâtiments privés mais également d’espaces qui ne sont publics que pour certaines personnes et par extension, que pour certaines catégories sociales.

Alors certes ces deux exemples mettent en avant l’idée de gérer des espaces publics et de les rendre plus sécurisés ou plus propres, mais les méthodes employées ont parfois de quoi interroger sur les libertés qui y sont laissées à chacun. Caméras de surveillance, barrières, forte présence de personnels de sécurité parfois intrusifs… de nombreux moyens sont bons pour préserver une certaine image de l’espace dirigé par le privé : il y fait bon vivre, mais pas pour tout le monde.

Pourtant, d’autres exemples de privatisation de l’espace public peuvent tout à fait correspondre à cette nécessité pour la ville de préserver le droit pour tous à l’accès de l’espace public. Devant le musée Georges Pompidou par exemple, à Paris, la place du même nom est en réalité un espace privatisé. Si peu de personne semblent au courant de ce statut, cela est certainement la conséquence d’un espace public privatisé qui a su conserver les atouts d’une ville : chacun peut s’y rendre, y prendre des photos et y exprimer son art sans risque de réprimande.

L'espace public surveillé par des caméras

L’espace public surveillé par des caméras

Des aménagements subtilement néfastes pour la vie collective

Quartiers résidentiels, d’affaires ou bien encore centres commerciaux à ciel ouvert, toutes ces manières d’aménager un espace « public » peuvent être qualifiées de démarches officielles et assumées par les acteurs privés qui en sont à l’origine. Mais il existe également des espaces qui se trouvent être privatisés de manière beaucoup plus subtile, selon des méthodes plus ou moins assumées. Les terrasses de cafés par exemple, sont une manière de privatiser l’espace public. Leur empiétement sur les cheminements peuvent lourdement limiter les possibilités de s’y déplacer, notamment pour les personnes à mobilité réduite qui peuvent être obligées de devoir contourner cet obstacle.

Il existe pourtant des solutions qui permettent aux terrasses de café de subsister, sans pour autant en gêner les cheminements. Par exemple en instaurant une limite d’extension au sol pour laisser un espace suffisant aux piétons.

Mais pire encore, l’émergence de « mobiliers hostiles » à l’égard de nombreuses personnes est un réel fléau empêchant de donner à l’espace public sa raison initiale d’être. Pics, bancs inclinés, pieds d’immeubles présentant des obstacles divers et variés pour éviter de s’y asseoir, de s’y reposer, ou d’y discuter tranquillement… nous constatons l’essor d’un espace public tel que certains acteurs souhaitent le voir, aux dépens de certaines populations qui n’y sont alors plus les bienvenues.

Le mobilier urbain hostile empêche quiconque de se poser dans l’espace public

Le mobilier urbain hostile empêche quiconque de se poser dans l’espace public

Pour des espaces publics qui révèlent la grande diversité urbaine !

Si les volontés non-dissimulées de la privatisation des espaces publics est de garantir une ville plus sécurisée et plus propre, qu’en est-il alors de l’image de la ville véhiculée par ce qui est censé définir ces lieux de vies et de rencontres ? En fin de comptes, nous constatons avec l’apparition de ces quartiers sur-protégés une ville qui s’aseptise, principalement à destination d’une population « cible » qui pourra apporter au quartier les bénéfices recherchés par les gestionnaires privés. L’objectif de ces derniers est en effet de capitaliser au maximum sur leurs engagements en matière de voirie et d’espaces ouverts !

De leur côté, les éléments urbains ponctuels et privés participent également à limiter l’accès à la ville à certaines populations. Par l’encombrement dont il font souvent preuve sur les trottoirs, les panneaux publicitaires, les terrasses de café et les mobiliers volontairement hostiles limitent la présence de personnes à mobilité réduite ou de populations défavorisées dans les alentours. Par conséquent, des lieux privatisés se créent et laissent à l’écart une partie de la population urbaine en en favorisant d’autres.

Si les communes rencontrent ainsi des difficultés pour aménager leurs espaces publics pour tous, comment peut-on alors garantir leur mise en place au sein de nos villes ?

Réalisée par un acteur privé ou public, la conception et/ou la gestion des espaces urbains est inévitablement confrontée à des enjeux différents pour chacun des utilisateurs de la ville. L’idée est donc de pouvoir garantir un dosage équilibré entre ceux-ci, de manière à laisser entrevoir la diversité de cultures urbaines que fait naître le monde urbain.

Un espace véritablement accessible pourra ainsi être reconnu par rapport à son caractère non stérilisé et qui est le messager de toutes les cultures urbaines qui donnent son charme à l’espace public. Il sera en effet cet espace dans lequel chacun peut y exercer son art, s’y exprimer, y vivre à sa manière et en communauté. Pour autant, l’espace urbain ne pourra être public que s’il respecte par la même occasion les défis imposés par les besoins des PMR et de toutes les personnes amenées à utiliser la ville, sans distinction. Car comme le dit le philosophe Thierry Paquot, « c’est dans ces espaces dits publics que chacun perçoit dans l’étrangeté de l’autre la garantie de sa propre différence ». Alors, à quand des espaces publics porteurs de la diversité de la ville ?

 

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