DéDalE, un labyrinthe artistique au cœur de Vannes

Implantation du bâtiment en friche près du port
1 Avr 2019

La valorisation des villes et leur caractère identitaire passent souvent par la place qu’elles accordent à la culture dans leurs espaces urbains. À Vannes, cité médiévale du Morbihan en Bretagne, un nouveau tiers lieu culturel associatif dédié au street art a ouvert ses portes fin septembre dernier : DéDalE.

Confié à l’association “L’art Prend La Rue !” par le maire de Vannes, le bâtiment abandonné qui servait de locaux à la Direction Départementale de l’Équipement (DDE) est maintenant investi d’artistes du monde entier. Bénéficiant d’un emplacement exceptionnel, le projet, attractif, rencontre rapidement un franc succès. Alors que certaines villes moyennes sont en perte de vitesse et d’animations, l’étude de cette nouvelle forme urbaine, peut nous inviter à penser le rôle que peuvent jouer les tiers-lieux culturels dans la revitalisation des centres urbains. Est-ce une nouvelle manière de redynamiser les territoires ?

Implantation du bâtiment en friche près du port

Implantation du bâtiment en friche près du port ©Dédale

L’émergence d’un lieu culturel et identitaire au cœur d’une cité médiévale

Depuis une dizaine d’années, les tiers-lieux ont le vent en poupe. Privés ou associatifs, ils se multiplient un peu partout en France. En pleine démocratisation, le phénomène touche désormais l’ensemble des territoires, en n’étant plus uniquement dans les grandes agglomérations et en investissant d’autres villes à taille humaine comme Vannes.

Des petits projets street-art clairsemés au projet culturel d’envergure

L’ouverture du tiers lieu DéDalE, dont le nom fait un clin d’œil à la DDE ancienne occupante des lieux,  a suivi très rapidement la création de l’association “L’art Prend La Rue !” en 2017. Le projet est parti de l’initiative d’un site internet, Street Art Avenue, lui-même créé en 2013 par Laurent Sanchez et Jérôme Lefranc, tous deux fans de street-art et de graffitis, mais aussi eux-mêmes artistes et connus sous les pseudos respectifs de Vidos et d’OOX. Comparses et amis, ils sillonnent d’ailleurs le monde pendant leurs vacances et visitent les hauts-lieux du graf pour partager leurs découvertes et des portraits d’artistes sur leur site internet.

Progressivement, ils réussissent à créer, par hasard, une communauté de street-artistes et de graffeurs locaux et régionaux qui les sollicitent pour les aider à trouver des lieux à investir en ville. C’est donc à la suite de cet engouement que les fondateurs de Street Art Avenue décident de se structurer autour de l’association “L’art Prend La Rue !” pour mieux organiser leurs actions et trouver des mécènes dans le but de financer des projets de street-art dans les rues de Vannes. L’artiste australien Rone est le premier à les solliciter pour venir dans la ville bretonne, puis d’autres artistes comme Dourone suivent le pas, multipliant ainsi leurs activités dans la ville autour de petits projets tels que “Vannes et sa Street” ou l’exposition Hors Cadre au Musée de la Cohue, des évènements marquants et atypiques d’art de rue en plein cœur d’une ville médiévale.

Un projet inspiré par le maire et confié aux mains de “L’art Prend La Rue !”

Dans le cadre de ses nombreuses activités dans la ville, le président de l’association, Laurent Sanchez, est alors en contact régulier avec la mairie de Vannes afin d’obtenir des autorisations pour la production de fresques. Alors que depuis fin 2016, la Direction Départementale de l’Équipement (DDE) était un bâtiment administratif à l’abandon et une propriété de la ville de Vannes, une idée de projet émerge pour optimiser l’emplacement de ce bâtiment en friche. Le maire propose alors à l’association de l’occuper le temps de la finalisation de la réhabilitation du quartier rive gauche en cours.

Situé à côté du port, les pieds dans l’eau, l’édifice bénéficie d’un très bon emplacement et d’une vue dégagée sur les toits de Vannes. Ce cadre contribue à valoriser l’attractivité du lieu qui polarise des visiteurs de la ville, mais aussi des territoires alentours. De plus, pour un tel projet culturel, le bâtiment est grandiose avec ses 3000 m² et ses 4 niveaux. Il s’organise autour de nombreux couloirs qui desservent 150 bureaux, laissant ainsi un cadre privilégié pour amorcer un nouveau projet.

