De nouvelles atlantides : quand les villes sous-marines refont surface

Agriculture aquatique
19 Nov 2018

Source de fantasme et de légendes, la vie aquatique semblait encore inatteignable il y a quelques années. Or face à la pression urbaine et au changement climatique, on imagine toute sorte d’alternatives en rapport avec les océans. Cette grande étendue d’eau inexploitée nourrit les idéaux et fait naître des utopies de villes sous-marines, comme une réponse à des enjeux urbains toujours plus pressants et inévitables.

Le projet d’Ocean Spiral, un futur utopique pour les villes japonaises

Le projet d’Ocean Spiral, un futur utopique pour les villes japonaises © Shimizu

Le mythe de l’Atlantide est resté ancré dans l’imaginaire collectif depuis l’Antiquité. Prenant ses sources à l’époque de Platon, cette légende d’une cité en constante conquête de terres avait des fins moralisatrices. Sorte de rappel à l’ordre pour les simples mortels, la ville fut engloutie par les eaux après avoir subi la colère des Dieux : une fin tragique dont Athènes devait se prévenir. Entre le rêve d’une cité perdue à la civilisation très avancée et celui d’une société qui aurait franchi certaines limites, l’Atlantide reste sujette à de nombreuses interprétations et son récit nous parle encore aujourd’hui.

D’autres fictions ont bâti leur imaginaire autour des fonds marins, allant de cette fameuse citée engloutie aux mondes de Jules Verne, jusqu’à “La cité sous la mer” de Budd Boetticher. Et pour autant, la production cinématographique sur le sujet reste assez légère, ce qui peut notamment s’expliquer par le fait que les fonds marins très profonds restent encore un mystère pour nous, avec 75% des zones très profondes encore inexplorées. De manière plus concrète, les explorations et travaux de Jean-Yves Cousteau, précurseur des habitations sous-marines, puis par la suite, les nombreux documentaires sur les abysses, ont été et sont aujourd’hui des sources d’inspirations. Ainsi, fantasmé ou non, les exemples d’activités humaines sous l’eau ne manquent pas, d’ailleurs certaines techniques ont déjà été explorées lors de découvertes marines ou pour la survie de la Marine Nationale lors des deux guerres mondiales. Alors, en s’inspirant des techniques existantes, de l’imagination des architectes et des univers marins romancés, peut-on dire qu’il existe un idéal de ville sous-marine à atteindre ? Et est-il pertinent ?

Pour vivre sous l’eau, le défi des lois de la physique

Si la vie sous l’eau n’a pas eu de franc succès jusque-là, c’est qu’elle comporte beaucoup de contraintes. Pas des moindres, l’une de ces adaptations est liée au niveau de profondeur qui décidera du niveau de pression, une problématique pour les infrastructures et l’être humain. Plus la pression est forte et plus elle est dangereuse, notamment en ce qui concerne la dépressurisation. Une contrainte complexe qui dépend aussi du temps passé et de la profondeur. Ainsi, en raison du poids de l’eau et des contraintes métaboliques humaines, il faut penser des techniques évoluées comme celles des sous-marins militaires doté d’une pression atmosphérique.

Construire dans les fonds marins posent d’autres problématiques, comme la luminosité qui n’est pas toujours accessible, ce qui fait qu’il est peu envisageable de construire dans les abysses. Le choix des matériaux sous l’eau, ne peut par ailleurs être que plus restreint, avec par exemple une préférence pour le verre ou encore l’inox tous deux résistants à la corrosion.

En dehors des niveaux de profondeurs, s’adapter aux milieux climatiques du globe avec les variations de température d’un océan à l’autre jouant sur la présence d’espèces autochtones est une difficulté de plus. Enfin, les phénomènes aquatiques tels que les courants marins (Gulf Stream, El Nino) ne sont pas les mêmes partout.

Demain, des atlantides comme solutions aux risques ?

