Demain, des villes made in crowdfunding ?

“La Villa des Troves”, un des succès possible grâce au crowdfunding
7 Nov 2018

Le crowdfunding continue de gagner du terrain. Avec l’économie de partage et le développement des démarches participatives, les citoyens ont désormais l’habitude de mettre la main à la pâte, mais aussi à la poche, pour soutenir les projets qui font sens pour eux. C’est ainsi qu’il y a une dizaine d’années sortait le premier album d’un chanteur, Grégoire, après avoir été financé par des internautes sur le site My Major Company, la plateforme de crowdfunding pionnière qui a fait connaître ce principe au grand public.

Aujourd’hui, ce modèle de financement est déjà très présent dans de nombreux domaines (productions artistiques, jeux-vidéos, livres…), avec le développement de plateformes comme Ulule, Kisskissbankbank, et bien d’autres. Celui-ci se développe aussi dans l’immobilier et y connaît d’ailleurs une forte croissance (72% en un an). Un financement plus participatif mais qui comporte comme dans les autres domaines des risques. Est-ce alors un mode de financement pérenne ? L’avenir de l’immobilier sera-t-il celui du financement participatif ? Et qu’est-ce que cela dit plus généralement pour l’avenir de nos villes ?

“Les Jardins de Clarisse”

Une perte totale pour le programme immobilier “Les Jardins de Clarisse” du Groupe Terlat ©wiseed.com

Crowdfunding pour l’immobilier  ?

Le crowdfunding, ou financement participatif, est un mode de financement qui fait appel à un grand nombre de personnes afin de soutenir un projet. Et internet et les réseaux sociaux ont permis l’émergence et le développement des plateformes participatives. C’est en 2012 que ce mode de financement est entré dans le domaine de l’immobilier, comme alternative aux modèles plus classiques.

Il permet ainsi de construire ou d’acquérir un bien immobilier par l’intermédiaire d’une plateforme 100% en ligne qui met en relation les porteurs du projet (généralement un promoteur immobilier) et les investisseurs particuliers. Depuis 2016, le crowdfunding immobilier a connu une forte croissance, notamment grâce aux intérêts souvent entre 8%-12% qui le rend particulièrement attractif pour les investisseurs. Son succès s’explique aussi par l’apparition de grandes plateformes comme Anaxago et WiSEED, qui, par leur sélection, rassurent les investisseurs.

Un bon moyen d’investir mais qui comporte quelques risques …

Le crowdfunding immobilier porte les même principes que les plateformes traditionnelles et met en relation trois acteurs : le porteur de projet, qui a besoin de fonds et qui souhaite développer son offre par un financement participatif, une plateforme qui sélectionne les meilleurs projets immobiliers et les particuliers qui souhaitent investir dans le projet et qui récupéreront leur capital et des intérêts à une date convenue. Ainsi, contrairement à d’autres financements participatifs pour des projets, il y a un fort intérêt à investir.

Certes, il existe des avantages, comme le fait de rendre ce financement accessible aux investisseurs ayant des sommes plus modestes, mais celui-ci possède aussi quelques risques. D’abord, il s’agit d’un investissement seulement à court terme par rapport à un investissement classique dans l’immobilier et celui-ci est dématérialisé, ce qui permet moins de contact avec l’interlocuteur et peut aussi dissoudre la responsabilité. Le principal risque et le plus évident est surtout la perte partielle ou entière du capital investi.

L’exemple le plus illustratif a été celui par exemple du Groupe Terlat, un promoteur immobilier basé à Salon-de-Provence qui construit des logements neufs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce promoteur avait fait appel à Anaxago et WiSEED pour réaliser un projet ambitieux qui promettait en retour aux investisseurs un taux de 10%. L’appel aux particuliers a permis d’emprunter un total de 997 000 euros auprès de 260 investisseurs. Mais en août 2017, Retome, la société mère de Terlat, a été liquidée. Ainsi, certains des prêteurs ont eu une perte totale de leur capital investi et le taux moyen de retard de remboursement atteint 11,3 % depuis 2012 (source : lemonde.fr).