Un succès instantané malgré quelques obstacles

Dès son annonce, le succès de DéDalE est immédiat. Mais ce n’est pas non plus sans quelques difficultés que l’association ouvre les portes du tiers-lieu aménagé dans les anciens locaux de la DDE au public. La gestion de projet et le temps imparti, puisqu’il s’agit d’une oeuvre éphémère, ont joué sur l’ouverture progressive de chaque partie de ce bâtiment. Ainsi, alors que le café a ouvert ses portes fin juillet 2018, le rez-de-chaussée n’a pu accueillir ses premiers visiteurs qu’à la fin septembre de la même année. Actuellement sous dossier d’instruction, l’équipe est en attente d’un retour de la préfecture avant l’ouverture du 1er étage prévue pour le printemps 2019.

Autre difficulté rencontrée, le bâtiment avait une classification particulière restrictives en tant qu’Établissement recevant des travailleurs (ERT) ne permettant pas l’accueil du grand public. Pour permettre à tous de visiter les lieux, il a donc fallu aménager et adapter le rez-de-chaussée afin d’être dans les normes grâce à une classification Etablissement Recevant du Public (ERP). Cependant quelques problématiques demeurent, puisque le bâtiment ne peut pas recevoir plus de 200 personnes tous niveaux confondus, d’où l’organisation des visites sur réservation. Lorsque les bénévoles organisent ces dernières en petits groupes, seulement 25 personnes sont autorisées en raison des couloirs peu spacieux et des pièces étroites. Enfin, l’organisation des visites est limitée par le manque de moyens humains dédiés, étant intégralement réalisées par une coordinatrice sur place et une vingtaine de bénévoles de l’association. Leur planning est rapidement saturé et d’ailleurs les visites scolaires ont dû être annulées.

Malgré tout, le succès est au rendez-vous avec plus de 3 500 visiteurs par mois et plus de 23 000 réservations. En dépit de la fréquentation des lieux, la friche artistique ne sera accessible que jusqu’au 31 décembre 2019, une fin que l’association aimerait reporter à un an pour prolonger l’aventure jusqu’en 2021. Cet urbanisme éphémère donne un certain espoir pour la transformation des villes, il attire et permet ainsi de créer un ancrage culturel local qui facilite le brassage de mixité et contribue à revitaliser la ville.

Une ligne artistique affirmée pour s’inspirer du génie du lieu

Quatre niveaux d’une programmation complexe pour un lieu de créations

Hiérarchisé en quatre niveaux, le bâtiment propose un rez-de-chaussée et trois étages. Chaque lieu a son intérêt. Ainsi, le RDC est “le niveau de création”. Chaque œuvre nécessite alors la validation de son projet, une composition dans une pièce. Au moins une trentaine d’artistes issus du monde du street-art y ont déjà participé. Plusieurs contraintes ont été imposées comme créer une œuvre en immersion dans le lieu, c’est-à-dire avec quatre murs, incluant le sol et le plafond, le tout sans toucher au mobilier ou apporter aucun élément extérieur. L’autre condition était d’apporter un lien avec l’histoire du bâtiment qui date des années 1980.

Au 1er étage, pour créer une œuvre, les artistes doivent proposer une note d’intentions. Le deuxième étage, quant à lui, propose une free zone où les artistes ayants demandé l’autorisation peuvent y avoir accès pour expérimenter. Et enfin, le dernier étage correspond au Bunker, la résidence des artistes où ils occupent un bureau privé dédié à la création et l’expérimentation.

Ainsi, les artistes occupent DéDalE de cinq jours à deux semaines, afin de créer une œuvre. Ce temps bien qu’assez court, leur permettent de rencontrer de nouvelles personnes, notamment d’autres artistes, grâce à la porosité du lieu qui facilite des échanges de techniques, et parfois même, des travaux menés ensemble. Ces rencontres sont parfois créatrices de synergies vectrices d’innovations artistiques, et la mise à disposition de pièces dédiées à la production artistique rend possible ces essais.

Cette organisation par niveau contribue par ailleurs à hiérarchiser les méandres du lieu, tout en apportant une touche secrète avec des zones inaccessibles, laissant libre cours à l’imagination des visiteurs.

Un art qui s’inspire de l’identité du bâtiment

Les pièces peintes par les artistes s’inspirent du lieu et créent une atmosphère de symbiose avec le bâtiment en friche. Cette ambiance prend sa source dans l’aménagement artistique proposé par l’association que s’est inspiré de l’image du labyrinthe pour rappeler le dédale de la mythologie grecque, autant que le dédale de l’administration qui occupait autrefois les lieux. Cloisonné et hiérarchisé, le bâtiment reflétait une organisation du travail taylorisée, comme on en fait de moins en moins aujourd’hui. Ces méandres, qui font penser à un labyrinthe, ont donc particulièrement inspiré l’équipe qui a alors choisi de le baptiser DéDalE, en référence à l’acronyme de la DDE (Direction Départementale de l’Equipement).

