L’urbanisme réglementaire et opérationnel : un duo complexe au sein de la fabrique urbaine
Gestion de fonciers, production de logements, préservation d’espaces naturels et de biodiversité, les documents de planification urbaine, à l’instar des plans locaux d’urbanisme, représentent le point de départ de l’état actuel et de l’évolution de nos territoires. Des règles trop contraignantes, ou au contraire trop peu, peuvent avoir des impacts considérables sur les espaces, les paysages, les constructions et, par extension, sur les populations qui y habitent ou y travaillent. De nos jours, comment interagissent l’urbanisme règlementaire et l’urbanisme opérationnel ? Et quels impacts ont les documents de planification urbaine sur la transition sociale, climatique, énergétique et économique de nos villes ?
L’urbanisme réglementaire et opérationnel, quésaco ?
Le sol et le territoire sont régies par le droit de l’urbanisme, un système juridique qui permet à la fois d’encadrer l’aménagement du territoire et d’en assurer la conformité avec les objectifs du gouvernement. A travers ce règlement, qui touche autant le droit pénal ou fiscal que le droit du patrimoine ou de l’environnement, le droit de l’urbanisme aspire à l’optimisation de l’utilisation des sols, à allier la protection de l’environnement et l’esthétique urbaine, à assurer la cohésion entre les équipements publics et l’habitat, et à contribuer à la politique de la ville.
Sa mise en application nécessite toutefois la création d’outils qui permettent à la fois de l’adapter au territoire et de répondre aux objectifs politiques locaux. C’est à ce moment qu’entre en scène l’urbanisme réglementaire, en permettant notamment l’élaboration des documents d’urbanisme par les communes et les EPCI – les établissements publics de coopération intercommunale. Même si les règles fondamentales sont stipulées dans le code de l’urbanisme, la plupart sont fixées au niveau local puisque le droit de l’urbanisme constitue un droit décentralisé qui vise à transférer les compétences de l’État à des autorités distinctes.
Concrètement, l’urbanisme réglementaire permet d’adapter les grandes règles du droit de l’urbanisme aux attentes locales par la création de documents de planification. À cet effet, il en existe trois principaux : le Schéma de Cohérence territoriale (SCoT) qui profile la planification stratégique à l’échelle d’une zone urbaine, d’un bassin d’emplois ou d’un grand bassin de vie, le Plan Local d’Urbanisme (PLU) qui dessine sur le long terme les plans d’aménagement et les règles d’occupation des sols des communes, et enfin les cartes communales qui, de manière plus simplifiée, délimitent les zones constructibles ou non des bourgs et villages à faible densité.
De cette base réglementaire, l’urbanisme opérationnel orchestre l’ensemble des actions concrètes nécessaires à la réalisation des projets urbains. Il implique ainsi, par une approche pratique, l’ensemble des acteurs concernés par le développement urbain : les gouvernements locaux, les développeurs immobiliers, les architectes, et les ingénieurs, pour n’en citer que quelques-uns. Son objectif principal vise à améliorer la qualité de vie des citoyens en s’occupant notamment de la construction et de la gestion de la ville, tout en mettant l’accent sur la satisfaction des besoins des habitants en matière de logement, de transport, de commerce et d’espaces verts.
Dans le but de promouvoir un développement urbain durable et viable sur le long terme, l’urbanisme opérationnel s’assure de respecter les objectifs environnementaux, sociaux et économiques actuels. Il reste néanmoins contraint par le cadre juridique et réglementaire fixé par les documents de planification urbaine qui peuvent poser certaines limites quant à l’implantation de nouveaux outils ou infrastructures en faveur des transitions sociales et environnementales.
Effectivement, avant même l’élaboration d’un quelconque projet, qu’il s’agisse d’une construction ou d’une rénovation, il est obligatoire de consulter les documents qui régissent les règles et contraintes d’urbanisme de la commune. Ceux-ci informent notamment des orientations d’aménagement et de programmation concernant le terrain, les servitudes d’utilités publiques, mais aussi les règles de construction autorisées, telles que la hauteur du bâti, les matériaux, les règles de recul, ou encore les pentes de toit. À ces règles s’ajoutent d’autres paramètres à prendre en compte comme la viabilisation du terrain, la nature du sol, la réalisation d’un bornage, les contraintes environnementales… Vous l’aurez compris, tout un tas de mesures qui peuvent compromettre l’idée du projet que chacun s’était imaginé dans sa tête. Cependant aujourd’hui ces documents tentent d’innover et d’assouplir les règles pour qu’elles soient le plus adaptées aux besoins locaux.
