De la Terre à la Mer, vers une conquête urbaine des eaux ?

Ferme flottante nouvelle génération
14 Nov 2018

Les architectes rivalisent d’idées pour imaginer des infrastructures flottantes qui permettront d’offrir une alternative aux populations victimes du réchauffement climatique et de la montée des eaux. Leurs propositions vont des maisons sur pilotis aux îles artificielles mobiles en passant par des quartiers flottants.

Ferme flottante nouvelle génération

Ferme flottante nouvelle génération ©Forward Thinking Architecture

Les premiers sur la liste à envisager des solutions architecturales aquatiques en réponse à la montée des eaux, pourraient bien être les îles Maldives et les îles Tuvalu, condamnées à disparaître d’ici un siècle. En allant plus loin dans les prédictions, ce sont la majorité de nos villes qui sont menacées : New York, San Francisco, Miami, Rio de Janeiro, Alexandrie, Tombouctou, Shanghai, Bangkok, Amsterdam et bien entendu Venise…

Parmi les architectures proposées, les îles artificielles répondent bien aux enjeux d’un engloutissement massif de nos villes. En effet, ces projections supposent que plusieurs dizaines à centaines de millions d’habitants perdront leurs habitations et les infrastructures qui vont avec d’ici à 2050, induisant ainsi une augmentation des migrations. Parallèlement à ce phénomène, des villes littorales de plus de 10 millions d’habitants, comme New York, coulent progressivement tout en étant déjà confrontées au manque de terrains constructibles. Alors, comment accueillir plus d’habitants avec moins d’espaces terrestres ? Les villes flottantes se présentent comme une solution à cette pression toujours plus forte. Mais au-delà de l’image  peut-on vraiment vivre sur l’eau, et si oui quels sont les caractéristiques de la réussite d’un tel mode de vie ?

Les îles flottantes, une réponse durable aux enjeux urbains contemporains ?

Pour l’ingénieur civil Rutger Graal et un des fondateurs de l’agence Blue21, l’un des défis contemporains est de désengorger les villes terrestres, déjà polluées à outrance et de limiter leur expansion en colonisant le vaste espace des océans. Bien que l’idée de désengorger les villes pour lutter contre la pollution soit louable, il est utile de rappeler que la mer n’est pas si vierge qu’il le prétend étant déjà victime de nombreux pillages dus à la surpêche dont les conséquences se traduisent par la destruction des fonds marins. D’après le WWF : “les pratiques de pêche actuellement privilégiées sont responsables d’environ 38,5 millions de tonnes de prises accessoires chaque année”. Sans parler de la pollution que nous infligeons à ces écosystèmes, autant par les hydrocarbures du fait de nos déchets, notamment plastiques, qui envahissent toujours un peu plus ces milieux marins. Finalement vivre sur la mer ne serait viable qu’à condition de ne pas reproduire les dégradations et les dérives faites sur Terre.

Mais comment ? Vivre sur l’eau répond peut-être à des problématiques liées à la bétonisation des terres et à la disparition progressive de la biodiversité, mais cela ne répond pas à celles des activités économiques qui doivent alimenter les populations, qu’elles vivent sur les océans ou sur la terre ferme. Demain, les peuples installés sur l’eau vivront-ils uniquement des ressources marines dont l’écosystème est déjà fragile ou faudra-t-il aussi penser des infrastructures flottantes pour les activités agricoles ? Plus largement, comment intégrons-nous dans nos réflexions pour des villes sub-marines, les activités humaines comme la santé, le logement, les infrastructures ?

Le développement du projet « floating towns » proposé par Karina Czapiewska, Rutger de Graaf et Bart Goeffen aux Pays-Bas répond à une de ces problématiques en proposant le déplacement des terres arables vers la mer, afin de produire différents types d’algues et de poissons. Ainsi, la pisciculture deviendrait durable produisant des déchets organiques source de nutriments pour les plantes, ce qui permettra au reste de l’océan de se transformer en réserve naturelle pour la biodiversité marine et de limiter ainsi l’éradication des espèces.

Un projet similaire de fermes flottantes capables de produire 8000 tonnes de légumes et 1700 tonnes de poissons par an pour une surface de 200x350m a été présenté par le collectif Forward Thinking Architecture, à la fois pour répondre à la demande alimentaire croissante et pour limiter la consommation d’énergies fossiles engendrée par l’importation. L’idée est de répondre à des problématiques environnementales comme les sécheresses et les inondations, sans pour autant remplacer l’agriculture traditionnelle. De plus, cette ferme nouvelle génération est autonome en énergie avec un dernier étage recouvert de panneaux photovoltaïques, producteurs d’énergie solaire. Productive, écologique et permettant l’autosuffisance alimentaire, ce type de ferme flottante pourrait être un bon complément à la vie terrestre.

Cet exemple relève aussi du défi de la capacité énergétique que nous devons prendre en compte dans la conception des villes flottantes. Généralement à ciel ouvert avec un bon accès à la lumière, les cités flottantes peuvent s’autogérer par les énergies renouvelables. S’ajoutent aux panneaux photovoltaïques, les éoliennes et les hydroliennes qui peuvent participer à l’autonomie énergétique grâce aux vents et courants marins. Plusieurs projets de ce type comme Artisanapolis, une ville flottante et modulable proposé par l‘institut Seasteading, sont autonomes, notamment sur l’alimentation, l’énergie et la mobilité. Ces concepts de villes sur les eaux sont attractifs pour répondre à des enjeux croissants de sécurité alimentaire, d’autant plus s’ils sont autonomes en énergie et permettent de répondre à une demande plus locale.

