Demain la ville dans le rétro ! L’insaisissable proximité

Bannière devant la friche du TEP Ménilmontant © Parislightup
28 Sep 2022 | Lecture 2 min

Place au 8e épisode de notre série rétroprospective anniversaire « Demain la ville dans le rétro ! » qui reprend des prédictions énoncées il y a déjà 10 ans et témoigne de leur évolution à l’heure d’aujourd’hui en testant leur fiabilité face aux défis actuels.

Des magasins en réalité virtuelle, à l’essor du télétravail, en passant par le déclin des hypermarchés ou l’accès aux mobilités… À chaque fois, c’est la proximité qui semble bouleversée et qu’il faut réinventer. Vraiment ?

« Rien de plus banal et de plus simple en apparence que le mot « proximité » » observe Rémy Allain, géographe et urbaniste. Pourtant, « son ambiguïté et sa charge idéologique expliquent qu’il suscite la méfiance des spécialistes de l’espace ». Très à la mode, le terme de proximité reste assez flou lorsqu’on parle d’urbanisme. Donnons un exemple avec les fameux commerces de proximité. À distance égale, on peut considérer qu’une épicerie indépendante est plus proche qu’une épicerie franchisée. Il s’agit peut-être de la qualité des liens sociaux, d’une ambiance, ou alors d’une symbolique plus « locale », mais pas de distance à proprement parler.

Concept tendance

Lors des élections municipales de 2020, Anne Hidalgo avait fait de la ville du quart d’heure la colonne vertébrale de son programme. Développé par l’universitaire Carlos Moreno, le concept a remis à jour cette idée de proximité. Il consiste en une forme d’urbanisme où tous les services seraient à 15 minutes du logement. L’idée est de rassembler un ensemble de fonctions autour du logement (travail, loisirs, commerces, services) pour tenter de lutter contre l’étalement urbain et améliorer la qualité de vie des habitants. Pourquoi 15 minutes ? Certains services ne pouvant pas être situés à tous les coins de rue, on pourrait s’y rendre en transports ou en vélo, mais sans jamais excéder cette durée. « Retrouver la vie urbaine de proximité, c’est quitter la mobilité subie pour la mobilité choisie, écrit Carlos Moreno dans son ouvrage Vie urbaine et proximité à l’heure du Covid-19.

Des voix s’étaient élevées contre la ville du quart d’heure au titre qu’à Paris, on trouve déjà de tout. Les détracteurs voient dans la ville du quart d’heure un argument pour continuer à densifier une ville déjà trop dense. La densité serait un élément névralgique de la proximité, mais jusqu’à un certain point… Lorsqu’en 2019, la Mairie a souhaité aménager une friche boulevard Ménilmontant dans le XIème, elle a suscité une vive opposition d’une partie des riverains. La parcelle devait accueillir du logement social, un terrain de sport et une déchetterie. « Trop dense, trop minéral », a-t-on entendu, les voisins voulaient garder leur coin de verdure sauvage. Face à la levée de bouclier, la Mairie a dû renoncer au projet.

 Quartier dévitalisé à Lens © lilas59/Flickr


Quartier dévitalisé à Lens © lilas59/Flickr

Proximité choisie ou subie

Cet exemple met en lumière une contradiction : à choisir, toutes les proximités ne sont pas bonnes. En l’occurrence, à tout ou à raison, on a préféré garder un peu de verdure plutôt que du logement social ou certains services. C’est en substance la position du mouvement NIMBY (pour « not in my backyard »). Pouvoir choisir sa proximité relève alors du privilège et l’implicite, c’est qu’il y a de la proximité subie, des perdants de la proximité. Car il faudra bien installer la déchetterie et les logements sociaux quelque part. Probablement en périphérie.

Pour Rémy Allain, « la mobilité fait de la proximité de tout le privilège d’une élite sociale : proximité du centre-ville, proximité des autres villes mondiales, proximité des lieux de détente (du week-end en montagne au court séjour sous les « tropiques »)… Ce cumul des proximités potentielles est aussi l’apanage des métropoles. »

La balle au centre

Hors des métropoles, le gouvernement a initié le programme Action Cœur de Ville fin 2017, pour 5 ans. Il entend redynamiser les centres de villes moyennes françaises au moyen d’investissements sur 5 axes : l’habitat, le commerce, la mobilité, les services publics et le patrimoine. Cette approche de mixité des usages ressemble à celle de la ville du quart d’heure, mais la question se pose différemment puisque c’est une manière de lutter contre des phénomènes de dévitalisation et de recréer des centralités vivantes.

En effet, « à partir des années 1960-1970, l’essor de la grande distribution et ses hypermarchés a accompagné l’étalement urbain et la création de lotissements », rappelle le sociologue Vincent Chabault. Puis, « avec le phénomène de périphérisation du commerce lors de la décennie suivante, le centre-ville n’était plus incontournable ». L’inflation de centres commerciaux en France a été largement documenté, elle a contribué à dévitaliser les centres-villes, c’est-à-dire leur faire perdre leur proximité.

Une certaine idée de la proximité ? © Apur

Une certaine idée de la proximité ? © Apur

Data-proximité

Aujourd’hui c’est l’inverse. Le numérique semble dévitaliser les grandes surfaces en périphérie grâce à la livraison à domicile. Sonnerait-il l’avènement d’un retour de la proximité ? Quelque part si l’on pousse la logique à son paroxysme, la proximité absolue c’est de rester chez soi. Ça tombe bien, « Le numérique nous permet de domicilier tout ce qui était avant de l’ordre de l’extérieur. On s’est mis à domicilier la culture, la nourriture, la consommation, le travail, les relations sociales… » explique le journaliste Vincent Cocquebert, auteur du livre La Civilisation du Cocon.

Sauf que le numérique fonctionne par interfaces cachées. Les data centers stockent les données, les dark kitchens préparent les repas, les entrepôts Amazon stockent nos biens… Avec à chaque fois un coût sur l’urbanité : ce type de bâtiments techniques et logistiques ne sont fréquentés que par des livreurs. Ils ne créent pas de fréquentation, pas d’ambiance de village ou d’attachement au quartier. Cette proximité dématérialisée semble se faire au détriment de la ville.

Dernière incarnation des consommations numériques, le quick commerce et les dark stores débarquent en ville. Ces locaux sans vitrines sont des lieux spécialisés dans la production ou le stockage de commandes destinées à la livraison à domicile. Le nerf de la guerre pour les investisseurs est d’acquérir un maillage serré de petits locaux situés dans des zones aux loyers peu élevés, quitte à fermer des petits commerces avec pignon sur rue. Préoccupées, les Mairies de Madrid et Barcelone ont annoncé leur intention de réguler la création de dark stores qui, au regard de la loi, sont des entrepôts logistiques.

Que retenir de la proximité ? Elle se cache derrière une foule de critères objectifs et subjectifs qui évoluent selon les contextes : la densité, le local, le physique, le ressenti, la diversité d’usages ou l’accès aux mobilités. Autrement dit, elle est insaisissable…

Usbek & Rica
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