Faire renaître un lac précolombien au coeur de Mexico
Abandonner un projet d’aéroport de plusieurs milliards de dollars et renaturer le lac de Texcoco en plein cœur de Mexico, c’est la décision difficile qu’a prise le gouvernement mexicain face à la mobilisation populaire. Une décision historique qui permettra de créer le plus grand parc urbain au monde et de renouer avec le passé de la ville.
Des milliers d’hectares rendus à leur passé lacustre, une explosion de la biodiversité, un immense parc urbain offert aux habitants, le rechargement de la nappe phréatique et le rétablissement du cycle de l’eau dans une vallée asséchée… Personne ne s’attendait à un tel revirement de situation quand en 2018, le nouveau président Andrés Manuel López Obrador (dit « AMLO ») avait lancé une consultation publique sur le maintien du projet d’aéroport international à Mexico. Le rejet du projet avait alors entraîné l’interruption du chantier et la proposition d’une alternative pour le site : un gigantesque parc urbain. 20 ans plus tard, la restauration de la zone humide de Texcoco, centre névralgique de l’histoire précolombienne, est un précédent pour les écologistes du monde entier. Un écosystème renaît et offre une seconde vie à l’une des métropoles les plus peuplée et polluée du monde.
C’est vrai, le président mexicain a opéré un impressionnant revirement vis-à-vis de son prédécesseur en abandonnant le projet de nouvel aéroport international de Mexico. Dès son entrée au pouvoir en 2018, AMLO a organisé un référendum local non-contraignant qui s’est exprimé à 69% pour l’annulation du projet et pour l’extension de l’aérodrome Santa Lucía à la place. Et deux ans plus tard, l’exécutif a annoncé son intention de renaturer le site visé par l’aéroport, malgré l’avancement du chantier.
Amerrissage
Il faut dire que le projet était grandiloquent, délirant pour certains. Installé sur l’ancien lac Texcoco, l’aéroport – un des plus grands du monde, estimé à 13 milliards de dollars – aurait eu pour fondation des sols argileux et mous qu’il aurait fallu combler et consolider à grands frais. Cette zone humide est une des rares à ne pas avoir été urbanisée dans l’aire urbaine de Mexico. Artificialiser ces sols aurait aggravé l’assèchement de la nappe phréatique, alors que 1,3 millions d’habitants n’ont pas accès à l’eau potable et que la ville souffre de sécheresses graves. Depuis des années, des camions citernes approvisionnent certains quartiers en eau. Le phénomène de subsidence (dont nous parlions ici) déjà critique à Mexico, ce serait également accentué.
Le revirement semble donc une belle opportunité pour offrir aux 20 millions d’habitants de la capitale un refuge de nature et de biodiversité. La renaturation a été confiée à Iñaki Echeverría, architecte et paysagiste qui avait déjà proposé il y dix ans de transformer le site en immense parc urbain. Le « Parque Ecológico Lago de Texcoco » devrait couvrir ainsi 12 300 hectares, soit 36 fois la superficie du Central Park de New York. D’anciens lacs seraient restaurés et des habitats naturels protégés, notamment ceux des oiseaux migrateurs. Des sections sont d’ores et déjà ouvertes au public, l’ensemble doit être achevé pour les prochaines élections présidentielles mexicaines en 2024.
Si le projet aboutit et maintient ses ambitions, la renaturation du lac Texcoco pourrait être un précédent d’écologie urbaine pour des villes du monde entier. Mais peut-on pour autant promettre l’avènement d’une nature glorieuse, sauvage et luxuriante d’ici 2040 ? Ce serait vanter les intentions écologiques d’un président qui n’en a pas vraiment apporté la preuve.
Écologie opportuniste ?
Décrit par le Monde comme un président nationaliste de centre gauche, il s’est illustré par son soutien aux industries extractivistes et un certain goût pour le greenwashing. Le 1er juillet 2022, AMLO a fêté les quatre ans de son élection en inaugurant une nouvelle raffinerie dans son Etat natal de Tabasco. Il mise sur de grands travaux d’infrastructure, très critiqués par les écologistes. Il s’agit notamment du second aéroport de Mexico inauguré en mars 2022, du « Train maya » prévu fin 2023 et de son vaste projet « Sembrando vida » pour l’agriculture.
Il est plus probable qu’en organisant le référendum local, AMLO ait souhaité se sortir une épine du pied. Depuis les premières mentions du projet en 2001, une forte mobilisation populaire s’était constituée contre le projet d’aéroport. Celle-ci a été réprimée dans une grande violence, notamment sous les ordres d’Enrique Peña Nieto gouverneur puis président de 2012 à 2018. Dans une note, la Cour Nationale des Droits de l’Homme du Mexique reconnaît des cas de détentions arbitraires, de viols, de tortures et de traitements inhumains de la part des autorités policières à l’encontre des militants.
L’histoire du lac
Ces derniers, réunis derrière le “Front des peuples pour la défense de la terre” (FPDT) ont organisé une vaste campagne de sensibilisation à l’occasion du référendum, baptisée #YoPrefieroElLago, soit “je préfère le lac”. Celle-ci a eu pour point culminant un documentaire Youtube dans lequel ils retracent leur combat pendant 17 années. Ils y donnent la parole aux habitants et aux paysans qui vivent du lac et avec le lac depuis des générations. Pour eux, l’assèchement du Texcoco et l’expropriation des populations locales est un processus entamé avec la colonisation et dont l’aéroport était l’aboutissement.
À son apogée, dans la première moitié du Ier millénaire, le lac accueillait Teotihuacan, la plus grande ville de toute l’Amérique précolombienne. Puis, les aztèques se sédentarisèrent dans la vallée et fondèrent la future Mexico. Pour cela, ils durent aménager le lac selon leurs besoins et développèrent sur le lac un réseau complexe d’îles artificielles et de barrages.
Les premières étaient des parcelles cultivées appelées chinampas, les seconds permettaient leur irrigation, en séparant les flux d’eaux douces et salées. L’histoire du lac est donc profondément enracinée à l’âge d’or précolombien et à la tradition agricole locale. Si l’abandon du projet d’aéroport est une victoire pour les opposants, la renaturation du lac reste une affaire à suivre.