Europe des villes : gare à l’effet tunnel
En réaction au Brexit, Anne Hidalgo et Sadiq Kahn, maires de Paris et de Londres, ont publié une tribune écrite à quatre mains. Ils y affirment leur volonté de se rapprocher encore plus, en dépit du vote de rejet exprimé des citoyens britanniques. Initiative porteuse d’espérance en ces temps troublés ou illustration d’un fonctionnement hors-sol dangereux ?
Depuis une semaine, l’Europe est sous le choc du Brexit. Toute l’Europe ? Non, car deux villes-monde résistent encore et toujours au pessimisme ! La Maire de Paris, Anne Hidalgo, et son homologue anglais, Sadiq Kahn, ont publié ensemble une tribune le 27 juin dans Le Parisien et le Financial Times. Expression d’une diplomatie moderne et agile, ce texte court intitulé « Travailler ensemble » célèbre la proximité des deux capitales et les éléments qu’elles partagent.
Des villes-globales optimistes…
Affirmant sa confiance en l’avenir, le duo salue la prévalence des villes en termes d’innovations, de développement durable, de diversité. Face à la parole raciste qui se libère en Grande-Bretagne depuis le vote, l’optimisme d’Hidalgo et de Kahn tranche : « Nos villes sont des espaces où, chacun, d’où qu’il vienne, peut se sentir chez soi ». Ils se conçoivent même comme une solution face l’immobilisme européen et ambitionnent d’être « un contrepoids puissant face à la léthargie des Etats-nations et à l’influence des lobbys ». Les villes peuvent en effet devenir les moteurs de l’Europe par la mise en place de projets concrets et de partenariats locaux.
Cette vision du duo franco-anglais s’affranchit des clivages nationaux. Elle contraste avec les discours et les analyses pessimistes qui ont suivi les résultats du référendum. Ce message positif dépasse la logique de compétition aveugle entre les territoires où chacun est au final plus faible. Même dans la tempête du Brexit, Paris et Londres font le vœu de rester fidèles à la devise européenne : « Unis dans la diversité ».
Reste que l’appel des deux maires, pose question à plusieurs égards. En dressant le portait idéalisé de villes ouvertes et accueillantes, il passe sous silence le sort des populations traitées de manière indigne par ces villes-capitales. De la réapparition de bidonvilles en banlieue parisienne, à la négation des sans-abris, véritables fantômes urbains, sans oublier les foyers à faibles revenus relégués en périphérie, nombreux sont ceux qui ne se sentent pas accueillis à Paris ou Londres.
Plus grave, le ton adopté semble ignorer les causes du rejet britannique. Les résultats du référendum montrent un décalage profond entre Londres et le reste de l’Angleterre. La capitale a largement voté « Remain », le reste du pays s’est prononcé quasi-unanimement pour une sortie de l’UE. Les deux maires, volontaristes, affirment l’importance de continuer d’avancer malgré la tourmente. Il est surtout urgent de prendre conscience de la rupture entre villes-monde et territoires négligés afin d’amorcer sa résolution !
…mais coupées du monde ?
Londres et Paris partagent le privilège d’être des centres de pouvoir et de concentration de richesse de premier rang. Les villes-globales, les cœurs de métropoles de manière plus générale, sont les grandes gagnantes de la mondialisation. Rien de surprenant puisqu’elles en sont à la fois les principaux lieux de décision et les figures de proue. Mais, dans le même temps, cette mondialisation tantôt délaisse tantôt féodalise les périphéries et les villes secondaires. Luc Vinogradoff, journaliste au Monde, en a fait le constat lors d’un reportage entre Liverpool à Londres. C’est cette mondialisation-là qui a été rejetée par les Britanniques jeudi dernier.
