Design pour les Sans Domicile Fixe
On ne l’attendait plus, et pourtant… Ce début de mois de février a été marqué par le retour du froid, entraînant avec lui la neige ou encore le verglas, ces petits aléas mi féériques mi perturbateurs qui viennent mettre un peu de sel dans notre quotidien.
Mais les vagues de froid sont aussi là pour nous rappeler que si, la plupart du temps, elles ne sont qu’un mauvais moment à passer, pour d’autres elles constituent un véritable danger. Car pour les populations Sans Domicile Fixe, le froid peut tuer et la France manque aujourd’hui cruellement de moyens pour porter assistance à ces personnes parmi les plus vulnérables. Si l’État ne peut satisfaire tous les besoins, certains designers apportent des éléments de réponse concrets pour améliorer leurs conditions. Alors comment cette discipline habituellement associée au luxe ou au haut de gamme peut-elle contribuer à améliorer les conditions de vie des SDF ?
Jean Prouvé : père fondateur d’une nouvelle façon de concevoir
En matière de prise en compte des sans-abris, l’hiver 54 et son fameux appel de l’Abbé Pierre font aujourd’hui figure de date historique. Suite à ce discours, l’Abbé Pierre cherche un designer capable de montrer qu’une autre façon de construire, plus économique, permettant de loger des personnes démunies, est possible. Ce sera Jean Prouvé. Sa proposition restée célèbre sous le nom de Maison des Jours Heureux est un véritable manifeste qui renouvèle l’approche des procédés de construction. L’idée de Jean Prouvé est d’appliquer les principes du design industriel à l’habitat. La maison repose sur un soubassement en béton sur lequel on vient fixer une ossature formée d’un bloc central préfabriqué en acier à l’intérieur duquel on trouve la cuisine et les pièces d’eau. L’enveloppe de la maison est quant à elle consituée de panneaux de bois thermoformés et la couverture de bacs d’aluminium. Ces procédés permettent donc de construire un habitat reproductible en série, économique et qui peut se monter en seulement 7 heures, comme en témoigne la maison test édifiée sur le quai Alexandre III à Paris. Jamais homologué, les différentes autorités n’acceptant pas que les pièces d’eau et la cuisine se retrouvent au centre de la maison, qui plus est sans fenêtres, le projet de Jean Prouvé aura eu le mérite de montrer qu’une alternative à la construction traditionnelle était possible pour se mettre au service des plus démunis.
L’habitat minimum pour repenser les problématiques de logement
Si Jean Prouvé a ouvert la voie en matière de procédé de construction, c’est aujourd’hui autour des usages des logements que l’on vient repenser l’habitat afin de le rendre plus abordable et économique. Est ainsi apparue la notion d’habitat minimum désignant un type de logement qui ne comporterait que de quoi satisfaire les fonctions vitales de l’être humain : se nourrir, se laver et dormir. Ces micro-architectures ont pour avantage de pouvoir se glisser dans les failles de la ville : interstices, dents creuses, cours d’immeubles… En la matière, certains designers et architectes comptent aussi sur le pouvoir démonstrateur et le côté « poil à gratter » que peuvent revêtir certains projets. Ainsi, l’architecte anglais James Furzer a proposé des nacelles en bois capables de venir s’accrocher aux façades des immeubles existants pour fournir un abri temporaire aux sans-abris. Selon James Furzer, son projet possède de nombreux atouts : « confortable, éclairé naturellement, avec un faible impact environnemental, et parfaitement fonctionnel ». Évidemment, un tel projet n’a pas vocation à être réellement construit. Pour autant, il nous permet de nous interroger sur la possibilité d’une autre vision de l’habitat, davantage inclusive.
Favoriser la réinsertion
Pour Amandine Palierne, étudiante en deuxième année de cycle Master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, la problématique des Sans Domicile Fixe ne passe pas uniquement par le logement : « La réinsertion par le logement, qui est une grande question et une responsabilité politique n’a toujours pas prouvé son efficacité. J’ai donc choisi pour mon Projet de Fin d’Études, de travailler sur la réinsertion par l’emploi, qui, avec des moyens supplémentaires, serait définitivement plus accessible ». Intitulé « Blossom-Lab », ce projet aurait pour rôle, de modérer les écarts, resserrer et consolider les liens entre les différentes institutions afin de rendre les démarches fragmentées plus linéaires. Il se concentrerait sur les besoins des usagers, mais surtout sur leurs compétences et connaissances, sur leurs ambitions et passions, afin d’instaurer et de déclencher le processus de résilience pour chacun, ainsi qu’une prise de conscience, confiance, estime et dignité. Pour Amandine, ce projet « se concentrera précisément sur l’expérience de ses usagers. Sur les valeurs ajoutées qu’ils auront acquis durant leur vie au sein de la rue, mais aussi sur leur savoir faire et savoir être. Il leur permettra d’exploiter ces différentes compétences et de les développer. Il s’agira aussi de leur permettre de s’épanouir en se focalisant sur leurs passions et en faisant ressortir leurs talents. Ces jeunes sont des personnes résilientes, ce laboratoire leur apportera une expérience formatrice qui les mettra à l’épreuve, où ils seront formés et assureront aussi le rôle de formateur. « BlossomLab » leur donnera le pouvoir d’agir. Ainsi, ils seront capables de partager leurs différents savoirs, d’imposer leurs choix et décisions, d’être à l’écoute et d’exposer leurs compétences ». L’occasion une fois encore de montrer que le design peut être au service de tous.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique