Diplomatie des villes : la nouvelle donne ?
La maxime est désormais célèbre, le XXIème siècle sera celui des villes. De plus en plus de villes revendiquent leur autonomie, notamment pour lutter contre la crise climatique et recréer de la démocratie au niveau local. C40, Fearless Cities, des réseaux internationaux de villes se constituent, comme l’ont fait les grandes institutions internationales avec les nations au cours du XXème siècle. Quelle est cette diplomatie des villes ?
Maintenir un consensus ?
« L’action de Bertrand Delanoë est une erreur politique très sérieuse. En tant qu’officiel local responsable, il doit maintenir un consensus avec la stratégie diplomatique d’État lorsqu’il fait certains commentaires sur les problèmes internationaux. » La citation est de Jean-Pierre Raffarin, elle est publiée dans le China Youth Daily du 22 avril 2008. Par ces mots, le sénateur et ancien premier ministre de Jacques Chirac condamnait le maire de la capitale qui, la veille – au risque de crisper les relations diplomatiques avec la Chine – avait fait nommer le dalaï-lama « citoyen d’honneur » de la ville de Paris.
L’anecdote est loin dernière nous et peut faire sourire aujourd’hui. Reprise par le spécialiste de la diplomatie urbaine Yves Viltard, elle témoigne pourtant du rôle croissant que s’attribuent les villes dans la diplomatie internationale, et des interférences possibles avec le niveau national. « Concernant les inégalités, l’immigration, la santé, la sécurité, la gouvernance, les droits humains et nombre d’autres sujets cruciaux, les villes contournent de plus en plus leurs gouvernements et s’organisent entre elles pour trouver des solutions », se réjouit Ivo Daalder, chercheur en relations internationales et ancien conseiller de Barack Obama.
La léthargie des États-nations
L’exemple le plus retentissant de ces dernières années est bien sûr le front pro-environnement qui s’est constitué au sein des villes américaines, suite aux annonces de Donald Trump en 2017 de ne pas respecter les accords de la COP-21. Dans la limite de leurs pouvoirs, les grandes villes improvisèrent une alliance contre l’État fédéral, pour le climat et au nom du bien-être de leurs habitants.
Un élan comparable naît à Londres à l’annonce du référendum du Brexit raconte le journaliste Benoît Bréville : une pétition demandant l’indépendance de la capitale recueille 180 000 signatures. Le maire Sadiq Khan profite de la dynamique pour prendre des positions fortes pour l’ouverture de la ville aux travailleurs et aux entreprises. Elle lui confère rapidement une visibilité internationale comparable à celle d’un chef d’état. Dans la foulée, il signe une tribune avec Anne Hidalgo dans laquelle ils déclarent : « Ensemble, nous pouvons être un contrepoids puissant face à la léthargie des États-nations et à l’influence des lobbys. Ensemble, nous façonnerons le siècle à venir. »
Siècle des villes
Ces déclarations fortes ne sortent pas de nulle part, elles s’inscrivent dans l’héritage d’une citation célèbre, celle de l’ancien maire de Denver, Wellington Webb : « Le XIXème a été le siècle des empires, le XXème celui des États nations. Le XXIème siècle sera celui des villes ». La métropolisation est aujourd’hui considérée comme une donnée majeure de recomposition des territoires.
À l’heure de la mondialisation, les villes auraient les clés en main. Mieux, elles seraient en mesure d’appliquer des solutions immédiates, là où les négociations internationales patinent. Inscrits dans une généalogie contestataire, ces discours estiment que les états ont failli à réguler la finance, freiner le réchauffement climatique et réduire les inégalités.
Grâce à leur ancrage local, les villes pourraient mieux répondre aux besoins des habitants. Pourquoi pas ? Rappelons-le, elles concentrent plus de la moitié de la population mondiale, les richesses, les technologies mais aussi les inégalités, la production de déchets et la pollution (70% des émissions de gaz à effet de serre mondiale vient des villes).
Soft power métropolitain
Les prises de positions des villes, qu’elles aboutissent à des actes ou non montrent donc une volonté de rayonner au delà de la ville et de ses habitants. À la manière d’une stratégie de soft power, elles permettent d’attirer des investisseurs et des talents divers, mais également de nouer des partenariats et des alliances. D’après le professeur en politiques urbaines Michele Acuto, il existait 55 réseaux de villes en 1985, on en compte plus de 200 aujourd’hui. Certains comme le C40 (qui a été présidé plusieurs années par Anne Hidalgo) ou le 100RC (dont nous parlions ici) sont relativement connus du grand public, d’autres beaucoup moins et restent un milieu d’initiés.
Ainsi des villes des quatre coins du globe organisent leur influence. Elles se réunissent lors de sommets, se fixent des objectifs et des feuilles de route, partagent des bonnes pratiques d’aménagement urbain, mettent en place du lobbying. Ces méthodes ressemblent à celles développées par les ONG dans les années 1990, notamment dans le domaine de l’humanitaire. À cette époque s’était développée une « diplomatie non gouvernementale » d’après Philippe Ryfman, chercheur en relations internationales. Une diplomatie alternative dont l’influence n’est plus contestable aujourd’hui.
Bande à part ?
Pourtant, sans pouvoirs régaliens ni moyens conséquents, incapables de signer des traités qui seront repris dans le droit international, les métropoles doivent constamment prouver leur légitimité. Elles s’inscrivent alors dans une logique de marketing territorial et de compétition entre elles. Afin d’attirer les investissements, elles doivent soigner leur image, paraître dynamiques, modernes et connectées. Elles multiplient les appels à projets innovants et les événements à forte médiatisation comme les Jeux Olympiques.
Pour Benoît Bréville, en se revendiquant durables et progressistes, les métropoles oublient que ce sont elles qui bénéficient le plus de la « mondialisation, du libre-échange, de la circulation des cerveaux, de la main-d’œuvre immigrée bon marché ». Convaincu que cette diplomatie urbaine traduit une forme de sécession, le journaliste ajoute qu’en « renforçant l’idée qu’elles ne se sentent plus concernées par le sort du reste du pays, les métropoles contribuent à élargir les fractures territoriales. »
Fracture territoriale
Peut-être que les résultats des municipales françaises corroborent cette analyse. La vague écolo-sociale n’a finalement touché qu’une certaine typologie de villes grandes et moyennes. À l’inverse, on pourrait argumenter qu’à force d’expérimentations d’avant-garde dans l’alimentation, la mobilité ou le logement, les réseaux diplomatiques urbains ont su convaincre plus efficacement là où ils opéraient, c’est à dire les grandes métropoles.
Les territoires eux, ne semblent pas encore mobilisés. Il existe pourtant des réseaux de villes internationaux ancrés dans les territoires et qui revendiquent la sobriété et la production locale. C’est le cas du mouvement Cittaslow dont nous parlions ici, ou encore du mouvement des Villes en Transition initié par Rob Hopkins. À quand une diplomatie rurale ?