Et pourtant, les plateformes sont en pleine expansion

Même si les plateformes sont soucieuses des risques de perte de capital, cette affaire montre que ces derniers existent tout de même et qu’il s’agit de les prendre en compte. Cependant, le cas de Terlat reste une des rares exceptions, et même si certains projets sont retardés, les investisseurs sont majoritairement remboursés à la date d’échéance. Il existe donc aussi beaucoup de réussite avec par exemple le projet “La Villa des Troves” à La Baule-Escoublac, réalisé et remboursé par la plateforme Anaxago. La plateforme a pu récolter auprès de 100 investisseurs la coquette somme de 495 226 euros. Le projet a démarré en avril 2016 et le remboursement prévu entre 18 et 24 mois après les travaux a bien été effectué en février 2018.

“La Villa des Troves”, un des succès possible grâce au crowdfunding

“La Villa des Troves”, un des succès possible grâce au crowdfunding ©promocean.fr

Depuis ce scandale évoqué précédemment, les plateformes ont dû retravailler leur image afin de regagner leur crédibilité, et semblent avoir réussi : avec un rendement annuel moyen de 9,7% et une augmentation des montants, le crowdfunding immobilier est en voie de progression permanente avec l’essor de plus de plateformes. Les principales en France, par nombre de projets, en cours et achevés, sont les suivantes : WiSEED, Anaxago, Clubfunding, ou encore Homunity (source : hellocrowdfunding.com). Pour l’instant, le crowdfunding immobilier s’applique majoritairement à des projets résidentiels (57%), mais il touche aussi le domaine des marchands de biens qui représente 14% des financements (source : lemonde.fr). D’ailleurs, le plus étonnant est que 10% de ces financements sont consacrés à des projets d’aménagement. Cependant, le crowdfunding n’est pas seulement réservé à l’investissement dans l’immobilier et peut s’avérer être un outil pour le développement de projets en besoin de financement, tel que par exemple les initiatives solidaires.

Le crowdfunding, une alternative pour des logements solidaires ?

Outre cet aspect “business” du crowdfunding immobilier, ce mode de financement s’avère être aussi un recours indispensable pour le développement de projets solidaires. C’est le cas de “Les Petites Pierres”, un Fonds de dotation qui a comme but principal de lutter contre le mal-logement et de développer le lien social grâce à l’habitat. Ce modèle de financement est ici une alternative au recours à l’emprunt bancaire.

La plateforme “Les Petites Pierres” propose de soutenir de nombreux projets solidaires pour lutter contre le mal logement.

La plateforme “Les Petites Pierres” propose de soutenir de nombreux projets solidaires pour lutter contre le mal logement. ©goodmorningcrowdfunding.com

Il s’agit de la première plateforme participative pour l’accès à un habitat modeste en France. Elle soutient des petits projets qui ont un budget à la hauteur de 20 000 euros maximum. D’ailleurs, le don minimum est de 5 euros, ce qui permet à tous de participer et de pouvoir contribuer. Son rôle est de recevoir, mais aussi de gérer ce capital dans le but de mener différentes actions pour l’amélioration de l’habitat. De la tiny-house pour les réfugiés à des maisons intergénérationnelles réunissant des retraités précaires, l’objectif est solidaire puisqu’il s’agit bien d’agir pour permettre de meilleurs conditions d’habitation à destination des personnes en situation de précarité, de non-logement et de mal-logement.

En général, les investisseurs ont de plus en plus tendance à vouloir supporter des projets “humains”, et notamment ceux qui visent la construction de logements sociaux. C’est un modèle de financement en expansion qui permet de faire germer des initiatives qui ne sont pas soutenues par les banques et qui possèdent un intérêt davantage humain qu’économique.

Du crowdfunding pour bâtir nos villes ?

Aujourd’hui, le crowdfunding est aussi utilisé par quelques collectivités comme appui pour des projets dans leurs villes : le reflet d’un pouvoir économique de plus en plus restreint du secteur public qui s’appuie sur ce nouvel outil pour le développement de certains projets par la mobilisation et la participation financière des citoyens.

