Dans les coulisses de la rénovation énergétique

MAXPPP
6 Jan 2021 | Lecture 6 min

Enjeu majeur des réductions d’émissions carbone, la rénovation énergétique des bâtiments est débattue depuis une dizaine d’années en Europe sans parvenir à trouver de consensus. Alors qu’un rapport allemand publié cet été pointait l’inefficacité des investissements allemands, une petite remise au point s’impose.

340 milliards d’aides pour rien… Le constat semble sans appel. Début octobre, un article du Monde relayait un rapport de la GdW, la fédération des bailleurs immobiliers professionnels en Allemagne. Celui-ci conclut que sur les dix dernières années, les aides mobilisées par l’Allemagne pour la rénovation énergétique des bâtiments n’auraient pas eu d’effet sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment. Des conclusions assez inquiétantes, qui amènent le président de la GdW à demander un changement de cap. Engagée dans la rénovation énergétique depuis plus longtemps que la France, l’Allemagne nous donne-t-elle ici un avertissement ?

Le premier consommateur d’énergie en France

Commençons par un petit récapitulatif. « Les bâtiments sont responsables de 36 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne et de 28 % en France, en tenant compte des émissions indirectes liées à la production d’électricité et de chaleur » rappelle le Haut Conseil pour le Climat dans son dernier rapport sur la rénovation. Outre les émissions, le bâtiment est le premier consommateur d’énergie finale en France (44%), devant les transports (31%). « Les systèmes de chauffage, premier poste de consommation des bâtiments, demeurent largement carbonés (principalement gaz naturel et fioul domestique) » précise le HCC.

La France s’est engagée avec la Loi Énergie Climat à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Elle poursuit donc des objectifs ambitieux de rénovation de son parc immobilier mais accuse déjà un certain retard sur ceux-ci. « L’objectif est que l’ensemble du parc bâti soit au niveau BBC en 2050 explique Olivier SIDLER, porte-parole de l’association Negawatt. Ce sont 22 millions de logements qui datent d’avant 2000 à rénover en 30 ans. Cela donne 700 000 logements à rénover par an au niveau BBC pour respecter les contraintes climatologiques. Aujourd’hui on en rénove 30 000 par an. »

Ce combat homérique doit-il être abandonné au regard du rapport de la GdW ? Loin de là, à en croire Olivier SIDLER, pour qui le rapport est biaisé puisqu’il émane d’une fédération de bailleurs. « C’est la pire des sources sur ce sujet-là » assène l’ancien consultant en rénovation énergétique. Profitons-en pour rentrer un peu dans les coulisses de la rénovation…

Monica Silvestre/Pexels

Monica Silvestre/Pexels

Le dilemme bailleur locataire

Surpris par l’article du Monde, Andreas RÜDINGER s’est penché sur le rapport en question. Consultant indépendant sur les questions énergétiques, le franco-allemand est chercheur associé à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI). Pour lui, le biais est effectivement le premier problème : « C’est naturel qu’il y ait différents acteurs et différentes visions là-dessus, mais leur positionnement n’est pas du tout anodin. Ce sont des acteurs qui possèdent un parc de bâtiments. Ils sont dans un dilemme bailleur locataire. C’est-à-dire que le bailleur fait des investissements pour l’amélioration de la performance et le locataire en tire les bénéfices sur sa facture d’énergie. Sauf à augmenter les loyers, les bailleurs ont l’impression de se retrouver perdants. »

Mais d’après Andreas RÜDINGER, l’agence allemande de l’énergie DENA a démontré sur la base de projets existants que l’on pouvait atteindre cet équilibre. « On peut faire une répartition des coûts et des bénéfices qui permet d’augmenter le loyer dans des proportions égales ou inférieures aux économies d’énergie générées. »

Guerre de chiffres

Une autre difficulté tient selon Andreas RÜDINGER à faire parler les chiffres. Le rapport utilise des bases de données « corrigées des variations climatiques », c’est-à-dire qu’il utilise une méthode statistique pour compenser les variations annuelles de températures. « Pour des hivers très froids, on va mettre un facteur de compensation qui va diminuer la consommation réelle par mètre carré pour la ramener à un climat harmonisé. » Courante, cette opération peut surestimer l’effet météorologique, en « donnant une vision un peu trop favorable des années très froides et beaucoup plus défavorable pour les années avec un hiver doux. »

« Quand on prend des données réelles (non corrigées des variations climatiques), on a une image qui est très différente. On a même l’impression que les choses vont plus vite depuis 2010. » Après s’être penché sur les chiffres des deux périodes étudiées par le rapport (1990-2010 et 2010-2018), le consultant parvient à un tout autre résultat : « si on se base sur les données réelles, le rythme d’amélioration de la consommation énergétique par mètre carré est beaucoup plus rapide pour la deuxième période. »

Cette guerre de chiffres sur l’effet météorologique n’est pas anecdotique. Mesurer l’efficacité d’une rénovation implique de maîtriser de nombreux facteurs : les caractéristiques du bâtiment, celles de la rénovation, le comportement de l’usager et un ensemble d’aléas extérieurs comme la météo ou le prix de l’énergie. Cette complexité alimente les débats et les guerres de chapelle.

