Des marathons créatifs pour redynamiser les coeurs de villes

28 Mar 2023 | Lecture 3 minutes

Fort de 20 ans d’expérience dans l’accompagnement des territoires ruraux, le cabinet de conseil Auxilia Conseil s’est lancé depuis quelques années dans un nouveau projet : des marathons créatifs de 36h réunissant acteurs publics, privés, propriétaires de locaux vacants et porteurs de projets dans des petites et moyennes villes souffrant de vacance commerciale. Nous avons interrogé Anthony Puppo, créateur du programme “Mon Centre-Ville A un Incroyable Commerce” porté par Auxilia Conseil pour nous expliquer la démarche, l’impact sur les cœurs de ville, et les enseignements acquis auprès de plus d’une cinquantaine de villes.

Pouvez-vous me présenter les différents champs couverts par Auxilia, et le chemin qui vous a conduit à travailler sur la question de la revitalisation des centres-villes ?

Auxilia est une agence de conseil spécialisée dans l’accompagnement des territoires dans la transition, qui prend la forme d’une association à but non-lucratif fondée il y a une vingtaine d’années. On investit différents champs  de la transition comme la mobilité, l’énergie et le climat, la biodiversité, l’eau … et  plus récemment le développement économique.

En 2018, lorsqu’on a lancé notre programme d’accélération Mon Centre-Ville A un Incroyable Commerce (MCVAIC), Action Cœur de Ville (ACV) démarrait à peine et n’avait pas encore pris l’envergure qu’on lui connaît aujourd’hui. On est donc arrivé en avance avec un service packagé qu’on cherchait à développer : un concours de création de commerces qui permet à des porteurs de projets de tester la viabilité de leurs idées, accompagnés par des experts locaux et des équipiers en intégrant des locaux vacants.

Après une première expérimentation réussie à Chaumont en 2018, et alors que l’offre d’ACV était encore assez floue, on a embarqué Le Bon Coin, entreprise française, pour nous accompagner sur la dimension numérique, et la Banque des Territoires pour donner de l’envergure à notre outil. Plutôt que d’aller chercher une à une des villes pour leur proposer notre solution, on a ouvert aux candidatures des villes ACV afin d’en recruter une dizaine. On a ensuite augmenté notre capacité et surtout le type de profils visés avec l’ouverture aux Petites Villes de Demain (PVD) à la suite d’une sollicitation de la région Nouvelle-Aquitaine. Ça a tellement bien marché qu’on a dû étaler les candidats de l’année dernière sur deux sessions.

La première édition à Chaumont en 2018

La première édition à Chaumont en 2018

On pense aller plus loin à l’avenir à travers une offre de transfert de compétences. L’idée est de  former différentes villes, à distance, pour qu’elles puissent organiser leur propre marathon créatif, puisqu’on n’est pas en capacité d’accompagner toutes les villes qui sont aujourd’hui intéressées par notre démarche”.

Comment s’organise ce marathon créatif, heure par heure ? Quels en sont les objectifs ? Pouvez-vous me préciser le rôle de chacun des membres (porteurs de projets, coaches, équipiers etc…) et vos relations avec chacun d’entre eux ?

On commence bien évidemment à travailler en amont du marathon en lui-même. Tout démarre par un premier temps fort 4 à 6 mois avant l’évènement : une réunion de lancement qui réunit tout l’écosystème du développement économique à l’échelle départementale, permet au Maire de donner le top départ et de déjà nous présenter des porteurs de projet potentiels (en moyenne à 80% issus de l’agglomération et dans des canaux d’accompagnement). On ouvre véritablement les inscriptions 1 mois avant la date, et on communique localement et via Le Bon Coin, puisqu’on part du principe que tout le monde doit avoir sa chance.