Dans la capitale colombienne Bogota, cet outil a pris une toute nouvelle ampleur après le financement d’un gratte-ciel par la participation de 300 000 habitants. Une initiative portée par un entrepreneur, Rodrigo Nino, Vice-Président à Fortune International de Miami qui souhaitait s’impliquer dans l’avenir de sa ville. Il a développé un site internet, nommé Ma ville idéale (micuidadideal.com) pour permettre le financement participatif de différents projets avec du sens pour sa ville natale. Une vision qui a ses limites, mais qui confirme une tendance, celle de faire de plus en plus participer les citoyens dans le devenir de leur ville.

Collecticity est une plateforme de crowdfunding réservée aux projets de collectivités

Collecticity est une plateforme de crowdfunding réservée aux projets de collectivités ©collecticity.fr

En France, c’est depuis décembre 2015, que les collectivités locales ont par décret été autorisées à avoir recours à ce mode de financement (source : lagazettedescommunes.com). Une attente de leur part pour pouvoir palier à la difficulté pour certains projets d’obtenir des moyens financiers. Différents outils sont alors nés, notamment Collecticity qui propose les mêmes services que les autres plateformes, mais qui est réservée aux projets de collectivités locales. Elle propose ainsi d’accompagner ces acteurs de service public et permettre aux citoyens de financer des projets locaux en prêtant ou donnant une participation aux collectivités, en contrepartie ou non d’intérêts.

Il s’agit souvent de petits projets assez ponctuels, cependant, ces derniers peuvent avoir un réel impact, notamment pour les petites communes. Ainsi, peut-être que le crowdfunding ne permettra pas d’agir à une échelle aussi grande que celle des villes, mais il aura le pouvoir d’agir pour développer des projets citoyens, ou encore de préserver et/ou créer de nouveaux lieux pour celles-ci. Car beaucoup de lieux ont pu voir le jour ou être sauvés grâce au crowdfunding, comme la Maison Zéro Déchet à Paris, en partie financée sur Ulule, ou encore des commerces de proximité comme les librairies qui ont été sauvées du fléau Amazon. Ce sont des lieux qui animent les quartiers et rendent possible la préservation d’un tissu économique essentiel pour le dynamisme des villes et la vie des habitants au quotidien.

“Co-citoyens” accompagne les habitants pour la co-conception de villes plus durables et inclusives.

“Co-citoyens” accompagne les habitants pour la co-conception de villes plus durables et inclusives. ©co-citoyens.fr

Le crowdfunding devient donc un des leviers d’action permettant aux citoyens de s’impliquer différemment pour leur ville et environnement urbain. Forme d’empowerment, il s’intègre dans la mouvance plus globale des civic-tech et il participe à créer de nouvelles synergies entre acteurs territoriaux et habitants, notamment avec le système de contreparties et de messages réguliers qui permettent un nouveau dialogue, des interactions nouvelles, entre porteurs de projets et citoyens. A l’image de Co-citoyens, qui soutient des initiatives citoyennes locales dans le but de participer à la construction de villes plus durables et inclusives. Leur démarche vise à démocratiser ce modèle de financement participatif citoyen pour ainsi faciliter le pouvoir d’agir des habitants.

Pour eux, il s’agit d’impliquer toujours plus les habitants, et pour cela, l’association Co-citoyens organise des ateliers et des événements dans le but de les accompagner à développer leurs projets et idées, mais aussi de les former aux méthodes de mobilisation citoyenne. Plus qu’une plateforme, c’est donc un acteur qui travaille en partenariat avec le Budget Participatif de la ville de Paris depuis 2016 pour faciliter l’émergence de projets d’habitants dans les quartiers populaires.

Le crowdfunding pourrait donc faire émerger de nouveaux acteurs de la ville et une nouvelle façon d’impliquer les citoyens. C’est un modèle de financement plus transparent, qui sort du système bancaire classique, mais qui reflète aussi la tendance actuelle qui donne de moins en moins de pouvoir économique aux collectivités pour répondre aux besoins des citoyens. Même s’il s’agit d’un formidable outil pour donner davantage de pouvoir d’agir aux habitants, espérons ne pas tomber dans un extrême où le crowdfunding deviendrait le seul recours pour préserver ou faire naître de formidables projets pour nos villes de demain.

LDV Studio Urbain
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