À la découverte du paysage urbain des villes qui rétrécissent

Crédits : zeitfaenger.at - “Wait here !” (Italie)
3 Mar 2016

Il est un phénomène urbain dont on parle peu, et qui pourtant risque d’être de plus en plus prégnant avec le temps. A l’heure où tous les regards sont braqués sur les grandes métropoles globalisées, certains paysages urbains prennent en effet le chemin inverse. A cause de crises économiques ou démographiques, ces villes… rétrécissent presque littéralement. Un drame urbain qui méritait un coup de projecteur, car c’est peut-être le futur annoncé de notre Europe vieillissante…

Shrinking cities”, villes de crises

Le rétrécissement des villes, du moins dans son acception récente, décrit un processus urbain vieux de quelques décennies et indubitablement lié à la crise économique post-industrielle. Le terme “shrinking city”, littéralement « ville rétrécissante », a d’abord été utilisé pour décrire certaines villes nord-américaines suite aux crises pétrolières des années 1970. Comme l’explique l’indispensable plateforme Géoconfluences, le « rétrécissement » d’un paysage urbain se caractérise par la collusion de trois facteurs dont on comprend aisément la complémentarité :

« rétrécissement démographique, par la perte de population ; économique, par la perte d’activités, de fonctions, de revenus et d’emplois ; et social, par le développement de la pauvreté urbaine, du chômage et de l’insécurité. »

Et ce rétrécissement de paysage urbain est loin d’être négligeable dans le contexte de la Rust Belt, marqué par l’hyper-concentration d’activités industrielles spécifiques. Les villes de Baltimore, Cincinnati et Philadelphie « ont ainsi perdu plus de 20% de leur population entre 1970 et 2000 ; Détroit, Cleveland, Pittsburgh et Buffalo plus de 30% et St Louis 44 % », soulignant l’importance de ce phénomène dans le paysage étasunien. Compte-tenu des différences structurelles avec les contextes européens (malgré des processus de désindustrialisation similaires), la formule a mis un certain temps pour franchir l’Atlantique et irriguer la pensée urbanistique locale. Mais la crise des subprimes et les drames urbains qui ont suivi, en particulier à Détroit, ont conféré une audience élargie à ce terme, aujourd’hui utilisé pour décrire des situations urbaines parfois éloignées des définitions d’origine (voir dans les liens complémentaires en fin d’article).

La France loin d’être épargnée

Car le concept de « ville rétrécissante » résonne aussi en Europe, et pas uniquement dans les bassins industriels frappés par les crises. Un passionnant article du Monde, publié au cœur de l’été 2015, s’en faisait ainsi l’écho : malgré la pénurie de logements que connaissent les grandes métropoles françaises, certaines villes de l’Hexagone doivent démolir des habitations et parfois même des quartiers entiers, suite à la désaffection des habitants. Selon le chercheur Nicolas Cauchi-Duval, maître de conférences à l’Institut démographique de l’université de Strasbourg, près de 300 aires urbaines de France ont perdu des habitants entre 2006 et 2011 (sur les 771 aires urbaines que compte le territoire), « principalement des villes de petite ou moyenne importance, notamment de jeunes ménages, au profit des métropoles. »

Ce phénomène serait en effet le revers de la médaille de la « métropolisation » de nos pays industrialisés, où les grands paysages urbains s’affrontent à grand renfort de city-branding pour attirer les jeunes couples et les fameuses classes créatives. L’idée est en effet si évidente qu’on en viendrait presque à l’oublier : les villes sont telles des vases communicants, quand l’une se remplit, l’autre se vide forcément :

« Dans ces villes, les logements vides attendent leurs occupants, y compris dans le parc social. Mais faute de candidats, il faudra démolir. Jusqu’ici, le sujet était tabou chez les bailleurs sociaux et chez les élus. Les premiers ont du mal à admettre que l’avenir n’est pas pavé d’inaugurations d’immeubles neufs. Les seconds ne veulent pas entendre parler de déclin, mais plutôt de… ‘territoires détendus’. »

Crédits : zeitfaenger.at - “Wait here !” (Italie)

Le changement du paysage urbain résultat du rétrécissement des villes

Mais à chaque mauvaise nouvelle son contrepoint :

« La France n’est pas le seul pays confronté à cette forme d’exode, à ces villes qui rétrécissent. Comparée aux Etats-Unis ou à l’ex-Allemagne de l’Est, elle a été touchée plus tardivement, analyse Sylvie Fol, géographe et professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il faut prendre acte de cette décroissance démographique, l’accompagner et améliorer le cadre de vie de ceux qui restent. »

Par corollaire, la France pourra s’inspirer des “bonnes pratiques” observées dans les territoires déjà frappés par le phénomène. En regardant outre-Atlantique ou outre-Rhin, évidemment… mais pourquoi pas encore plus loin ?

La solution venue d’Orient ?

S’il est un pays qui connaît le sujet, c’est bien le Japon. L’archipel, connu pour le vieillissement drastique de sa population (on compte près de 271 000 habitants de moins que l’an passé, et la décroissance s’accélère depuis 2005), est en effet confronté à un inquiétant phénomène de désertification urbaine, en particulier en territoires ruraux. Forcément, divers acteurs publics ou privés y vont de leurs petites solutions pour juguler cet état de crise urbaine. Les promoteurs immobilier sont notamment en première ligne, par exemple pour réhabiliter les huit millions de maisons vides (“ayika”) qui parsèment l’archipel. Et les plus optimistes y voient un motif d’espoir pour réinventer les structures urbaines du pays, en retrouvant une densité perdue après des décennies d’étalement urbain :

On the other hand, the akiya are an opportunity — and not just a business opportunity, but a chance to reimagine Japan’s postwar culture of disposable housing and suburban sprawl. The akiya are a symbol of decline, yes, but they may also be the path to a better future.

D’autres profitent du vide laissé par la dénatalité et l’exode vers les grandes métropoles pour imaginer de nouvelles formes de loisirs. Ainsi, un article du Yomiuri Shimbun (malheureusement réservé aux abonnés) nous apprenait récemment que certains touristes partaient faire… du camping dans les écoles depuis désertées de leur enfance ! Dans la lignée de l’urbex, pratique semi-illégale consistant à s’aventurer dans les bâtiments abandonnées, les territoires en friches connaissent ainsi un certain regain de vitalité grâce à ces pèlerinages post-modernes. Surtout qu’à la différence de l’urbex, ces périples légaux permettent in fine de réinjecter de l’argent dans les collectivités laissées pour compte.

A défaut de redonner véritablement vie aux villes rétrécies, cette forme de « nostalgie » a au moins le mérite d’alerter l’opinion publique japonaise sur les conséquences urbanistiques de la crise démographique qui touche le pays. Une revitalisation touristique susceptible d’inspirer notre propre continent, qui risque d’être tôt ou tard confronté à des phénomènes similaires ? La morale japonaise nous enseigne en tous cas qu’une ville qui rétrécit n’est pas forcément une ville qui disparaît : elle peut être le point de départ d’une nouvelle forme d’urbanité. Mais le prix à payer en est toutefois bien élevé…

Pour aller plus loin :

{pop-up} urbain
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