Les prisons à l’abandon, qu’en faisons-nous ?

© Nathan Rémond
20 Mar 2023 | Lecture 3 minutes

Fermée et abandonnée depuis 1990, la prison de Pontaniou située à Brest cherche aujourd’hui des investisseurs pour faire peau neuve. Coincée entre patrimoine, verrue paysagère, et lieu de mémoire, aujourd’hui son devenir reste encore flou mais tout de même engagé puisque la municipalité lance un appel à projets pour sa réhabilitation et reconversion. L’occasion pour nous de revenir sur son histoire mais aussi d’élargir plus largement sur le traitement des prisons à l’abandon en France.

Un symbole oublié…

Nous sommes à la métropole du bout du monde, “là où la Terre se finit” : à Brest, dans le Finistère. Connue surtout pour son port militaire et son temps grisonnant, la cité brestoise fait aujourd’hui parler d’elle pour sa prison appelée Pontaniou. À l’abandon depuis plus d’une trentaine d’années, elle revient aujourd’hui sur le devant de la scène à la recherche de riches investisseurs pour se faire peau neuve. Située en plein cœur du quartier rive droite, à Recouvrance, là où les engins mécaniques s’activent depuis déjà quelques années pour rénover et métamorphoser le quartier tout entier, la prison abandonnée est restée inerte et figée dans le temps. Malgré les divers projets NPNRU engagés, la sortie de terre d’un éco-quartier, et le projet monumental de rénovation urbaine des anciens ateliers navals des Capucins, qui accueillent aujourd’hui le célèbre téléphérique urbain brestois et une scène commerciale et culturelle conséquente, rien n’a été prévu pour la prison de Pontaniou qui est restée en marge des décisions programmatiques.

Pourtant, elle est un symbole historique du secteur rive-droite et même de la ville toute entière. Construite entre 1805 et 1810, cette prison maritime était l’ancienne maison d’arrêt de l’arsenal de Brest avant de devenir prison d’État en 1952. Elle est donc l’un des bâtiments les plus anciens de Brest, l’un des seuls rescapés des bombardements de la Seconde Guerre mondiale qui auront détruit la quasi-totalité de la ville. Durant cette période sombre, l’édifice sera d’ailleurs réquisitionné par les Allemands pour y enfermer les résistants, qui seront par la suite déportés ou fusillés. À la fin de la guerre, Pontaniou reprendra sa fonction de prison civile mixte avant d’être définitivement fermée pour insalubrité en 1990, alors que 180 détenus s’y entassaient de six à huit dans des cellules humides aux murs suintants et éclairées à la lumière artificielle sans grandes aérations.

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… mais bientôt ressuscité

Aujourd’hui la prison qui surplombe toute la rive, coincée entre verrue paysagère et potentiel urbain, ne demande qu’à poursuivre son histoire. Après une première tentative échouée de la municipalité en 2018 d’en faire une résidence d’appartements haut de gamme avec le promoteur parisien François 1er, celle-ci a changé de cap et a décidé de concerter la population et les associations mémorielles avant d’agir sur quoi que ce soit. Il faut dire que ce précédent projet avait agité la toile et soulevé les passions de plusieurs brestois, alors indignés du manque de considération de l’histoire du bâtiment et de l’absence de concertation de la population. L’association Brest-Pontaniou, qui regroupe plusieurs historiens, citoyens mais aussi enfants de fusillés, s’est d’ailleurs montée spécialement à cette période pour contrer le projet et militer pour un avenir plus respectueux du cadre multi-mémoriel de la prison vieille de 180 ans : “Nous sommes certains qu’il est possible de réfléchir, ensemble, collectivement. Nous ne sommes pas opposés à un projet de valorisation de Pontaniou. Projet qui passe sans aucun doute par des investisseurs privés. Mais, avec des partenaires connaissant vraiment le dossier Pontaniou, le lieu et son histoire, notre histoire”.

