Les visages de la Seine en 2050
Au centre d’enjeux agricoles, environnementaux et urbains, la question de la ressource en eau dans le bassin de la Seine passionne les hydrologues. Comment imaginer le fleuve en 2050 ? Quelles transformations y mener pour une meilleure résilience dans ses alentours ? Les chercheurs du PIREN se sont penchés sur ces questions pour produire une série de scénarios prospectifs sur le point d’eau qui fend la capitale.
2040. Cela fait une quinzaine d’années que la France est une confédération bio régionaliste. Depuis la victoire du mouvement Localiste aux présidentielles de 2032, la Constitution a été réécrite : elle établit la primauté et l’autonomie des territoires locaux ainsi que des droits d’autogestion démocratique locale. Le découpage administratif du pays suit désormais la forme des territoires et des bassins-versants. C’est une petite révolution à l’échelle du pays et en particulier du bassin de la Seine, qui est le plus marqué par la métropolisation. En quelques années, sa morphologie a profondément évolué : l’aire urbaine parisienne a perdu plusieurs millions d’habitants. Sa décroissance a été planifiée et les populations ont été redistribuées de manière polycentrique dans un réseau de petits centres urbains et ruraux solidaires qui fonctionnent en équilibre avec leur milieu.
Désormais, les habitants se rassemblent régulièrement pour prendre des décisions collectives sur la vie de la cité. La politique s’est rapprochée de ces bourgs, hameaux et villages où vibre la démocratie. Le droit de propriété traditionnel a disparu au profit d’une gestion collective, afin de limiter la prédation des sols. Les terres agricoles, les systèmes techniques et naturels d’approvisionnement en eau, ainsi que les espaces forestiers tendent de plus en plus à être considérés comme des biens communs. L’agriculture se tourne vers la polyculture élevage, c’est le retour des haies et des petites parcelles. La consommation d’eau, de viande, comme de sucre, a drastiquement baissé. Privées de matières premières importées, les mobilités évoluent également : elles se démotorisent. Les rares véhicules encore en service sont réservés aux services publics et collectifs, ils utilisent des agrocarburants. Les marchandises quant à elles sont principalement transportées par la Seine ou via les quelques lignes ferroviaires restantes…
Si ce scénario post-métropolitain vous a paru radical ou utopiste, sachez qu’il fait partie d’une série de projections sur l’avenir du bassin de la Seine conçue par un collectif de chercheurs. Dans celui du dessus (brossé à grands traits ici), des changements de société majeurs sont intervenus suite à des mobilisations citoyennes en faveur de l’environnement. Les émissions carbone par habitant ont nettement baissé et la trajectoire de réchauffement est ralentie. Un deuxième scénario baptisé « Grand Paris, nouveau Londres », imagine quant à lui l’amplification de la métropolisation francilienne telle qu’elle est engagée. Il décrit les conséquences environnementales (peu souhaitables) d’une telle continuation. D’autres scénarios envisagent d’autres alternatives, selon le niveau d’intervention publique, les transformations appliquées au modèle agricole etc.
Le système Seine
Ces études sont commandées par le PIREN-Seine, un groupement de chercheurs dont l’objectif est de développer une vision d’ensemble du bassin de la Seine. Un enjeu important pour les auteurs est de nouer ensemble les volets agricoles, urbain et eau, jusque-là entièrement dissociés. En effet, différentes tentatives de projections ont été publiées par le passé : celle de Négawatt est centrée sur l’énergie, et celle de Solagro sur l’agriculture. Rares sont celles qui prennent pour point d’entrée le système Seine, en tant que fleuve avec ses affluents, ses rives, ses habitats naturels, ses pollutions… Cette approche est de plus en plus portée par les mouvements écologistes, elle déplace le regard pour faire primer les écosystèmes. L’Institut Momentum avait produit une étude comparable, aux accents décroissants et bios régionalistes, mais sans produire des scénarios alternatifs. L’approche s’inscrit également dans les réflexions sur le statut juridique de la nature.
Apprentis prospectivistes
La démarche des auteurs n’est évidemment pas de prédire la réalité en 2050. Elle est d’éclairer les différentes composantes du changement, d’offrir « un panorama conjuguant un ensemble de variables, de critères et de subjectivités. Il s’agit d’une proposition en tant qu’elle invite à éclairer la connaissance, à mettre en débat, à agir, à penser autrement ». Deux méthodes de prospective différentes ont été utilisées dans les scénarios : celle du forecasting et celle du backcasting. La première consiste à se projeter dans l’avenir en s’appuyant sur les tendances lourdes et émergentes. La seconde est utilisée dans le cas des scénarios « de rupture ». Elle consiste à partir d’une image de la société en 2050, puis de revenir dans le temps en envisageant les évènements qui conduiraient à cette société. La première technique a donné le scénario d’ultra-métropolisation inspiré de Londres (réchauffement de 4 degrés), quand la seconde a donné le scénario de post-métropolisation (réchauffement de 2 degrés).
Une remarque au passage : pour assurer le réalisme de leurs projections, les auteurs ont dû imaginer un ensemble de crises violentes (sanitaires, environnementales, politiques), comme un déclic nécessaire à la mise en mouvement des gouvernants et des citoyens… Espérons qu’ils se trompent, au moins sur ce point.