La visite laisse alors l’explorateur se perdre entre les couloirs et les pièces qui couvrent chacune un univers et une thématique en lien avec le travail, l’organisation ou encore les méandres évoqués par le lieu lui-même. Ainsi, l’artiste Astro propose des fresques qui jouent sur les illusions d’optique et fait référence à l’immersion dans l’œuvre et l’idée de se perdre, les pigeons blancs du duo HDL ou Hygienic Dress League (instragram: hygienicdressleague) symbolise ce que rejette la société, comme les SDFs ou les migrants, et l’envolée rappelle la liberté et dénonce les dérives, tandis que les ruches, quant à elles, rappellent l’organisation du travail. Le fil conducteur de tous ces univers se reflète dans les couloirs et les halls qui font les connections entre les différentes histoires à découvrir. Le choix de leur traitement veut que “la distribution et la division de l’espace” soit accentués. Le travail de Moyoshi, par exemple, s’inspire du port et représente trois bateaux amarrés sur le ponton. D’ailleurs, comme le bâtiment, les oeuvres sont toutes éphémères.

Entrée vers l’univers de la pièce rose imaginée par Steve et Dorota Coy de HDL, depuis le couloir gauche peint par l’artiste Moyoshi

Entrée vers l’univers de la pièce rose imaginée par Steve et Dorota Coy de HDL, depuis le couloir gauche peint par l’artiste Moyoshi ©Dédale

Entrée vers l’univers de la pièce rose imaginée par Steve et Dorota Coy de HDL, depuis le couloir gauche peint par l’artiste Moyoshi

Entrée vers l’univers de la pièce rose imaginée par Steve et Dorota Coy de HDL, depuis le couloir gauche peint par l’artiste Moyoshi ©Dédale

Pièce qui immerge le visiteur dans un vortex par Astro et ambiance de bureaux dans une pièce du rez-de-chaussé qui rappelle le passé administratif et bureaucratique par Karina

Pièce qui immerge le visiteur dans un vortex par Astro et ambiance de bureaux dans une pièce du rez-de-chaussé qui rappelle le passé administratif et bureaucratique par Karina ©Dédale

Pièce qui immerge le visiteur dans un vortex par Astro et ambiance de bureaux dans une pièce du rez-de-chaussé qui rappelle le passé administratif et bureaucratique par Karina

Pièce qui immerge le visiteur dans un vortex par Astro et ambiance de bureaux dans une pièce du rez-de-chaussé qui rappelle le passé administratif et bureaucratique par Karina ©Dédale

L’expérience artistique est donc immersive puisque d’une certaine façon, le spectateur interagit avec l’oeuvre dans le sens où il entre à l’intérieur de chacun des univers pour ressentir l’art et la patte des artistes. DéDalE est donc bien plus qu’un lieu dédié au street-art, même si le projet de l’association s’est originellement axé sur cet art de rue. C’est un lieu de création et d’immersion autour de l’art urbain et des cultures urbaines, et non pas un simple espace d’exposition.

DéDalE, un projet urbain éphèmère pour dynamiser un territoire ?

Trois piliers et une offre plus large pour un projet culturel robuste

L’équipe de DéDalE mena une réflexion sur la ligne artistique dès les premiers mois de 2018 pour déterminer un choix s’appuyant sur un triptyque visant à rendre le lieu convivial et attractif. Ainsi, ont notamment été décidés le développement du lieu de création qui correspond à la partie galerie du bâtiment, celui d’un lieu de vie qui s’incarne par le café accolé à la galerie, et un troisième axe qui s’appuie sur un lieu dédié à des événements pour l’accueil de concerts, de conférences et autres manifestations culturelles.

Le Dédale Café et l’espace évènement

Le Dédale Café et l’espace évènement ©Dédale

Le Dédale Café et l’espace évènement

Le Dédale Café et l’espace évènement ©Dédale

La richesse de ces espaces hybrides qui proposent une imbrication d’offres locales diversifiées contribue aujourd’hui au succès de ce projet, notamment en apportant des retombées sociales, avec la rencontre et la création de liens sociaux, économiques, mais aussi par le développement touristique. L’intérêt ? La naissance d’un véritable pôle culturel et créatif initié par la recherche artistique et la rencontre d’artistes venant des quatre coins du monde. D’autre part, un tel projet apporte un ancrage territorial qui structure le territoire grâce à la création d’un haut lieu culturel symbolique.

L’association a d’ailleurs articulé le projet autour d’une commission artistique, une commission évènementielle, une commission communication et une commission mécénat. Une gestion bien ficelée pour faire vivre ce lieu de vie culturel d’une taille assez exceptionnelle. Pour les financements, DéDalE s’appuie sur des mécènes et ne reçoit pas de subventions. L’intervention du privé permet cependant d’assurer la pérennité du projet, et sa subsistance économique, afin qu’il ne soit pas une source de dépense pour la commune.

