Demain la ville dans le rétro ! Ce qui se trame pendant la nuit…
Festive ou ensommeillée, productive ou consommatrice ? De plus en plus d’auteurs voient la nuit comme un territoire à part, qu’il est possible de conquérir, de réguler, ou de laisser fleurir librement. Mais qu’est ce qui se trame au juste avec la nuit ?Que devient la nuit en ville ? Il existe plusieurs manières de se poser la question, la première étant peut-être celle de la vie nocturne. Rachat du Lido par Accor, fermeture du Bus Palladium qui devient un hôtel, fermeture de la Concrète sous la pression du propriétaire… Le tout dans le contexte de la pandémie, alors que 25% des boîtes de nuit françaises ont mis la clé sous la porte, que la culture a été jugée « non-essentielle » et que les free parties sont de plus en plus réprimées par l’État. On pourrait penser que la nuit fait triste mine.
L’enjeu de la fête
« Dans les métropoles, la pression foncière fait qu’on a du mal a garder de l’espace pour ces endroits qui ne sont pas rentables » explique Frédéric Hocquard, adjoint à la Maire de Paris au micro de France Inter. Il s’inquiète ainsi d’un risque d’homogénéisation de l’offre et des pratiques au profit de gros acteurs. Pour autant, c’est l’histoire de Paris qui se perpétue, poursuit-il : « des lieux ouvrent et d’autres ferment. La fermeture d’un certain nombre de lieux parisiens ne veut pas dire que la nuit parisienne est en berne. »
En charge du tourisme et de la vie nocturne, l’élu coordonne l’écosystème de la nuit parisienne, des établissements aux riverains, en passant par la ville et la préfecture. Il s’agit justement d’œuvrer à la diversité de l’offre, que ce soit en termes d’activités, de lieux ou de tarifs. Pour Frédéric Hocquard, d’autres lieux ont ouvert en parallèle des fermetures et ils expriment un certain renouveau de la nuit parisienne. Celui-ci est parfois plus proche des préoccupations d’une jeune génération qui demande de la mixité et de l’inclusivité. Les horaires évoluent, les activités aussi : il cite l’exemple du Kilomètre 25 ouvert à l’été 2021 qui accueille des performances de cirque.
Voir la nuit
L’existence même d’un adjoint ou d’un conseil de la nuit est une (relative) nouveauté. Elle s’inspire d’une initiative amsterdamoise lancée au début des années 2010 avec le « maire de la nuit » Mirik Milan. Depuis la création de son poste, cette nouvelle forme de gouvernance municipale a essaimé depuis puisque 45 villes dans le monde ont un équivalent aujourd’hui. Les missions sont nombreuses et souvent similaires : médiation entre les acteurs concernés, développement de transports publics pour les noctambules, prévention des risques liées à la fête ou au travail de nuit, promotion de l’offre nocturne de sa ville…
D’une certaine manière, elle s’inscrit dans l’essor des « night studies ». Ce courant de pensée apparu dans les années 1990 au carrefour de la géographie, de l’urbanisme, de l’économie, de la sociologie, de l’anthropologie et du design de politiques publiques, se penche sur la nuit comme un objet d’étude. Car avec la désindustrialisation, les grandes villes se tournent de plus en plus vers une économie de la nuit : celle de la fête, mais aussi celle des services, du travail et de la consommation.
Société somnambule
« Le système économique dans lequel nous sommes ne demande plus à ce que les gens produisent 24 heures sur 24 comme aux XIXème et XXème siècle. Maintenant, on demande aux gens de consommer tout le temps, à la place, de réduire leur temps de sommeil pour consommer 24/7 », explique Frédéric Hocquard. La ville moderne a dû s’adapter à ces nouveaux liens avec les écrans, aux livraisons à domicile à toutes heures, et au changement des rythmes biologiques. C’est à peu près ce que nous explique le PDG de Netflix en 2017 : « Réfléchissez-y, quand vous regardez une série sur Netflix et que vous y êtes accro, vous restez éveillé toute la nuit. Finalement, nous (Netflix) sommes en concurrence avec le sommeil. »
Beaucoup d’auteurs ont travaillé sur ce sujet ces dernières années. Le géographe français Luc Gwiazdzinski voit la nuit comme un bio-indicateur, un révélateur des dysfonctionnement des territoires. Il s’inquiète du phénomène de colonisation du jour par la nuit. Le philosophe Michaël Foessel vante quant à lui la fonction politique de la nuit et regrette la lumière blanche et aseptisée des néons.
La retour de l’obscurité
Ce qui nous amène à la troisième question que nous pose la nuit, celle de l’obscurité. Dans Sauver la Nuit, le géographe Samuel Challéat appelle à reconquérir le ciel étoilé. Les urbains le savent, il est de plus en plus difficile d’observer le ciel à cause de l’éclairage public et l’étalement urbain. La quantité de lumière émise a augmenté de 94 % en vingt ans d’après l’association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN), au détriment de notre santé et de la biodiversité.
Boostée par le confinement et les images d’éclairage public inutiles, l’association milite ainsi (avec d’autres comme le Dark Sky Movement) pour la réduction de la pollution lumineuse. Elle a mis au point un label « ville et villages étoilés » qui intéresse de plus en plus de communes. Parmi les leviers à disposition, celles-ci peuvent réduire leur parc de luminaires, changer la couleur des ampoules, baisser la hauteur des mâts ou jouer sur l’orientation des lampes pour limiter l’effet de diffusion de la lumière.
« Depuis la fin du Grenelle de l’environnement, vers 2010, et depuis qu’on peut faire une gestion différenciée de l’éclairage, dans l’espace et le temps, cette question a pris de l’ampleur, analyse Samuel Challéat sur Reporterre. Cela s’est fait par deux grandes fenêtres politiques : d’une part, celle des économies budgétaires et énergétiques à faire par les collectivités territoriales, et d’autre part, celle de l’érosion de la biodiversité. » De son côté, le Clan du Néon chasse les enseignes qui restent allumées la nuit, avec une perspective anti-pub et de sobriété énergétique.