Malgré ces difficultés, des projets émergent. C’est notamment le cas de Ocean Spiral, une cité aquatique japonaise prévue pour à l’horizon 2030. Autant dire que le projet imaginé par la société de construction Shimizu semble moins utopique qu’on pourrait le croire. De la taille d’un village, pouvant abriter 4 000 personnes et les mettre à l’abri des catastrophes naturelles causée par le dérèglement climatique. À fleur de l’eau tout en prenant ancrage dans les fonds marins, telle une tour aquatique, elle fait office de connection entre la surface de l’eau et les fonds marins atteignant entre 1 500 et 4 000 mètres de profondeur. L’objectif est d’offrir aux japonais un havre de paix face à des enjeux de densité urbaine, d’espace et de risques naturels accrus (séismes, tsunami…).

Conçu par un panel d’architectes, d’ingénieurs et d’océanographes, ce projet doit ressembler à une ville terrestre. Ses habitants pourront bénéficier de l’ensemble des usages d’une ville à la surface avec logements, commerces, lieux de travail, qui en feront un univers urbain clos, dans une bulle. Un aspect étrange qui fait penser aux villes souterraines avec un esprit presque survivaliste. Autonome, elle fonctionnera à l’énergie thermique par l’exploitation des amplitudes thermiques entre les niveaux de profondeurs qui garantira une température de 20 degrés.

Pour ce qui est de la communication, le biomimétisme est à l’honneur en prenant modèle sur la communication en ultrason des baleines. Enfin, pour l’alimentation, la pression sous-marine permettra de dessaler l’eau et l’aquaculture nourrira les habitants. Bulle imaginée comme un incubateur de recherche scientifique pour exploiter intelligemment les océans, la société Shimizu précise également que le potentiel des eaux profondes océaniques reste inconnu à l’homme, puisqu’on le rappelle, environ 75% des océans restent inexplorés.

Mais ces infrastructures sous-marines soulèvent aussi des questions sur leur impact environnemental. Bien que la construction soit autonome et s’inspire de la nature, certains aspects de la structure entraîneront des perturbations. Selon le nombre de structures de ce type qui verront le jour, l’environnement marin et les espèces qui l’habitent subiront plus ou moins d’altérations. Par exemple, l’Ocean Spiral sera très lumineuse ce qui entraînerait un risque accru pour les écosystèmes si elles se multipliaient. De même, s’agrippant au sol des profondeurs océaniques, ces projets risquent de perturber la biodiversité des fonds marins.

Une présence humaine qui se ressent déjà de part la pollution plastique, la surpêche, le rejet de substances nocives dans les océans, et c’est déjà le cas de manière plus insoupçonnée, notamment avec la pollution sonore de nos villes qui interfère dans la communication des baleines qui peinent alors à se retrouver et à se reproduire. Ainsi, les espèces seraient d’autant plus menacées par un encombrement des océans. Or, rappelons que les coraux et autres plantes océaniques sont les premiers poumons de la terre après les forêts.

Des architectures urbaines aquatiques comme compromis aux cités profondes

Moins grandioses mais tout aussi importantes, des architectures urbaines aquatiques existent déjà et se multiplient pour répondre à des problématiques actuelles complexes. Parmi elles, l’Eurostar pour ses prouesses techniques de construction sous-marine qui ont permis de relier Londres à Paris, pourtant inaccessible jusqu’alors en dehors de la voie aérienne et maritime. Par ailleurs, les hydroliennes, comme les turbines sous-marines sont de bonnes alternatives existantes pour produire de l’électricité dans les villes littorales qui bénéficient de peu d’apports solaires et/ou de vent pour une production photovoltaïque ou par éoliennes.