Les PLU 2.0 : un outil plus inclusif et participatif
Les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) font donc partie de ces documents de planification qui définissent les orientations et les règles d’urbanisme d’une commune. Ils permettent globalement de fixer les objectifs en matière de développement urbain et de protection de l’environnement, ainsi que les modalités d’utilisation des sols.
Aujourd’hui, dans le but de concevoir une base d’urbanisme qui soit la plus adaptée et conforme aux réalités locales, le PLU se revisite et innove en termes de conception. La démarche participative citoyenne est de plus en plus adoptée dans la réflexion du PLU et devient même un élément clé de sa mise en application. De cette manière, les habitants et les différents acteurs locaux sont directement intégrés dans le processus de décision, en leur offrant des opportunités de participer à la définition des objectifs et des orientations du plan. Cette approche permet finalement de prendre en compte les préoccupations et les aspirations des citoyens, ce qui peut améliorer la qualité et la légitimité des décisions prises.
La petite commune de Saillans, dans la Drôme, a beaucoup fait parler d’elle à ce sujet. En 2016, elle a engagé la révision de son PLU main dans la main avec ses citoyens pour finalement constituer une année plus tard, un “Groupe de pilotage Citoyen”. Cette instance originale de travail et de décision est constituée de deux tiers d’habitants tirés au sort et d’un tiers d’élus municipaux, sur plus de deux ans les membres du groupe se sont retrouvés mensuellement dans le but de débattre, de réfléchir et d’agir pour la révision du PLU de la commune. Une fois formés et guidés sur les questions plus techniques, le Groupe de Pilotage Citoyen réalisait les arbitrages finaux en fonction des retours du Groupe de Suivi et d’Évaluation, lui aussi spécialement créé pour ça et qui s’occupait d’apporter des recommandations et ajustements en réponse aux divers ateliers participatifs organisés avec la population locale.
En deux ans, de 2017 à 2019, pas moins de 93 événements participatifs ont rythmé la vie locale de Saillans, faisant ainsi participer un tiers de la population dans ce travail de refonte réglementaire. Bien que certaines tensions aient pu se créer entre la participation élevée et la technicité que demande la révision d’un PLU, l’implication citoyenne dans la planification urbaine de Saillans a été une réussite pour la commune, ce qui la place aujourd’hui parmi les leaders de l’innovation démocratique.
Par la suite, Bordeaux a suivi le pas en incluant ses habitants dans la révision de son PLU. Une démarche qui avait notamment pour but l’appropriation de cet outil réglementaire complexe par l’ensemble des bordelais, mais aussi de les interroger sur des sujets fondamentaux tels que la végétalisation, la qualité de l’habitat ou encore la trajectoire résidentielle. Directement intégrés dans les documents d’orientations portés par la ville, les retours saisis lors des ateliers organisés dans chaque quartier ont pu contribuer à l’objectif du “zéro artificialisation des sols” et à une préservation de la biodiversité en ville.
Finalement intégrer les habitants dans l’élaboration de ces documents, c’est aussi rendre l’urbanisme plus accessible mais aussi inclusif. La ville de Paris nous l’a aussi prouvé lorsqu’elle a intégré la parole d’enfants lors de sa dernière révision de PLU. Alors que 14% de sa population ont moins de 14 ans, il paraissait naturel et légitime de les inclure dans le processus de révision. Les 360 écoliers des 17 établissements sélectionnés ont ainsi pu contribuer à l’élaboration des quelques milliers de pages du document tout en mettant en lumière quelques thématiques qui leur semblaient essentielles d’aborder pour le futur de la ville : des rues végétalisées, des bâtiments colorés et plantés, des plans d’eau, des fleurs et des arbres fruitiers… De quoi redonner un bon coup de frais à la capitale française !
Malgré la tendance de l’urbanisme réglementaire à affiner ses frontières avec l’urbanisme opérationnel, les deux écoles restent encore trop décorrélées. Plusieurs réglementations encore réfléchies et imposées depuis les hautes instances de gouvernance ne restent encore pas suffisamment malléables et modulables aux réalités locales, comme celle de la Zéro Artificialisation Nette. Malgré un objectif qui tend à réduire les opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation du sol, elle impose des contraintes de densification parfois trop importantes pour les plus petites communes qui ne demandent qu’à se développer tandis qu’elle avantage celles déjà bien artificialisées. En plus de cette fracture territoriale, la notion même d’artificiel et de naturel reste à nuancer : un lotissement bien aménagé et végétalisé (artificiel) a plus d’avantages qu’un terrain de golf (naturel) par exemple.
Il est donc important aujourd’hui de penser l’urbanisme réglementaire et opérationnel de manière associée, pour que leur synergie concourt à développer nos villes de manière équilibrée et adaptée aux enjeux urbains contemporains.