Des mobilités actives pour les quartiers prioritaires de la ville ?
Si les opérations de renouvellement urbain se sont frottées à de nombreux sujets au sein des quartiers prioritaires, la question des mobilités, notamment actives, n’est que peu prise en compte. Pourtant les habitants de ces quartiers, situés en périphérie des villes-centres, ont besoin de se connecter durablement au reste du territoire, alors même qu’ils sont peu à disposer de voitures.
Bien que les initiatives en faveur de la mobilité active dans les quartiers prioritaires peinent encore à émerger, certains territoires ont réussi à en faire une priorité. Un dossier publié il y a quelques mois par le Club des Villes & Territoires Cyclables et Marchables présente l’état actuel ainsi que des pistes de réponse.
La marche contrainte des QPV
Le dossier “À pied et à vélo dans les quartiers prioritaires” conçu par le Club des Villes & Territoires Cyclables et Marchables nous apportent de nombreuses connaissances sur les différences de recours aux mobilités actives entre les QPV et le reste des espaces urbains. Tout d’abord que les premiers font figure de bons élèves, avec un usage bien moindre de la voiture individuelle, et ce au profit de la marche et du recours aux transports en commun.
Pour autant, cette particularité est liée au fait de leur moindre mobilité par rapport à la moyenne française, que ce soit en nombre de jours sans se déplacer, en nombre de déplacements, ou en termes de distance. Et ce alors même qu’on passe autant de temps en déplacement en QPV par ailleurs. La clef de cet apparent paradoxe ? On se déplace bien moins vite dans les quartiers populaires, notamment du fait d’une moindre motorisation (44,6% des ménages sans voiture contre 18,5% hors QPV), et d’une part trois fois inférieure de personnes sans permis.
Mais là où ces habitants se démarquent, c’est par une pratique de la marche deux fois plus importante. Bien qu’on pourrait y voir là l’avènement d’une véritable pratique de la ville du quart d’heure, marchable, ce choix de la marche est peut-être plutôt contraint par la double nécessité de se déplacer et d’économiser au maximum. La marche se transforme alors en contrainte, d’autant plus que les travailleuses et travailleurs aux horaires décalés – durant lesquels on a du mal à trouver un bus – sont surreprésentés dans les QPV.
Face à ces difficultés, le vélo ne réussit pas vraiment à tirer son épingle du jeu avec une part modale dans les QPV 2, voire 4 fois inférieure à celle de la métropole la plus proche. Une donnée qui est loin d’être anecdotique puisque les cyclistes des quartiers prioritaires sont 3 fois plus à utiliser leur vélo quotidiennement que les possesseurs de vélo hors QPV.
Cependant, la pratique du vélo est loin d’être inexistante dans les QPV, et prend des formes invisibilisées par les études sur les simples déplacements. Le sociologue David Sayagh cité par l’étude s’est notamment intéressé à l’usage du BMX et plus généralement du vélo comme un objet sportif, et de socialisation dans les QPV. Il est aussi un outil de travail pour les livreurs qui sont surreprésentés dans le quartier. À noter que ces usages, comme celui du vélo en général, concerne surtout les hommes dans ces quartiers. Les femmes y sont – comme en dehors des QPV – plus immobiles, ce qui est notamment visible dès l’adolescence à ne pas maîtriser le vélo.
Amplifier la mise en place de services de mobilités alternatives
Déjà présente en germe à l’état de contraintes, la culture de la marche et du vélo dans les quartiers prioritaires pourrait être amplifiée afin d’améliorer la mobilité et l’inclusion sociale. Pour y parvenir, plusieurs initiatives peuvent être mises en place. Tout d’abord, il est crucial d’offrir des services solidaires et inclusifs, accompagnés d’animations visant à sensibiliser les habitants aux avantages de la marche et du vélo. Ces activités peuvent aider à briser les barrières culturelles et sociales qui limitent l’utilisation de ces modes de transport.
En outre, fournir des aides financières pour l’achat de vélos, ainsi que des options de location de longue durée, peut grandement faciliter l’accès à ces moyens de transport. Par exemple, afin de rendre accessible les systèmes de vélo en libre-service (VLS) ou flottants (free-floating), il pourrait être judicieux que la collectivité prenne en charge la caution requise. Un mécanisme de prêt avant l’achat est également une piste à explorer, étant donné que beaucoup de ménages ne peuvent pas avancer l’argent nécessaire pour l’achat d’un vélo avant d’en obtenir le remboursement. De plus, il est important d’informer les habitants sur les possibilités de financement, comme la prise en charge de 50% des coûts par les employeurs.
Pour aller plus loin, des formes de financement inédites pourraient être envisagées. Par exemple, à Stains et Saint-Denis, l’Établissement Public Territorial (EPT) Plaine Commune a mis en place une régie de quartier, au sein de laquelle un conseiller renseigne les habitants sur les aides disponibles et les services de mobilité, à partir d’un diagnostic visant à identifier les possibilités de changement modal. Ce service est complété par des ateliers de réparation de vélos.