En ce qui concerne les projets moins connus, on retrouve dans la baie de Noli des serres sous-marines sous climat tropical (température de 26 C° et un taux d’humidité de 83%). Des plongeurs y cultivent des fraises et des salades sous des cloches étanches. Ces Nemo-Gardens utilisent l’évapo-transpiration des plantes dont les gouttelettes glissent sur les cloches pour s’auto-hydrater et sans recours aux pesticides. Cette initiative est une alternative intéressante pour répondre aux défis de l’agriculture en milieu aride ou dans des milieux subissant des aléas climatiques, telle que les périodes de moussons ou de tempêtes. C’est donc une des réponses envisagées pour des pays où la pression hydrique est considérable et où l’un des enjeux majeur est de nourrir la population.

Agriculture aquatique

Agriculture aquatique © NemoGarden Project

Tous les projets démesurés de villes aquatiques mettent en avant un autre intérêt d’investir les fonds marins, celui d’étudier la faune et la flore marine : les ultimes “terres” inexplorées. Ainsi, quelques laboratoires ou centres d’observation et de recherche pourrait être légitimes pour les étudier, d’autant plus qu’ils sont très menacés par l’impact terrestre de nos villes ou par le chalutage de plus en plus profond. De plus, ces explorations des espèces abyssales pourrait permettre de développer de nouvelles techniques qui s’inspire du bio-mimétisme, en étudiant par exemple les palourdes ou les vers géants, encore peu connus mais qui recèlent de capacités hors normes. Cela pourrait permettre de trouver de nouvelles solutions d’adaptations à la vie sous l’eau, puisque ces espèces se sont adaptées à un écosystème très contraints, comme des fumeurs noirs, dans des environnements extrêmement hostiles, comme l’obscurité totale, des températures extrêmes ou de fortes pressions. Le projet SeaOrbiter créé par Jacques Rougerie est un exemple de station marine itinérante à la croisée entre un sous-marin et un hippocampe. Le projet est à l’arrêt faute de financements.

Bien qu’il semble improbable que demain l’humanité puisse réellement vivre sous l’eau des océans, les projets sous-marins sont loin de n’être qu’une utopie et seront probablement en lien avec le développement des îles artificielles. Les projets se profilent principalement à faible profondeur, pour bénéficier de la proximité des villes littorales, mais aussi garder leur tête hors de l’eau pour l’oxygène et la lumière.

Des contraintes qui n’effraient pas certains architectes et concepteurs qui s’intéressent de plus en plus à ce sujet et font émerger des projets ambitieux comme SeaOrbiter. Avec les avancées de la technologie, des matériaux et des techniques de construction, il est désormais possible d’imaginer des projets allant de simples bâtiments à des complexes multifonctionnels ayant la taille de villes entières pour habiter et vivre sous l’eau. Une urbanité fermée sur elle-même à cause des contraintes physique et qui, à l’image des villes flottantes, pose question quant au risque de reproduire les mêmes dérives que les cités terrestres.

Vivre sous la surface des océans pour des raisons scientifiques pourrait cependant permettre de mieux explorer ce milieu caché et peu connu : il s’agirait alors d’habiter ce milieu très contraint pour jouer un rôle d’observateur. Ces cités peuvent aussi être une réponse pour certains cas où les contraintes des milieux terrestres, comme les phénomènes de sécheresse ou les chaleurs extrêmes, sont telles qu’elles constituent un défi urbain d’ampleur. Les villes sous-marines sont donc un recours pour une urgence, au mieux temporaire, comme pour certaines villes littorales d’Afrique. Le milieu protecteur aquatique constitue aussi une plus-value par comparaison aux villes flottantes plus vulnérables aux conditions climatiques terrestres. Ainsi, bien que ces villes sous-marines multifonctionnelles aient davantage de chance de rester à l’état de projet, elles gardent le mérite de questionner l’avenir face à l’accélération du changement climatique. Qui plus est, le milieu océanique, doté de puissants courants marins, est une source d’énergie qui restera, avec la raréfaction des ressources terrestres, très convoitée dans les décennies à venir.

LDV Studio Urbain
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