Des mangroves dans la ville
L’ouvrage Mangroves urbaines, du métro à la ville : Paris, Montréal, Singapour est une invitation à arpenter différemment un espace quotidien partagé par des milliers d’usagers : les couloirs du métro. Ce « guide de voyages » propose une plongée dans un monde labyrinthique qui, s’il est souvent subi, est pourtant riche en surprises.
Marion Girodo s’est intéressée au réseau du métro parisien lors de ses études à l’école d’architecture de Marne-la-Vallée. Elle y a suivi le cursus du master Métropoles, dans lequel David Mangin (Grand prix de l’urbanisme 2008) dirigeait le séminaire Paris Babel. Il invitait ses étudiants à réfléchir aux problématiques liées à la métropole du Grand Paris. C’est en analysant le pôle Haussmann – Saint-Lazare que Mario Girodo a « découvert » d’un oeil neuf les « connexions entre les bâtiments et les métros. »
Le sujet, vaste, est encore largement inexploré. En 2014, Le professeur et l’étudiante décident d’y consacrer un livre. L’ouvrage est financé par le cabinet Seura architectes, au sein duquel travaille David Mangin, qui y voit une opportunité de recherche et de développement. « Ce n’est pas la question du souterrain qui nous attiré » , rapporte Marion Girodo, « mais plutôt la mixité urbaine, la programmation multiple au sein d’un seul et même système urbain architectural. »
Le livre de Marion Girodo et David Mangin nous emmène à Paris, Montréal et Singapour faire une promenade à travers 26 « mangroves urbaines » : ces passages reliant directement les quais de transport à l’intérieur d’espaces résidentiels ou commerciaux, qu’ils soient souterrains ou aériens.
L’idée botanique de la connexion
« Il y a des gens qui ignorent la ville du dessus et d’autres qui ignorent celle du dessous » déplore Marion Girodo. Une méconnaissance à laquelle l’ouvrage se propose de pallier. Grâce à des représentations axonométriques des passages souterrains et des espaces qu’ils connectent, le lecteur y découvre les ramifications de systèmes racinaires dont l’emprise sur le sous-sol est impressionnante. « On passe du dessus au dessous de manière continue, via des réseaux piétonniers intérieurs. Il y a des petites mangroves, des grandes, des très profondes, des extraordinaires. »
Les mangroves urbaines s’étendent progressivement, par l’adjonction successive d’espaces à connecter : centres commerciaux, écoles, centre d’affaires. Dans un premier temps, les auteurs avaient envisagé de les désigner par les termes de machines urbaines, puis de Meccano® urbains. C’est finalement David Mangin qui « a trouvé l’idée de mangroves urbaines » en référence aux forêts de palétuviers, dont les racines immergées créent des écosystèmes mi-aériens mi-aquatiques. « Il y a cette idée botanique de la connexion, une métaphore qui parle. »
Passer du dessous au dessus de manière continue
Mario Girodo insiste sur la distinction entre ces mangroves et l’urbanisme souterrain, un mouvement architectural qui connut son apogée en France avec la construction du quartier des Halles dans les années 70. « On cherchait alors à mettre les fonctions de la ville en sous-sol. ». Les espaces documentés dans l’ouvrage sont certes fermés, mais les lieux qu’ils connectent ne sont pas nécessairement souterrains. « On parle de la ville intérieure, pas de la ville souterraine. »
Les mangroves urbaines ne remplacent pas l’espace public. Elles peuvent en revanche l’étendre. C’est le cas à Montréal, où les autorités ont aménagé le sous-sol de la ville à très grande échelle en raison de la rigueur de l’hiver local. À Singapour, le phénomène a été plus progressif. Des mangroves sont d’abord apparues dans le tissu urbain existant, puis d’autres ont été aménagées sur des polders, à mesure que la ville empiétait sur le front de mer. À Paris, le système de mangroves est hybride. Alors que Les Halles et le Grand Louvre ont été conçus volontairement comme des objets multifonctionnels et en partie souterrains, d’autres ont évolué au fil du temps. C’est le cas du pôle Haussmann – Saint-Lazare, « le plus complexe en terme de nombre de stations de métro interconnectées, en terme d’envergure aussi, avec plus d’un kilomètre de long », qui connecte des espaces initialement séparés. Face à ces distinctions, l’auteure se défend cependant d’avoir voulu faire une typologie. « Nous sommes sur 3 systèmes différents. »
Faire évoluer l’image négative liée au monde du sous-sol
Marion Girodo, qui a intégré l’agence Seura, collabore maintenant avec l’Atelier International du Grand Paris (AIGP) à la conception des futures gares. Elle développe un travail de réflexion et de prospection sur les mangroves urbaines à venir. L’enjeu est de faire en sorte que les différents opérateurs de ces espaces (STIF, RATP, bailleurs privés) fonctionnent de manière coordonnée. « Plus de 70% des gares du Grand Paris Express seront en interconnexion. De fait, cela va créer des systèmes beaucoup plus complexes que de simples nouvelles stations. »
Penser ces lieux en amont devrait permettre de ne pas répliquer l’inconfort actuel de certaines gares. Marion Girodo et David Mangin entendent ainsi faire évoluer l’image négative associée au sous-sol. Avec Groundscape, un travail d’exploration du monde souterrain, l’architecte français Dominique Perrault allait déjà dans cette direction. Mais alors que “l’échelle du Groundscape est avant tout architecturale (…), les mangroves urbaines, intrinsèquement liées aux transports, ont un rayonnement à l’échelle de la métropole. » L’atlas des mangroves urbaines, actuellement en préparation par les deux auteurs, entend poursuivre le voyage.
Mangroves urbaines, du métro à la ville : Paris, Montréal, Singapour. Marion Girodo, David Mangin, Seura architectes, La Découverte, 2016, 32 €