Et si le futur de l’appartement, c’était le taudis ?
Chose curieuse, pour répondre à la crise du logement sans avoir à mettre d’argent sur la table, le gouvernement a assoupli les critères de salubrité permettant la location d’un appartement. La hauteur minimale du plafond baisse, la présence de salle d’eau ou de ventilation n’est plus obligatoire… Bientôt, l’électricité en option ?
Comme chaque mois, plongez dans le futur de la ville avec notre série « Habiter 2035 », où l’on vous dresse des scénarios possibles pour la prochaine décennie. Retenez votre souffle, immersion dans 3, 2, 1 …
Communauté de la bosse
Cela fait une semaine que Julia a emménagé et elle commence à peine à s’habituer au lieu. Quand elle va de sa kitchenette au fauteuil près de la fenêtre, ou du lit aux toilettes, elle doit pencher la tête. En cas d’oubli, la sentence est immédiate : elle se prend le plafonnier dans la tête. Il n’est pas gros, une douzaine de centimètres à tout casser, mais quand le plafond lui-même est à 1,8 mètre, chaque centimètre compte. Venu aider à porter les cartons, son frère est sorti de l’appartement couvert de bosses. 1,84 mètre… Pas de bol pour lui. Et c’est comme ça dans tous les immeubles du quartier, les commerçants connaissent bien le dicton : « pas de bleus, pas d’ici ».
Scénario possible ou récit de science-fiction ? Analyse.
Ce petit scénario à bosses est inspiré par le décret du 29 juillet 2023 sur les règles sanitaires d’hygiène et de salubrité des locaux d’habitation. Ce décret avait pour objectif d’harmoniser « par le haut, ou a minima à droit constant » les critères de salubrité des logements, auparavant fixés dans chaque département par les préfets. Mais pour le Haut Conseil pour le Droit au Logement (HCDL), organisme indépendant rattaché au Premier ministre, il s’agit plutôt d’une régression qui profiterait aux marchands de sommeil.
Le studio de Gavroche
En effet, alors qu’aucun règlement départemental n’autorisait auparavant à louer un logement d’une hauteur sous plafond inférieure à 2,2 mètres, le décret permet dorénavant de descendre jusqu’à 1,80 mètre de haut si le volume habitable est supérieur à 20 m2. Et alors que la loi considère les sous-sol impropres à l’habitation, le décret crée une exception dès lors qu’ils « ne présentent pas un risque pour la santé des habitants ». D’autres exceptions surprenantes sont intégrées concernant la ventilation, la présence de WC ou la lumière naturelle, à tel point qu’en exagérant un peu, on pourrait presque reconnaître les habitats populaires du début du XXème siècle. Décrits par les historiens, ceux-ci étaient minuscules, insalubres et mal équipés. Interrogé au Sénat sur ces reculs, le ministre du logement Guillaume Kasbarian a laissé paraître sa ligne politique. Il fait valoir que « dans le contexte d’effondrement total de l’offre locative que nous connaissons, nous ne pouvons pas prendre le risque de réduire celle-ci encore davantage ».
Le sujet est récurrent ces derniers temps. En août 2021, une étude de l’institut des Hautes Etudes pour l’Action dans le Logement (Idheal) avait étudié un panel de logements neufs livrés entre 2000 et 2020 en Ile-de-France. Elle concluait que la qualité des logements était en baisse sur cette période. Suite à quoi, la question de créer un référentiel du logement de qualité s’était posée. Cette baisse a différents facteurs : pression foncière, fiscalité lourde, logique de rentabilité, mais surtout existence de dispositifs fiscaux incitatifs comme le dispositif Pinel. On n’arrête pas le progrès !