Rebond ou amorti ?

Invoqué dans le rapport de la GdW, l’effet rebond est une grande inconnue de la transition énergétique. Cette théorie énonce que toute optimisation de l’efficacité énergétique d’un produit généralise son utilisation, et augmente finalement les émissions. « Dans l’article on mobilise l’effet rebond sans aucune étude, sans aucune donnée à l’appui. Le fait est qu’on a très peu d’études qui vont essayer de mesurer et quantifier l’effet rebond parce que c’est très compliqué, en particulier dans le bâtiment » résume Andreas RÜDINGER. Un écart entre la performance anticipée et la consommation d’énergie réelle peut venir d’un aléa comportemental, mais aussi d’un mauvais calcul ou d’une mauvaise réalisation technique dans la rénovation. Par facilité, on aura tendance à dire que c’est la faute de l’utilisateur.

Le chercheur présente le cas d’un foyer modeste qui se priverait de chauffage pour faire des économies : « Si après la rénovation, le ménage adopte le comportement normalisé, on peut avoir moins d’économie d’énergie que ce qui était espéré. Ce n’est pas parce que le ménage se comporte mal, c’est parce qu’il a réduit sa privation. Cela crée un effet rebond mais en réalité c’est un gain de confort qui est souhaitable. Ce n’est pas la même chose que ce qui est dit dans l’article avec des ménages qui se chauffent à outrance. » Selon l’ADEME, 12 millions de personnes vivent en situation de précarité énergétique en France.

« L’effet rebond est un peu l’argument facile pour expliquer des choses que l’on n’arrive pas à expliquer. L’étude oublie de prendre en compte que le coût du fioul a nettement baissé depuis la crise de 2008. Aujourd’hui, il est 30 à 40% plus bas qu’il y a 10 ans et cela joue sur les consommations. Il y a un effet rebond, il ne s’explique pas à cause des mauvais investissements sur l’efficacité énergétique, mais plutôt par la non-gestion politique des prix de l’énergie. »

L’horizon électrique

Actuellement, l’Allemagne et la France ont pourtant une politique de rénovation similaire, elle consiste à l’incitation financière des ménages par « petits pas ». C’est-à-dire que les propriétaires ne sont pas incités à rénover en une fois, mais progressivement  : une année ils changeront les fenêtres, une autre la chaudière… D’après le HCC, cette approche n’est pas satisfaisante. Olivier SIDLER abonde dans ce sens : « Ça coûte 20 à 30% plus cher et c’est souvent mal fait. Après les travaux il reste plein de trous dans la raquette. Les interfaces entre les lots ne sont pas traitées, personne ne coordonne les différents ouvrages… Le résultat c’est que ça ne marche pas suffisamment. » Sur ce point, la préconisation du HCC est de simplifier les aides et de les conditionner à l’atteinte d’un niveau de performance. La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) va plus loin en proposant l’obligation des rénovations globales d’ici 2040.

Maria Sofia/Pexels

Maria Sofia/Pexels

Une autre idée fait son chemin : décarboner le secteur du bâtiment par l’électrification. Pour freiner au plus vite les émissions, il suffirait de remplacer les systèmes de chauffage polluants (fioul, bois et gaz) par de l’électrique. Cette idée est recommandée dans le rapport de la GdW, et en France, elle a été proposée par le gouvernement dans le cadre de la réforme du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), la fameuse étiquette qui attribue une couleur à un logement selon son efficacité énergétique.

« C’est un argumentaire très présent en France, observe Andreas RÜDINGER. On électrifie tout, si besoin on installe quelques centrales nucléaires en plus et on aura réglé le problème du climat. C’est assez problématique. Si au nom du climat on remplace les chauffages au fioul par des chauffages électriques, c’est peut être une solution à bas coût pour réduire les émissions, par contre vous plongez une bonne partie des ménages en situation de précarité énergétique. » En effet, pour des besoins équivalents, les factures des logements chauffés par convecteurs électriques sont 2 à 3 fois plus élevées que celles des logements utilisant d’autres modes de chauffage.

« Aujourd’hui le prix de l’énergie est associé à la couleur de l’étiquette DPE, détaille Olivier SIDLER. Demain, dans la même étiquette vous pourrez avoir un chauffage électrique et un chauffage au bois ou au gaz, donc des coûts qui varient de 1 à 3. Le particulier va se faire avoir. C’est catastrophique sur le plan social, catastrophique sur le plan énergétique car cela provoquera des pointes de consommations très fortes en hiver, et surtout, on n’avance pas sur la rénovation. » Douze organisations dont Négawatt viennent justement de publier une tribune alertant sur les risques de cette réforme du DPE.

Usbek & Rica
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