Dans le même esprit, la métropole de Lyon a lancé fin 2021 un programme de prêt de vélos gratuits et sans caution pour les étudiants et les jeunes en insertion sociale et professionnelle. La flotte est fournie par un prestataire qui remet en état des vélos free-floating et est gérée par un atelier d’insertion. De son côté, la communauté urbaine de Dunkerque recycle environ 200 vélos par an pour les mettre gratuitement à la disposition des habitants modestes. Bien que ces initiatives ne ciblent pas spécifiquement les QPV, elles touchent des publics qui se recoupent en partie avec les habitants de ces quartiers.
Enfin, certains dispositifs s’adressent aux enfants d’environ 10 ans qui n’ont pas accès au vélo. Ces programmes peuvent jouer un rôle crucial dans l’initiation des jeunes habitants des quartiers prioritaires à la culture du vélo, avec une attention particulière portée aux jeunes filles, pour qui l’accès au vélo est souvent encore plus limité.
(Ré)apprendre à pédaler pour palier l’immobilité contrainte
Mais avant tout, il s’agit de savoir faire du vélo dès le plus jeune âge pour que tous ces services aient une véritable utilité. Un programme national – le plan vélo – a justement été lancé en 2018 avec pour ambition d’apprendre à tous les enfants de 6 à 11 ans de circuler à vélo. En plus des savoirs de base (savoir pédaler, savoir rouler, etc.), des villes se sont saisies du plan vélo pour aller un peu plus loin. C’est le cas d’Evry-Courcouronne qui, dans le cadre de la concertation liée au plan, un diagnostic en roulant pour recueillir le regard des élèves a été réalisé. Ce travail a doté les animateurs de la ville et l’association associée de nouveaux outils de diagnostic, en plus de leur permettre d’améliorer l’apprentissage au vélo des futurs élèves. Dans le même ordre d’idée, la ville de Saint-Denis a organisé des diagnostics en roulant, assez inspirés des marches sensibles qui permettent aux élèves d’exprimer leur ressenti au sein de différents pans de la ville. Si ces deux démarches n’en sont qu’à leurs premières éditions, il y a fort à parier qu’elles constitueront la première brique de nouvelles méthodes de travail dans les outils à venir.
L’apprentissage dans les QPV concerne également les adultes, au premier rang desquels les femmes. L’association montreuilloise Vivre à vélo en ville n’a ainsi pas attendu le plan vélo, puisqu’elle permet à des adultes de se (re)mettre ne selle depuis 30 ans. À Strasbourg, dans le QPV Neuhof-Meinau, ce sont des réfugiés qui sont bénéficiaires d’ateliers pour apprendre à pédaler, et ainsi favoriser leur insertion par la mobilité.
Apprendre à être un piéton est tout aussi important, et va plus loin que simplement mettre un pied devant l’autre. En complément des traditionnelles animations de sécurité routière assurées pendant la période scolaire, la ville d’Orvault a mis en place un dispositif, entre le design actif et la signalétique, pour accompagner les enfants vers l’autonomie dans leur déplacement. Après des moments de « Pédibus », une signalétique représentant des pas, au sol, a été réalisée pour matérialiser les cheminements piétons sécurisés, entre les aires de bus et les écoles.
Le vélo, révélateur et réponse à l’enclavement des QPV
Le développement des mobilités actives dans les quartiers prioritaires, en particulier ceux soumis à un Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), joue un rôle crucial dans la réduction de leur isolement et le renforcement de leur résilience. Un exemple significatif est celui de la métropole de Strasbourg, qui, dans le cadre de son projet de renouvellement urbain, a collaboré avec le bureau d’étude Chemins Indiens pour réaménager le quartier de l’Elsau. Auparavant isolé par une voie ferrée et un cours d’eau, le projet prévoit la création de plusieurs franchissements pour assurer la continuité cyclable et piétonnière. Le quartier a également été labellisé Écoquartier, avec une attention particulière portée à la végétalisation et à l’aménagement d’un parc urbain. Des zones de rencontre ont été créées pour favoriser la cohabitation entre piétons, cyclistes et automobilistes, et des îlots de fraîcheur ont été intégrés pour atténuer les hausses de température en milieu urbain. La participation citoyenne a été un élément clé du projet, avec diverses initiatives impliquant activement les habitants.
Ces mesures en faveur du vélo et de la marche dans les quartiers prioritaires offrent également une opportunité pour repenser un environnement urbain plus égalitaire. Les collectivités sont de plus en plus attentives à la conception inclusive de l’espace public, prenant en compte les besoins spécifiques de tous les publics. Une attention particulière est portée à la conception des trottoirs, des espaces de loisirs, et de l’éclairage pour garantir la sécurité, le confort, et la facilité d’utilisation pour tous. Cette approche vise à renforcer l’autonomie, la liberté de déplacement et la mixité dans les quartiers.
À Villiers-le-Bel, par exemple, des sentiers pour piétons ont été aménagés dans l’éco-quartier et quartier prioritaire Derrière les Murs, avec une attention particulière à l’accessibilité et à la lutte contre les inégalités de genre. Trois projets transitoires ont été lancés pour expérimenter de nouveaux usages et encourager l’égalité des sexes.
Si la pratique des mobilités actives dans les QPV est principalement le résultat d’un ensemble de contraintes, ces dernières constituent aujourd’hui un levier de désenclavement, de résilience et d’empowerment de ses habitants. Le dossier présenté ici, et élaboré par le Club des Villes et Territoires Cyclables et Marchables, cite de nombreuses autres initiatives françaises qui peuvent inspirer associations comme collectivités.