Des villes refuges aux villes rebelles
À l’image de San Francisco qui s’est autoproclamée “ville sanctuaire” pour les réfugiés d’Amérique centrale en 1985, les villes refuges se multiplient en Europe. Par pragmatisme ou par conviction, elles s’opposent aux politiques européennes et accueillent les migrants.
Comme chaque mois, plongez dans le futur de la ville avec notre série “Habiter 2035”, où l’on vous dresse des scénarios possibles pour la prochaine décennie. Retenez votre souffle, immersion dans 3, 2, 1 …
Mandela de la Roya
Coute que coute. Que ce soit contre les groupes suprémacistes ou contre la politique gestionnaire du gouvernement, la maire de Saorge tiendra le cap d’hospitalité qu’elle s’est fixé. Inspirée par la politique de Domenico Lucano dit « Mimmo », ancien maire du petit village de Riace dans le sud de l’Italie, elle poursuit la tradition d’accueil inconditionnel des migrants, qui date de l’après-guerre dans la vallée de la Roya. Car au-delà des vies, c’est son village qu’elle sauve. La population, qui stagnait depuis les années 2000, a doublé en 15 ans. De nombreux commerces et services sont revenus dans la ville que désormais, les plus jeunes générations n’envisagent plus de quitter. Aujourd’hui, les soutiens sont venus en nombre pour l’accueillir à sa sortie de prison. Condamnée à un an ferme pour délit de solidarité, elle ne compte pas s’arrêter.
Scénario possible ou récit de science-fiction ? Analyse.
Networking humanitaire
L’arrivée de plus de 10 000 migrants en quelques jours sur l’île italienne de Lampedusa à la mi-septembre a ravivé les tensions entre les pays européens. Accueillera ? N’accueillera pas ? Les gouvernements se sont renvoyés la balle, invoquant l’argument sécuritaire et, sur fond de xénophobie latente, laissant la crise s’accroître en Méditerranée. Face à cette même situation d’impasse, de nombreuses villes se sont par le passé déclarées en faveur d’un accueil inconditionnel. Dans la lignée de San Francisco qui revendiquait d’être une ville sanctuaire en 1985, refusant de coopérer avec la police pour expulser les migrants d’Amérique centrale, les maires de Barcelone, Paris, Lesbos et Lampedusa lançaient en 2015 un appel pour la constitution d’un réseau de villes-refuge. À la suite de la crise migratoire cette même année, ces municipalités souhaitaient garantir au niveau local ou municipal des conditions d’accueil décentes pour les migrants. Depuis, d’autres réseaux se sont constitués, comme Antiva en France.
Rebel rebel
Ces villes refuges deviennent parfois des villes rebelles, lorsqu’elles se retrouvent à lutter frontalement contre les politiques nationales. C’est sous le mandat de Matteo Salvini que le maire de Riace, en Italie, a été condamné à 13 ans de prison, lui qui défendait un modèle de redynamisation de la vie locale à partir des migrations. De leur côté, les cinq villages qui composent la vallée de la Roya poursuivent leur tradition d’accueil avec fierté. C’est ici que l’agriculteur Cédric Herrou avait aidé à l’installation de migrants dans une gare désaffectée, raison pour laquelle il avait été traduit en justice. La ville de Saint-Brevin-les-Pins, en Loire-Atlantique, pourrait suivre cette voie de ville rebelle dès lors qu’elle poursuit son projet de centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) malgré les attaques violentes de l’extrême droite et la complaisance du gouvernement, qui ont mené à la démission de son maire Yannick Morez.
Des villes hostiles ?
Quelque part, la naissance de ces villes refuges est liée à l’existence de villes hostiles, car le danger qui pèse sur les individus est toujours la cause de leur migration. Selon les observateurs, la vague de traversées de la Méditerranée en septembre est causée par les persécutions à l’encontre des subsahariens en Tunisie depuis l’été. Partis de Sfax, ils fuyaient les agressions xénophobes encouragées par le président Kaïs Saïed. Et en termes de villes hostiles, le dérèglement climatique ne va rien arranger : les projections présentent une progression qui va de 260 millions de réfugiés climatiques en 2030, jusqu’à 1,2 milliards en 2050.