 

Pour les lieux d’enfermements au passé douloureux comme celui-ci, un travail des mémoires est nécessaire afin de comprendre pleinement l’ensemble des enjeux historiques. Alors, pour entrer dans un dialogue constructif et collaboratif entre toutes les parties prenantes, la municipalité, qui est aujourd’hui l’heureuse propriétaire des 2700m2 du site de Pontaniou, s’est alliée avec les associations locales, comme Brest-Pontaniou. Ensemble, ils définiront ainsi les grandes trajectoires mémorielles que doit suivre le projet pour rendre hommage à l’histoire des lieux : 2023 sera l’année de Pontaniou. Les planètes sont alignées. Il y a une vraie volonté des mondes associatif et politique de travailler ensemble” s’enthousiasme Gilles Grall, président de l’association Brest Pontaniou, et petit-fils d’un résistant emprisonné là pendant la Seconde Guerre mondiale. L’histoire reste donc à écrire, l’appel à projet est lancé et les porteurs de projet ont jusqu’au mois de mai 2023 pour soumettre leur candidature. Un avenir plus vivant et dynamique se dessine déjà pour la friche carcérale qui, demain, aura une nouvelle vocation touristique, culturelle et mémorielle : « Nous comptons laisser une place au souvenir, à une muséographie, qui sera orchestrée par les associations locales -Brest Pontaniou, La Carrée ou encore les Cahiers de l’Iroise. Mais l’idée sera également d’en faire un lieu de passage et de vie qui sollicitera les murs à l’année ».

Si la prison n’est pas classée Monument Historique, elle est tout de même inscrite comme un élément remarquable de l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine de la ville, ce qui requiert un travail minutieux avec les Architectes des Bâtiments de France pour révéler les possibles et les invariants. Il s’agit là de préserver l’âme et l’identité des lieux pour la retranscrire de la manière la plus honnête et ainsi l’utiliser comme témoin clé pour sensibiliser la population à son passé. De cette façon, un cahier des charges strict est à respecter avant d’y apporter un quelconque geste architectural, il s’agit notamment de conserver certains éléments remarquables comme les trois premiers niveaux du bâtiment principal, le mur d’enceinte, les voûtes intérieures, ou encore les portes intérieures et les grilles extérieures d’origine.

Des prisons aux nouvelles fonctions

La prison de Pontaniou n’est pas un cas isolé, en France plusieurs prisons abandonnées ont fait l’objet d’une reconversion pour offrir de nouvelles fonctions. À usages touristiques et culturels, certaines prisons s’ouvrent au grand public pour se transformer en musée, en centre culturel, en mémorial, en lieu d’accueil d’événements, etc… À Toulouse, la prison Saint-Michel est devenue un parcours mémoriel du monde carcéral et de la Seconde Guerre mondiale. Edifiée en 1872, elle a fermé ses portes en 2009 pour ensuite s’ouvrir au grand public en 2020 après avoir été entièrement réhabilitée. Aujourd’hui elle propose des expositions pérennes et temporaires, des parcours ludiques, des visites flash… tout cela rythmé au travers de différentes thématiques toujours orientées sur le monde de la prison et de la guerre : les métiers de la prison, la vie dans la prison, la Seconde Guerre mondiale, les évasions, les destins singuliers de personnes passées par la prison, la période après désaffectation… Autant de sujets qui ont forgé l’identité de cette prison et qui constituent son patrimoine.

La prison Saint-Michel de Toulouse ©Wikimédia commons

La prison Saint-Michel de Toulouse ©Wikimédia commons

À Lyon, les prisons Saint-Joseph et Saint-Paul, anciennes maisons d’arrêt pour hommes, ont fermé leurs portes en 2009 alors qu’elles étaient en fonction depuis le 19ème siècle. Aujourd’hui, après destructions, constructions, conservations et restaurations, les deux hectares de terrain sont devenus un nouveau lieu de vie, un lieu de savoir qui accueille l’Université Catholique de Lyon. Aux portes de la confluence, l’ex-prison Saint-Paul accueille plus de 6 000 étudiants et auditeurs libres, tandis que l’ex-prison Saint-Joseph s’est transformée en résidence étudiante, logements sociaux et bureaux. Pour préserver son histoire et sensibiliser la population, l’agence Origami Architecture propose des visites guidées une fois par mois. Des étapes commentées ouvertes au grand public qui permettent de remonter la frise chronologique et de découvrir en même temps un campus qui allie à la fois patrimoine et modernité.

Avec des nombreux exemples comme ceux-là on ne peut qu’imaginer un meilleur avenir pour la prison de Pontaniou. Alors dans vos imaginaires, qu’y voyez-vous ? Un grand musée qui retrace son histoire, un futur campus, une résidence de logements, ou peut-être un grand espace sportif ?

LDV Studio Urbain
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