L’éphémère, un atout pour attiser la curiosité et précipiter les foules

Le pouvoir d’attraction de DéDalE fonctionne en raison de sa temporalité. Voué à disparaître fin 2019, même si une reconduction pourrait être possible pour une année de plus, le lieu est à la fois récent, original et grandiose par son projet artistique d’envergure, mais aussi fragile par sa courte durée de vie. Sachant que le bâtiment sera désaffecté avant sa destruction dans le but d’accueillir un nouveau projet urbain, l’urgence de la visite contribue aussi à inciter les visiteurs à investir le lieu pendant son court temps de vie, raison suffisante pour le rendre particulièrement attractif. Cet aspect éphémère contribue alors à sauvegarder la mémoire du lieu le temps de la friche, et participe aussi à rendre le lieu “IN”.

Organiser des tiers lieux culturels associatifs et éphémères permet aussi de mobiliser des bénévoles et des associations dans des villes moyennes qui, sachant qu’un projet comme celui-ci est temporaire, peuvent se lancer dans l’aventure sans s’engager sur le très long terme. Cette temporalité permet ainsi de libérer l’investissement personnel des citoyens dans l’animation de leurs espaces publics, mais aussi de multiplier les initiatives et les évènements artistiques accessibles dans les petites villes moyennes. Cette nouvelle démarche participerait ainsi à redynamiser certains territoires en perte de vitesse.

La valorisation d’une friche pour relier le citoyen à la société

Ouvert aux citoyens de la ville de Vannes et plus largement des territoires qui entourent la cité médiévale, DéDalE participe à favoriser la rencontre et à créer du lien au sein de cette ville moyenne, pas particulièrement connue pour son dynamisme. Avec ce projet, le maire de Vannes s’attaque à la problématique du déclin des centre-villes en prenant le pari d’expérimenter une solution innovante afin d’optimiser un lieu en transition situé sur un emplacement stratégique et animé un espace urbain qui aurait dû être à l’abandon.

Ouvert depuis quelques mois, le tiers-lieu est le témoin de plusieurs réussites. Parmi elles, les visites qui réunissent des générations variées, allant des plus jeunes aux personnes âgées, en passant par les familles. Le succès de cette friche artistique vient aussi de sa culture artistique abordable et accessible puisqu’elle ne nécessite pas d’être expert pour comprendre le message des artistes, mais aussi de la gratuité des visites.

Par ailleurs, DéDalE cohabite avec un café/bar tenu par la fédération des commerçants du centre-ville. Il s’agit d’un acteur-clé dans la vie de ce lieu culturel puisqu’il en est le principal actionnaire avec les bénéfices du commerce reversés à l’animation du centre-ville de Vannes, créant ainsi une boucle vertueuse en faveur de la redynamisation du cœur de ville.

Pour compléter l’animation du site, des évènements tels que des conférences ou des concerts sont organisés, en ayant pour fil rouge l’art urbain qui rassemble tout le monde. Au programme, des artistes de rue comme des acrobates, ou même une compagnie d’art de rue. Ces événements participent à insérer des acteurs locaux dans l’animation du site et contribuent à favoriser la rencontre autour d’événements culturels variés.

DéDalE constitue donc l’un de ces lieux rares qui rassemblent et sont suffisamment attractifs pour que les visiteurs viennent de loin pour les découvrir. Site assez exceptionnel pour une petite ville moyenne, il apporte une attractivité singulière tout en contribuant à forger une identité forte. L’intérêt de ce projet repose également sur un financement solide permis par un mécénat. De quoi s’en inspirer pour expérimenter des projets dans d’autres petites villes moyennes et pallier, en partie, les difficultés qu’elles rencontrent.

Cependant, malgré son succès, le tiers lieu culturel reste par essence un lieu éphémère. Se pose alors la question de la pérennité des retombées positives, économiques ou sociales une fois un tel lieu démantelé ? Le projet urbain sera-t-il à la hauteur des ambitions, de l‘attractivité et du lieu de rencontre créés ? Parviendra-t-il à impulser un renouveau durable dans l’urbanité du centre-ville de Vannes ? Il sera intéressant d’analyser l’impact sur le long terme de ces lieux qui transforment temporairement les quartiers où ils s’implantent afin de savoir s’ils parviennent à imprégner les territoires et engendrer des dynamiques pérennes pour nos villes de demain.

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

pajak
3 mai 2019

bonjour
comment cette initiative s’inscrit-elle dans le cadre du grand projet vannes rive gauche?
cdl

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