Quand les vivants s’emparent du cimetière
Aujourd’hui, le cimetière se situe dans l’angle mort de la ville Française. Placé au coeur de la cité, il reste pourtant marginal, hors du quotidien des habitants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 64 % des jeunes (18-39 ans) ne vont jamais au cimetière et 50 % des personnes interrogées ne voient pas ce lieu comme un espace public. C’est un espace oublié et évité alors qu’il pourrait devenir un refuge urbain apaisant et ressourçant. Alors comment accueillir la vi(ll)e sans empiéter sur la mort ? Comment réhabiliter le cimetière et lui redonner une place de choix dans l’écosystème urbain ?
Dispositif n°1 : Le corbillard de concertation citoyenne
Pour incarner ensemble le cimetière de demain
Charlotte Rucki, étudiante en master au City Lab de l’École de Design Nantes Atlantique, a observé que la plupart des habitants contournent ce lieu de mémoire de façon délibérée et quotidienne. En effet, dans l’imaginaire collectif, le cimetière est synonyme de mort, de fin et d’absence. Le deuil et la douleur, voire la tragédie teintent l’usage de cet espace de commémoration. Selon elle, il est temps de révéler aux habitants que cet espace public, hors norme, porte une belle richesse à faire vivre collectivement.
Le cimetière pourrait se transformer en véritable refuge urbain, en oasis végétal hors du flux urbain et hors du temps. Contre toute attente, il pourrait devenir un atout fort pour la ville résiliente de demain.
La designer a créé un premier concept : le Corbillard de la Concertation Citoyenne.
Dans le quartier des Hauts-Pavés de Nantes, le corbillard se gare à un nouvel endroit chaque semaine. Il invite les habitants à participer à un atelier collaboratif où l’on débat d’un sujet que la plupart d’entre eux évitent : le cimetière de la Miséricorde.
Les citoyens sont garants d’une mission centrale : laisser place à l’imaginaire et préfigurer les possibles visages d’un nouveau type de cimetière. Un.e médiateur.ice et sa boîte à outils sont là pour les accompagner dans ce processus d’idéation. Cet atelier replace le cimetière comme objet de débat et désir dans l’imaginaire collectif. Il permet également aux municipalités de récolter les avis et souhaits des habitant.es.
Finalement, il ne s’agit pas de penser le cimetière de demain, mais de penser demain AVEC le cimetière. Ainsi la déclinaison de divers concepts prépare le terrain de cimetières transitoires, modulables et malléables, qui surprennent sans choquer. Ces lieux seraient pensés pour accueillir la vie tout autant qu’ils respectent la mort.
Dispositif n°2 : Cim’Terre
Semer du vivant dans un potager partagé
Avec Cim’Terre, le cimetière redevient un lieu accueillant pour les vivant.es et respectueux du calme et de la saisonnalité de l’espace. D’une part, les habitants peuvent se réapproprier et embellir la dernière demeure de leurs proches. D’autre part, les villes contribuent à végétaliser facilement un espace jugé trop minéral. Tout le monde y gagne !
Comment fonctionne Cim’Terre ?
On distribue une carte ensemencée aux riverains du quartier Sainte-Anne de Nantes. Ils sont conviés à l’inauguration à de potagers partagés au cimetière Sainte-Anne. Ainsi, ils peuvent accéder à de belles parcelles privées ou partagées, s’ils ne disposent pas de jardins ou souhaitent cultiver de magnifiques fleurs pour orner la tombe de leurs défunts.
Narratif du dispositif Cim’Terre
Cim’Terre déploie l’imaginaire des habitants et prépare à l’intégration d’un concept plutôt surprenant : l’humusation, aussi appelée compost humain, qui pourrait devenir la mort de demain. Alors dès maintenant, préparons-nous : silence, on pousse !
Dispositif n°3 : Trépasser
Survivre au cimetière, un guide pas-à-pas
À l’occasion du festival du Printemps des cimetières, les habitant.es de Pantin reçoivent une invitation étonnante. On les invite à jouer à Trépasser un escape game plutôt “mortel” !
Trépasser déroule le fil d’un récit ludique et rassurant au sein même du cimetière. À la façon d’un escape game avec plusieurs niveaux de difficulté, il libère chacun.e et l’invite à oser entrer dans ce lieu pour se divertir. Quatre parcours sinuent à travers les allées et les tombes, ponctués de fresques animées et de pavés colorés. Les meilleurs joueurs auront l’occasion de vivre une expérience inédite lors de leur accès au niveau 4 : parcourir le cimetière la nuit.
Si le but du jeu consiste, bien entendu, à trouver la sortie aussi vite que possible, Trépasser convie les habitant.es à occuper cet espace en marge de la ville. Il les invite à profiter d’un moment suspendu dans le temps… pour ralentir pas à (tré)pas !
Depuis juillet 2022, les produits phytosanitaires sont interdits dans les cimetières. En parallèle, les forêts cinéraires et les cimetières-parcs paysagers se multiplient. Ce retour du végétal et de la nature au cœur de la mort reflète le souhait de 73 % des Français : une mort écologique. Ce mouvement de fond sociétal nous amène à rallumer les étoiles autour de nos dernières demeures. Entre espace de sociabilité, terrain de concertation citoyenne et refuge hors de la frénésie urbaine pour ralentir et semer du vivant, il y a là toute une fabrique du faire-ensemble à réinventer !