Et si on retrouvait le sourire en ville ?
On reproche souvent aux citadins leur expression morose. Le rythme effréné qu’impose la ville en est souvent la cause. Et bien que l’anonymat soit l’une des conditions recherchées par de nombreux urbains, la monotonie, le stress et paradoxalement, le manque de relations humaines, peut parfois donner le sentiment que vivre en ville n’est pas si épanouissant que ce que l’on pourrait croire. Pour autant, est-ce si impossible que cela de redonner le sourire aux urbains ? Entre micro-installations, design ludique et publicités détournées, de nombreuses villes imaginent toutes sortes d’inventions pour le bonheur de leurs concitoyens. Alors est-ce une nouvelle façon de penser la ville ?
Pratiquer la ville dense au quotidien est bien souvent éreintant : les conditions de vie urbaine impactent la santé et le psychisme de leurs habitants. C’est d’ailleurs ce que cherchent à démontrer de nombreuses études scientifiques : les urbains sont-ils de façon générale moins heureux que les ruraux ? Sourions-nous moins en ville ? Même si pour le moment aucun lien scientifique n’a réellement été prouvé, le constat est saisissant : qui ne s’est jamais dit que personne ne souriait dans les transports en commun ?
Si la déprime et l’exaspération semblent être particulièrement marquées chez les urbains, la ville n’est pour autant pas exclusivement synonyme de dépression. La concentration humaine amène avec elle un lot de bonnes idées capables de redonner le sourire à chacun : de la façon d’aménager la ville, aux usages développés et aux initiatives personnelles, c’est avant tout en prenant en compte de nouveaux indicateurs comme la santé morale et le bien-être de ses habitants que la ville peut se transformer pour devenir une source de joie momentanée ou constante.
Quand la ville fait sourire
La façon dont on aménage la ville a bien évidemment énormément d’impact sur la santé morale de ses habitants. Réfléchir à la manière dont on l’aménage, ce n’est pas seulement anticiper la manière dont on se déplace, consomme, travaille, ou même la manière dont on se loge mais c’est également anticiper la façon dont l’homme interagit avec son milieu, ce qui l’impacte, le stimule, l’apaise ou encore le stress.
De nombreuses études cherchent notamment à faire le lien entre la présence d’espaces verts et la santé mentale des habitants d’une ville. Dans un article publié dans le journal Le Monde et intitulé Le bonheur est dans le parc, il est révélé qu’en augmentant de 10% la présence d’espaces verts à proximité des habitants, les risques de dépression mais aussi d’asthme ou encore de maladie cardio-vasculaire chutent grandement. La prise en compte de ce type d’information dans l’aménagement des espaces urbanisés n’est donc pas à négliger. Mais l’amélioration de la santé mentale des urbains ne se limite pas qu’aux décisions des aménageurs sur de grands projets urbains, elle peut aussi se faire à travers de petites installations éphémères, souvent peu coûteuses et qui peuvent provoquer le temps d’un instant, de larges sourires sur les passants.
C’est là qu’intervient le travail de scénographie. À l’instar d’un musée, la ville peut également devenir un espace à mettre en scène. La “scène urbaine” devient alors un moyen d’interpeller le passant, en rompant avec le quotidien souvent oppressant du contexte urbain. La RATP, réseau de transport parisien utilise d’ailleurs largement ce type de méthode. Pour des événements particuliers, comme par exemple fêter les 60 ans de la célèbre bande dessinée Astérix et Obélix, les noms de stations sont par exemple transformés et détournés : la station Alésia ou encore Ecole militaire sont modifiées. Grâce à ces petites actions, la RATP souhaite redonner le sourire à ses usagers, qui sont souvent bien moroses dans les transports.
La ville de New York fait preuve d’imagination pour rendre de meilleur humeur ses habitants. Elle a proposé, lors de la semaine du design, d’installer au feu de ses rues, des punching ball pour que les passants puissent se défouler de leur stress et retrouver le sourire. C’est ce que l’on appelle le design ludique, qui pousse à la participation, tout en divertissant.
Le street art joue également un rôle important dans cette course au bonheur des urbains. Tout d’abord parce qu’il sert à embellir l’espace public. L’art est souvent cité comme un élément qui apaise parce qu’il transmet de l’émotion et véhicule la beauté. Certains street-artistes vont d’ailleurs plus loin dans la démarche : c’est le cas de Invader, un jeu créé pour capturer des œuvres de street art en céramique. Selon la taille de l’œuvre l’invader rapporte plus ou moins de points. De quoi prendre le temps d’observer les façades, de pratiquer l’urbain, tout en se divertissant.
La créativité des urbains au service du sourire
Et si finalement, redonner le sourire aux habitants des villes ne passait pas aussi par la possibilité de donner aux urbains de quoi réinvestir l’espace pour créer les conditions du sourire ? Regroupant les hommes et contribuant forcément à concentrer leurs ingéniosités, la ville est aussi en capacité de communiquer du bonheur aux autres par l’addition de ces imaginaires.
Le lien social est une chose primordiale dans le bonheur de l’homme car c’est en interagissant entre nous qu’il est possible d’échanger, de faire de l’humour, de susciter le rire. Et cela, certains urbains l’ont bien compris.
C’est le cas des artistes de rue, qui viennent proposer des mimes, raconter des histoires, réaliser des danses ou des chants. Leurs pratiques artistiques de la rue nous permettent d’interroger l’espace dans lequel nous nous trouvons, mais surtout de rompre la monotonie. Les artistes de rue cherchent avant tout le contact humain, à provoquer en nous des émotions qui sont positives.
Certains commerçants aussi redoublent d’imagination pour redonner le sourire. Que ce soit par des jeux de mots pour le nom des commerces, dont les coiffeurs semblent être les champions du monde, ou encore avec une vitrine travaillée à certaines périodes de l’année, les commerçants cherchent à créer un cadre bienveillant. Ils agissent au quotidien par leur accueil, à nous rendre de meilleure humeur, en échangeant avec nous, prenant de nos nouvelles et celles de nos proches.
Et puis, bien souvent, favoriser le bonheur de l’autre est le rôle de tout à chacun. Le sourire est transmissible, le porter sur les lèvres en marchant dans la rue, en saluant ses voisins, en arrivant au travail, assure la bonne humeur commune. Du chauffeur de métro qui au micro émet un trait d’humour, à un simple sourire à une personne sans domicile fixe, nous pouvons œuvrer collectivement à faire du sourire en ville une généralité.
Le bonheur se pratique donc au quotidien, il suffirait peut-être d’en faire un principe pour l’aménagement urbain, ou juste de prendre le temps d’observer ce que la ville a à nous offrir et de s’apercevoir que les sources d’émerveillement et de sympathie sont déjà bien nombreuses.