La bataille du tank et du pot de yaourt
2035, le monde se divise en deux catégories : les urbains qui ont un SUV, et ceux qui ont une mini-citadine… Avec l’interdiction de mettre en vente des véhicules thermiques neufs, l’Union Européenne a accéléré la conversion du parc automobile vers l’électrique. Deux tendances se sont consolidées. D’un côté, les constructeurs occidentaux, peu enclins à adapter leurs façons de faire, ont développé une offre très haut de gamme, tournée vers le SUV hyper-technologique. De l’autre, le marché d’entrée de gamme a été inondé par les mini-citadines, notamment chinoises. Peu encombrantes, peu consommatrices et beaucoup moins chères, avec leur style maniable et accessible à tous, elles sont désormais le symbole du cool. Synonymes de la liberté retrouvée dans un monde post-carbone, on les compare déjà aux scooters Vespa de l’Italie d’après-guerre.
« 2035, c’est dans longtemps », nous direz-vous. Alors pourquoi poser sur la table dès maintenant ce face à face entre le tank et le pot de yaourt ? Parce que, comme nous l’explique l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), la forme des futures voitures que l’on construit aujourd’hui, et notre manière de les utiliser, est un enjeu décisif de la transition énergétique.
Sobriété par design
En effet, on résume souvent la question de la décarbonation du secteur automobile à ce qu’il se passe sous le capot. Se débarrasser des moteurs thermiques est évidemment un enjeu immense, à la fois industriel et commercial. Mais ce n’est pas tout, nous rappelait l’ADEME en octobre, à quelques jours du dernier Mondial de l’Auto. « Si l’électrification du parc automobile est un levier incontournable, elle n’est cependant pas suffisante pour que la transition soit pleinement efficace sur les plans environnementaux, sociaux et économiques. Il faut également que le déploiement des véhicules électriques soit bénéfique pour le climat, accessible à tous et qu’il limite son impact sur le réseau électrique. »
L’agence incite notamment à choisir des véhicules adaptés à leurs usages, car leur impact carbone est proportionnel à leur poids. « Une voiture électrique roulant en France a un impact carbone 2 à 3 fois inférieur à celui d’un modèle similaire thermique, à condition que sa batterie soit de capacité raisonnable (inférieure à 60 kWh). Avec une batterie de taille supérieure, l’intérêt environnemental n’est pas garanti étant donné la variabilité des consommations liées à la masse du véhicule et aux conditions d’utilisation. »
Volume vs rentabilité. Occident vs Orient
Le raisonnement est que l’impact carbone du véhicule n’est pas uniquement lié à l’utilisation (au pot d’échappement), c’est tout son cycle de vie qui est pris en compte (extraction des matériaux, fabrication, assemblage, fin de vie…). Une conclusion importante à retenir ici, c’est que « le véhicule électrique n’est pas neutre en carbone ».
Le hic, c’est que les grands constructeurs automobiles se sont davantage souciés de leurs marges que de l’impact de leurs produits. C’est l’analyse du journaliste Stéphane Lauer dans une chronique publiée dans les colonnes du Monde. « De leur propre aveu, les dirigeants du secteur ont fait le choix de la profitabilité sur les volumes de vente. Les marques montent en gamme, cherchent à séduire le client avec de plus en plus d’options. » À ce rythme, la conversion du parc automobile ne sera pas très avancée en 2035. Avec le SUV, les constructeurs automobiles ont même réussi à graver dans le marbre le constat du GIEC selon lequel ce sont les ménages les plus aisés qui polluent le plus.
À l’inverse, il se passe quelque chose du côté du marché chinois. Le gouvernement a massivement subventionné l’achat de petites citadines ces dernières années, leur prix est passé de 30 000 euros en moyenne à 10 000 euros en sept ans. Pékin, qui s’est fixé comme objectif la neutralité carbone d’ici 2060, s’est dit rassuré par les chiffres actuels du secteur et a annoncé son intention d’arrêter ces subventions. La stratégie semble avoir payé : selon le cabinet d’étude JATO Dynamics, l’entrée de gamme électrique (moins de 20 000 euros) représente 31% des ventes en Chine contre 8% en Europe.
Peuple de la voiture ou voiture du peuple ?
Parmi les différents modèles, la Hongguang Mini EV fait un tabac. Cette minicar électrique mise en vente en 2020 a été baptisée la « voiture du peuple ». En Chine son prix de vente démarre à 3500 euros ce qui la rend accessible à des familles qui n’imaginaient pas se payer un véhicule électrique neuf. Longue de 3 mètres pour 1,5 mètre de large, elle peut accueillir deux adultes et deux enfants à l’arrière. Son autonomie est d’environ 170 kilomètres et elle peut être rechargée sur une prise classique. Son constructeur, Wuling, tente de l’adapter aux normes européennes pour faire son entrée sur le Vieux Continent.
Si l’imaginaire de la grosse voiture continue d’être vanté dans les publicités, les petits formats pourraient bien devenir une donnée majeure des mobilités de demain et s’imposer du jour au lendemain comme l’ont fait les trottinettes en libre service. On parle un peu partout de leur grand retour. Le Japon est déjà connu pour ses célèbres kei-cars, aux États-Unis, les voitures de golf se démocratisent dans les régions les plus chaudes.
En France, les voiturettes sans permis cartonnent. Il y a dix ans déjà, la Renault Twizy était déclarée la voiture électrique la plus vendue d’Europe par Business Insider ; et en 2020, la Citröen Ami est devenue le mode de déplacement “préféré des adolescents marseillais”. Le concours “Extrême Défi” de l’ADEME a pour but de faire émerger des véhicules électriques innovants et sérieusement écologiques. Et plus récemment, la commercialisation de la Microlino a été très commentée. Son constructeur est une société suisse spécialisée dans les mobilités urbaines et… les trottinettes !