Le marathon créatif s’étale sur 36h, sur un format vendredi matin, vendredi après-midi et samedi matin. On commence par fournir un guide méthodologique d’une quarantaine de pages à chacun des participants, qui doivent travailler sérieusement sur leurs stratégies. On démarre donc par une introduction du Maire, puis un pitch d’une minute pour chacun des 10 à 15 participants.

Chacun d’entre eux est ensuite rejoint par des équipiers, en la personne d’étudiants issus de formations type BTS Commerce ou Gestion de la région, et on leur attribue une cellule commerciale vacante pour pouvoir se projeter pleinement dans leur activité. Différents coaches, notamment conseillers création de la CCI locale, leur sont envoyés pour les challenger et les aider à avancer sur leur projet. Afin de bien identifier chacun et de faciliter les échanges, chaque participant porte un t-shirt d’une couleur différente suivant son rôle.

Quatre étapes suivent alors : l’étude d’opportunité, qui permet de vérifier que l’activité projetée est désirée du territoire, de faire une première analyse de l’offre et de la concurrence sur le territoire, et de cibler sur la clientèle. Une étape en soi basique mais qui est plus que nécessaire et auxquels certains porteurs de projet ne pensent pas forcément. Ils passent ensuite à l’étape d’adaptabilité, plutôt tournée sur la prospective et sur l’intégration du numérique dans leur activité, mais aussi sur les impacts en termes de solidarité d’environnement.

La journée du vendredi se termine par une phase de viabilité, sous la forme d’un pitch par équipe de deux minutes avec une session de questions/réponses des coaches qui viennent challenger les participants. Un format type hackathon qui vient du monde des start-ups dans lequel je travaillais en indépendant avant de rejoindre Auxilia, mais qu’on a adapté pour qu’il soit moins virulent, étant donné qu’on a affaire à un public bien moins à l’aise avec la prise de parole en public.”

Déroulé des trois demi-journées du Marathon créatif

Déroulé des trois demi-journées du Marathon créatif

Enfin, le samedi matin est le moment de la dernière étape de notoriété : les participants travaillent sur leur communication et sur les potentiels partenariats à tisser avec les autres commerces, avant de pitcher leur projet pendant 3 minutes devant un jury composé du Maire, du président d’agglomération, de la Banque des Territoires, de la CCI, de banquiers ou encore d’assureurs locaux. Le tout lors d’un événement public, généralement sur la place du marché, qui permet de visibiliser encore plus la démarche et de faire connaître les projets qui devraient animer le centre-ville.

C’est également l’occasion de décerner des récompenses sur la seule base de ce pitch, qui peuvent prendre la forme de mois de loyer offerts par la commune, d’un accompagnement ou de prestations de services offertes, d’aides favorisant l’installation etc. Par ailleurs, nous filmons en amont du jury final chaque porteur de projet racontant son projet aux internautes, qui votent pour leur préféré et lui font remporter 1 250 euros de publicité assurés par Le Bon Coin.

Comment réussissez-vous à convaincre les propriétaires de locaux vacants les plus récalcitrants ?

C’est clair que c’est une question qui se pose dans de nombreuses villes. La réponse que je donne aux élus qui me posent la question est simple : préemptez ou mettez des taxes. Dans nos missions, la question ne se pose pas tant que ça, puisqu’on trouve assez de propriétaires qui jouent le jeu.

On passe d’abord par les agences immobilières qui facilitent le processus, on mobilise évidemment les locaux dont la ville est déjà propriétaire et puis on convainc en général un certain nombre de propriétaires qui ont peur de se retrouver avec un locataire incapable de payer chaque mois. En leur expliquant que la dizaine de participants vont être évalués pendant 36h par des experts locaux, et qu’on leur demande à ce stade juste de mettre à disposition pour un week-end, ça se passe toujours assez bien.