Ainsi, ces villes flottantes ne sont intéressantes que si elles réussissent à répondre à l’ensemble des enjeux de développement durable auxquelles les constructions terrestres doivent déjà répondre. Mais, construire sur la mer ne se fait pas selon nos méthodes habituelles et implique un mode de vie très différent. Pour la mobilité par exemple, il s’agit aussi de la réinventer afin par exemple de trouver des alternatives à la circulation carbonée que représentent les bateaux à moteur, avec par exemple l’utilisation de la voile ou de véhicule à rame. D’autres exemples se profilent comme dans la baie Okinawa au Japon, où un projet ambitieux avec des îles reliées par un train à grande vitesse avait été proposé, ou encore dans les champs pétroliers où la solution a été de relier les plateformes entre-elles par des passerelles. Il faut donc prendre en compte le milieu et s’assurer que les infrastructures, même si elles répondent à des enjeux urbains contemporains, n’entraînent pas de nouvelles problématiques.

La mer, nouvelle limite à l’expansion des villes

À Lagos, l’école flottante Makoko pensée par l’architecte nigérien Kunlé Adeyemi de l’agence NLE pour les enfants du plus grand bidonville flottant du monde, s’est malheureusement effondrée au bout de trois ans en raison de fortes pluies de mousson.

Avant et après les pluies torrentielles de l’école flottante à Makoko

Avant et après les pluies torrentielles de l’école flottante à Makoko ©PUNCH

Ainsi, les constructions flottantes rencontrent des défis d’architecture et de construction, notamment lorsqu’il s’agit de faire face à des catastrophes naturelles comme la mousson, les inondations, les marées, les tempêtes, les cyclones ou les courants marins qui demandent de s’adapter à un environnement parfois hostile et méconnu.

Par exemple, en haute mer, les conditions météorologiques nécessitent de prévoir des protections de 15 à 20 mètres. Des solutions sont déjà proposées par certains prototypes de villes flottantes. L’ingénieur Rutger Graal, cité plus haut, propose d’installer des brises lames pour protéger ces villes, comme c’est le cas de la ville d’Artisanapolis qui possède une grande digue comme protection. Pourtant, ce type d’infrastructures risque de coûter très cher, et ces contraintes de milieux mettent au défi les concepteurs, d’innover en termes de matériaux et de fonctionnement.

C’est une solution plus terre à terre que propose l’agence NLE, qui avait conçu l’école flottante nigérienne, afin de s’inscrire dans une démarche plus actuelle et plus poussée de construction de villes africaines aquatiques (African Water Cities) : des habitations flottantes ont été imaginées avec une technologie permettant d’activer un compresseur gonflant alimentant une chambre à air sous la plateforme des maisons. Sorte de maison-bouée, ce système permet ainsi de s’adapter à la fluctuation du niveau de l’eau et de limiter les dommages pour les populations locales des lagunes. Là encore, le manque de financement n’a pas permis à l’agence d’avancer sur ce projet.

Projection d’une communauté flottante à Makoko

Projection d’une communauté flottante à Makoko – © NLE

Les villes flottantes font donc face à des enjeux de contraintes de milieux, de prix et de développement durable. Pour atteindre tous ces défis, les concepteurs se doivent de penser différemment, que ce soit sur la forme du bâti, l’utilisation des matériaux ou les techniques utilisées, afin de s’adapter au moins à des conditions très différentes de celles de la terre ferme. Ainsi, certains concepts d’îles artificielles usent du biomimétisme comme Lylipad qui s’inspire des nénuphars, ou la Cité des méridiens par Jacques Rougerie qui prend la forme d’une raie Manta. En copiant la nature, les villes flottantes pourraient bien pallier certaines contraintes de ce milieu si particulier.

Les matériaux indispensables pour la flottaison et la vie en mer sont des matériaux légers, imperméables, solides et résistants aux UV pour une meilleure longévité. Il existe déjà des matériaux favoris comme le polystyrène qui permet la flottaison et l’étanchéité, mais aussi le polyester (notamment utilisé dans Lylipad) solide et peu onéreux, ou encore le béton de résine, ultra résistant.

Pour répondre à un manque d’espace et à l’augmentation de la population, une solution moins onéreuse à court terme est envisageable, celle de l’identification d’emplacements protégés aux eaux, plus ou moins calmes, permettant ainsi d’éviter des surcoûts liés à la protection physique de ces quartiers. À Monaco, la pression foncière incite à déjà concevoir des quartiers sur l’eau et la principauté envisage même de mettre en place un POM (Plan d’Occupation de la Mer) pour faciliter l’insertion de ces projets architecturaux à proximité des terres. Si ces constructions aquatiques et les POM se démocratisent, il est probable qu’à long terme ces espaces subissent également une sorte de pression foncière.

En résumé, les méthodes de construction varient d’un prototype à un autre mais n’entraînent pas les mêmes coûts. Selon les enjeux, le risque est donc de voir apparaître des projets inabordables pour la majeure partie des populations. Ainsi, ces projets d’îles flottantes ne se limitent-ils pas à des îlots-laboratoires isolés élitistes ? Dans une seconde partie, nous questionnerons ce modèle urbain qui a de nombreuses réalités concrètes et qui prend notamment de l’ampleur dans certains pays contraints comme le Pays-Bas.

LDV Studio Urbain
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