En 2022, peut-on encore accepter le mal logement ?
Au premier trimestre 2022, la fondation Abbé Pierre faisait paraître son dernier rapport annuel sur le mal-logement, faisant état de 4 millions de personnes non ou mal-logées. En première ligne face à ces situations de grande précarité et aux multiples conséquences directes et indirectes pour les ménages, des associations se mobilisent chaque jour auprès des mal-logés pour leur apporter un soutien administratif, juridique et social.
Afin de mieux comprendre ces situations complexes, et les solutions mises en œuvre pour tenter d’enrayer la crise du mal-logement, rencontre avec Violette Volson, directrice de l’Association Droits et Habitats (ADH) qui agit dans le 18e arrondissement de Paris.
Nous faisons face à une crise du logement qui n’en finit pas, due à des causes structurelles allant de la raréfaction du foncier au déficit de production d’un logement accessible et abordable particulièrement là où les besoins ne cessent d’augmenter, et avec elle cette notion du mal-logement qui semble s’être installée dans l’imaginaire collectif. Mais au fait, qu’entend-on précisément par le mal-logement ?
Même si le mal-logement recouvre une variété de situations complexes, on peut distinguer trois grands types de configuration ; l’absence de logement personnel touchant les personnes à la rue et/ou les personnes hébergées (à l’hôtel, chez un tiers,…), l’occupation d’un logement personnel mais inadapté à la typologie socio-économique et familiale du ménage car suroccupé, posant des problèmes de sécurité, dégradé, voire indigne et dont les désordres (isolation, ventilation, humidité, absence de chauffage,…) vont être accentués par cette problématique de la suroccupation, et les personnes menacées d’expulsion après avoir reçu un congés vente/reprise du propriétaire ou avoir contracté une dette de loyer. L’occupation d’un logement sans titre – dit “squat” – reste finalement assez marginale à Paris.
Toutes ces formes de mal-logement touchent des personnes en situation de précarité et de vulnérabilité sociale. Quelles que soient les configurations, nous constatons que ces situations sont bien souvent imbriquées et que, de fait, on devient malade du mal-logement. Ces réalités ont des conséquences qui impactent profondément la vie des ménages dans toutes ses dimensions, à la fois sur le plan de la santé physique (asthme, saturnisme,…) et psychique (dépression, isolement, manque de confiance en soi,…), de la vie sociale (honte, incapacité à recevoir,…), ainsi que sur les parcours scolaires et professionnels et dans certains cas de manière durable voire irrémédiable.
Comment se positionne l’Association Droits et Habitats (ADH) face à ces situations d’urgence particulièrement prégnantes au cœur des métropoles ? Et quel type d’accompagnement votre association propose-t-elle ?
Ce qui est fondamental à nos yeux c’est de rendre leur dignité et leur légitimité à ces personnes en situation de vulnérabilité et de fragilité. De les outiller pour qu’elles osent inverser le rapport de force et faire valoir leurs droits. Ainsi, chez l’ADH nous mobilisons principalement le droit en nous appuyant sur une équipe permanente de 6 salariés aux profils de juristes, entourés de 3 personnes en service civique et de 20 bénévoles actifs aux parcours variés qui apportent un regard différent auquel nous tenons.
Nous assumons cette position d’accompagnement dans l’accès aux droits liés à l’habitat qui se révèle complémentaire du travail mené par les services sociaux. Très concrètement, il s’agit d’examiner la situation des gens, de prendre le temps de les écouter, de les informer et de les former sur leur droits, et de les aider à les mobiliser en leur donnant connaissance des différents dispositifs et procédures qu’ils peuvent engager. Il faut être conscient que nous sommes là parce que la personne publique se révèle “défaillante” sur des questions majeures de régulation du parc privé et de l’offre adaptée en logement social (nombre, type et typologie). Nous venons tenter de réparer, en bout de chaîne, ce qui n’est pas suffisamment investi par les pouvoirs publics. Les acteurs institutionnels et opérationnels en charge des questions d’habitat constituent, malgré tout, des partenaires avec lesquels nous travaillons de manière collaborative et constructive au quotidien.
Au regard de la complexité du jeu d’acteurs institutionnels et opérationnels mobilisés sur ces questions sensibles, votre intervention se heurte-t-elle à des limites ? Si oui, lesquelles ?
Nous accompagnons les ménages afin de les aider à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent (à la rue, habitat indigne, risque d’expulsion,…) avec pour objectif ultime et systématique le relogement dans le parc social. Toutes les situations de mal-logement précédemment évoquées se révèlent insolvables sur la durée si les gens sont maintenus là où ils logent lorsqu’ils viennent solliciter notre accompagnement. A Paris, cet objectif de relogement se heurte aux réalités d’un parc privé devenu inabordable et à celles d’un parc social complètement saturé du fait de l’important retard pris dans la construction de logements “réellement sociaux” adressés aux plus précaires (PLAI et PLUS). Cette configuration crée des délais d’attente particulièrement dommageables et, in fine, conduit à l’inertie et à la durabilité de ces situations de mal-logement et/ou d’absence de logements adaptés.
Malgré l’utilité et la reconnaissance de notre travail par nos partenaires institutionnels et les pouvoirs publics locaux qui, de fait, se reposent beaucoup sur l’ADH en orientant de nombreux demandeurs de logements du 18ème arrondissement vers l’association, notre action se heurte à la viabilité de notre structure en termes de budget. C’est un combat quasi quotidien pour arriver à maintenir une équipe en capacité de faire face à l’urgence de la demande et à la complexité technique de notre accompagnement. Nous restons une structure de proximité, ouverte au public et bienveillante où les mal-logés sont en confiance et qui s’inscrit dans le tissu associatif nord-parisien particulièrement remarquable qu’il faut préserver.
Pouvez-vous nous parler d’un accompagnement ou d’un engagement récent dont l’ADH est particulièrement fière, car représentatif de ce que vous défendez en termes de justice sociale et de “mieux-vivre urbain” ?
Nous constatons que ce sont majoritairement des femmes qui s’adressent à l’ADH. Partons de cet état de fait, nous avons souhaité comprendre plus en profondeur quels étaient leurs parcours personnels, résidentiels et les situations auxquelles elles étaient confrontées. 30% des ménages accompagnés par l’association sont des femmes en situation de monoparentalité. Nous développons donc depuis quelques mois un accompagnement spécifique de ce public, qui se traduit autant par un suivi individualisé que par l’organisation de temps collectifs venant interroger la place de ces femmes dans le foyer et dans la ville. Par ailleurs, nous sommes fortement confrontés depuis peu à la question des violences conjugales et de leur impact sur le parcours résidentiel des femmes qui y sont confrontées. Beaucoup de femmes se retrouvent en situation de mal-logement parce qu’elles ont fui des violences conjugales, d’autres sont victimes de violences dans des conditions de logement indigne, ce qui vient renforcer la gravité de ces situations. Ces réalités nécessitent un accompagnement spécifique sur lequel l’ADH a fait le choix de s’engager.