Le camp du “Leave” a gagné en ayant recours à des arguments fallacieux et ses hérauts semblent déconcertés et tétanisés face à leur propre « victoire ». Cela ne remet en rien en cause l’angoisse et la frustration des millions d’électeurs qui ont voté contre une Europe qui n’incarne plus à leurs yeux ni espoir ni opportunité. Londres a voté « Remain », cela ne fait pas des Londoniens des gens plus intelligents que les habitants de Bexley, à 10 miles de la City, qui ont voté « Leave ». Comme le montrait Le Monde en 2012 la tentation populiste nationaliste grandit à mesure que l’on s’écarte des centres de pouvoir et culmine dans le grand-périurbain, à 50 km des centres villes. Tourner le dos à leurs périphéries serait la pire erreur de ces villes qui peuvent renouveler le message européen.
Les maires de Londres et Paris s’adressent à leurs administrés majoritairement europhiles, pour certains habitués à voyager en Eurostar sans être confrontés au quotidien des périphéries ni aux camps de migrants de Lille. Ce faisant, les deux édiles augmentent le sentiment d’entre-soi privilégié. Cette tribune, pourtant fondée sur un élan d’espoir, risque d’être perçue comme un appel élitiste. De fait, elle néglige la grande majorité des citoyens, ceux qui vivent hors des quelques villes aux avant-postes de la mondialisation, ceux qui n’auraient rien compris à l’Europe, à la globalisation, au monde de demain.
Relancer l’Europe des peuples, et de tous les territoires
La fierté d’être une ville globale doit s’accompagner de la conscience des maux que cette situation génère, afin d’y remédier ou les endiguer. Dans l’Archipel des villes globales publié en 2009, Saskia Sassen, mettait en garde contre une gentrification galopante dans ces centres de pouvoir. Elle déplorait notamment qu’« à Londres, Hackney, une zone déshéritée qui accueillait des populations immigrées, et les anciens Docklands, traditionnellement habités par des cols bleus, sont en passe de devenir des quartiers d’affaires. »
Une ville dans un territoire ne doit pas en aspirer la richesse, laissant les périphéries désœuvrées, mais générer des synergies permettant une redistribution de la richesse qui y est créée. Les villes hyper-connectées rassemblent toutes les opportunités et oublient les innombrables espaces intermédiaires. Face à l’urgence sociale et environnementale du moment, la tentation de cette mondialisation hors-sol est vouée à l’échec. Paris, Londres sont reliées par un train à Grande Vitesse, l’Eurostar. Elles doivent à tout prix se prémunir contre « l’effet tunnel », cette déconnexion entre les villes et leurs arrière-pays.
La nature-même des villes et la densité qu’elles assurent en font par essence des lieux de pouvoir et de création. A charge des dirigeants de ces métropoles de s’assurer que construire l’Europe des villes n’empêchera pas de régénérer l’Europe des régions. Pour cela, sans nier le besoin de connexion entre ces centres, il s’agit de promouvoir un développement plus inclusif par capillarité afin de diffuser richesses, connaissances et opportunités sur les territoires alentours. Car au final, sauvegarder le lien et les échanges avec le voisin anglais est essentiel, mais cela est voué à l’échec si on oublie celui de la Picardie ou de Bexley.
Au lieu de s’obstiner à « concrétiser les agendas partagés » de Londres et Paris, n’est-il pas temps d’écrire un nouvel agenda d’une mondialisation plus inclusive et dans les faits bénéfique à une plus large majorité des citoyens et des territoires? Et, quitte à valoriser des projets concrets, Paris pourrait commencer par échanger avec Londres et tous les territoires intermédiaires sur l’expérimentation Costo développée par la SEMAEST. Ce projet novateur met la technologie au service du développement d’une nouvelle économie de proximité à travers la revitalisation, sur le territoire des petits commerces réellement utile aux habitants. Tous les habitants.
Vos réactions
Un système qui fait payer un combustible surtaxé aux petits vieux des campagnes qui se chauffe au fuel ou au gaz, pour que macron et tout ses technocrates de l’oligarchie puisse voyager en dépensant des tonnes de kérosène plus que détaxées, ne pourra pas continuer éternellement.