Du bagou et des ilots pour franchir l’Odet
Savez-vous qu’environ 40% des Bretons n’ont pas accès aux transports en commun dans leur périmètre quotidien ? Romie Lozachmeur, étudiante en Master à City de l’École de Design Nantes Atlantique, a elle-même constaté que ses terres bretonnes vrombissaient d’engins à moteur. C’est un fait : pour franchir l’estuaire de l’Odet qui sillonne le Finistère et borde Benodet, 9 habitants sur 10 utilisent aujourd’hui leur voiture. La jeune designer a donc imaginé un moyen de transport alternatif moins polluant et plus rare : la navigation pour tous. L’usager peut embarquer à bord d’un bagou – petite navette – pour rallier les deux rives. En chemin, il est invité à se glisser dans un parcours écosensible, sonore et poétique qui l’initie aux richesses naturelles et patrimoniales de l’estuaire.
Le pont fait le pont
Le fleuve est un élément complexe : il façonne les frontières et les rives des territoires qu’il traverse. C’est particulièrement vrai pour l’Odet. C’est un fleuve côtier breton dont les rives ont longtemps été sillonnées par des moyens de transport fluvial.
Le pont de Cornouaille, construit en 1972, enjambe l’Odet et constitue aujourd’hui le seul axe de circulation sur 25 km. Il relie le pays bigouden et le pays de Fouesnant. Sa construction révolutionne les habitudes de mobilité des habitants. Long de 620 mètres, il est aujourd’hui le seul moyen pour franchir l’estuaire et supporte le défilé vertigineux de 13 000 passagers par jour.
S’il disparaît, il faudra 55 minutes à l’automobiliste pour atteindre Quimper, ville située à seulement 18 km de là. Néanmoins, à partir de 2024, le pont de Cornouaille sera officiellement en pause. Des travaux de construction en bloqueront l’accès et les usagers devront repenser la manière dont ils se déplacent au quotidien.
Contrainte ? Opportunité ? Romie Lozachmeur voit cette pause “forcée” comme un moment pour réanimer la dynamique fluviale entre les rives. Le fleuve pourrait être le maillon qui réunit deux terres bretonnes aux identités bien distinctes.
Et vogue la mobilité douce
Quel rôle pourrait jouer la mobilité fluviale sur l’Odet ? Acteur clé dans le développement de la région Bretagne et de l’estuaire, elle :
- relierait les différentes communes situées le long du fleuve ;
- faciliterait les échanges commerciaux et les transports de marchandises ;
- contribuerait à l’essor du tourisme en ouvrant l’accès aux sites culturels et naturels le long des rives.
À l’origine, les habitants se rendaient sur la rive opposée pour travailler ou pour visiter les châteaux de seigneurs locaux, comme celui des Garennes situé devant l’anse de Penfoul. Aujourd’hui, dans un monde qui se réchauffe trop vite, la force principale de la mobilité fluviale réside dans sa capacité protectrice de l’environnement. En effet, l’usage de bateau ne produit pas de gaz à effet de serre et utilisé à grande échelle, il désengorge les routes assiégées par la voiture. Cependant, ce type de transport reste soumis aux aléas climatiques et à la saisonnalité.
Pour maintenir la sécurité des navigateurs, des bateaux à pédalier avec assistance électrique en libre-service 24h/ 24h et 7j/7 seraient mis à disposition des habitants. Plus besoin de voiture ! Faire ses courses, aller au travail, se balader, retrouver un ami pour prendre un café deviendrait une expérience sportive et écologique journalière. Une application permettrait à la fois de se former aux bases sécuritaires de la navigation et de débloquer le pass boat tout en initiant les utilisateurs à la magie des endroits préservés de l’Odet.
De plus, 50 % des habitants de l’estuaire sont des retraités qui gagneraient à pratiquer une activité physique régulière.
Le fait de pédaler pourrait réduire également les frais d’utilisation du bateau. Le pass boat vise à prendre en compte les usages quotidiens de chacun.e et à s’adapter au niveau de pratique sportive, à la régularité et à l’âge de la personne.
Cap sur les Inizi, ilots de fleuve connectés
Pour franchir l’Odet, Romie Lozachmeur a imaginé un parcours patrimonial foisonnant de biodiversité et composé de 4 “ilôts” situés sur des points stratégiques. Ils seraient placés sur des zones d’interconnexion entre les nœuds de mobilité sur le territoire et les zones fluviales à valoriser.
Chacune de ces plateformes incarnerait l’ADN animal ou végétal de l’Odet :
- stratification des sols ;
- végétalisation ;
- population sauvage ;
- sonorité des lieux.
En interaction constante avec leur environnement, ces ilôts se déplaceraient selon l’humeur de la marée. En cas de forts courants, le service de navette Bagou permettra d’utiliser un pédalier à assistance électrique. La navette sera également polyfonctionnelle et pourra transformer, par exemple, un siège en porte-vélo si l’usage le nécessite.
La mise en oeuvre d’un design participatif serait idéale pour améliorer la qualité du projet global, augmenter la satisfaction et l’engagement des parties prenantes. Ce type de design, en impliquant les administrations, écoles, associations et riverains dans la construction du projet, dénoue de potentiels conflits et garantit une solution équitable et durable pour toutes les parties impliquées.
L’enjeu final serait de travailler avec des partenaires de la mobilité déjà présents sur le territoire afin de faire de ce service un véritable réseau de transport public.
Paradoxalement, l’Odet, dont on a tant redouté la puissance des courants et des marées au fil de l’histoire, apparaît aujourd’hui comme un élément fragile. Auparavant espace illimité qui fournissait en innombrables poissons et digérait tous les déchets de l’homme, le fleuve a maintenant besoin de protection et d’unité de part et d’autre de ses rives.
Au-delà d’un outil éducatif pour les habitants et les touristes en quête de trésors naturels de l’estuaire de l’Odet, Inizi peut être vu comme un modèle de transition écologique pour d’autres territoires en France et dans le monde. En offrant une alternative à la voiture pour les déplacements du quotidien, ce projet contribue à réduire l’impact environnemental global et la pollution sonore, transformer les usages nocifs et sensibiliser au respect de l’écosystème fluvial.