De plus, le terrain de jeu de chaque session est différent et dépend de la volonté politique : on a déjà travaillé sur une rue très précise, ou même une halle, mais aussi à l’échelle d’intercommunalité — à condition qu’on garde une unité de lieu pour le marathon en lui-même. Dans l’absolu, je suis même certain que notre outil pourrait fonctionner dans des quartiers de grandes métropoles, tant qu’il y a la volonté politique et l’énergie locale disponible.

Comment mesurez-vous le succès de votre démarche ?

“Avant tout grâce à nos “revivre”, c’est-à-dire le retour sur site un an après, à condition que ce soit désiré par la commune bien entendu. C’est l’occasion de suivre l’évolution des différents projets qu’on a participé à initier et de nous rendre compte du fort taux de création et de maintien.

On se rend compte que notre démarche intéresse au-delà des 500 porteurs de projets qu’on a accompagnés, et avec lesquels on veut tisser de plus en plus de liens, avec plus de 400 articles dans la presse, régionale comme nationale, notamment à l’occasion de la finale nationale organisée en janvier et qui a fait concourir 10 porteurs de projets parmi les 43 communes accompagnées ces deux dernières années.

Mais cette réussite s’observe aussi par le nombre de villes qui nous contacte pour avoir des précisions, et qu’on retrouve en observateur sur une autre édition, ou par la présence de tout l’écosystème local dès nos réunions de lancement.

Chiffres clés de MCVAIC et de MCBAIC, équivalent pour les petites communes (droite)

Chiffres clés de MCVAIC et de MCBAIC, équivalent pour les petites communes (droite)

Ce succès s’explique aussi par la forme même des postes de type chef de projet Action Cœur de Ville ou Petites Villes de Demain, souvent des juniors qui doivent réaliser un grand écart permanent entre plusieurs thématiques variées. MCVAIC c’est un package de conseil (et non pas d’animation) qui a fait ses preuves et qui permet de réellement les aider.“

Au bout de plusieurs dizaines d’éditions, qu’est ce qui a été le plus surprenant pour vous ? Y a-t-il eu des changements radicaux dans votre manière d’appréhender ces sujets ?

Le plus surprenant c’est sans doute la vitalité et l’énergie qu’il y a dans les petites-villes qu’on accompagne à travers MCBAIC.On passe de villes de 30 000 à 3 000 habitants, et on se retrouve pourtant avec le même nombre de participants et la même énergie. On y rencontre aussi des profils assez différents des autres territoires, pour beaucoup des trentenaires à quarantenaires qui veulent changer de direction. Je me suis véritablement rendu compte d’une ruralité qui bouge beaucoup et peuplée de gens très courageux et motivés.”

Là où on a le plus évolué c’est dans notre rapport au terrain. On a l’habitude de travailler sur des stratégies de développement économique, sur des plans d’actions très détaillés, avec une vision prospective à long terme. Avec MCVAIC, et à l’avenir dans d’autres outils qu’on est en train de développer chez Auxilia, on investit plus fortement ce travail directement sur place, et on a des opportunités de répliquer le modèle du marathon créatif pour des intercommunalités sur différentes thématiques qui les concernent au premier plan comme le tourisme ou l’alimentation.Ce qui remonte des territoires que nous accompagnons en somme, c’est avant tout un besoin d’ingénierie opérationnelle, à travers des prestations qui sortent des sentiers battus.

Fort de ces expériences, si vous deviez donner UN conseil à un maire d’une ville moyenne qui souffre de dévitalisation, sans connaître son contexte spécifique, quel serait-il ?

Fédérer les acteurs. Ça passe souvent par une personnalité publique élue qui a une véritable vision et qui est capable d’embarquer tout le monde. Il ne s’agit pas de faire comme s’il n’existait aucun clivage à l’échelle locale, mais de privilégier le faire plutôt que le faire sans. Avec la CCI, la CMA, les habitants, les associations, les commerçants etc… C’est sous cette condition qu’on obtient les meilleurs projets qui tiennent dans la durée et contribuent à une revitalisation pérenne.”

LDV Studio Urbain
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