Dans le quartier fragilisé d’Amsterdam West, la démocratie participative comme clé de transformation ?
Phénomène de ghettoïsation et d’exclusion, insécurité croissante et pauvreté urbaine, le quartier d’Amsterdam West a concentré pendant de nombreuses années des difficultés sociales et urbaines. Pour lutter contre ce phénomène, pacifier les espaces, changer l’image dégradée de certaines zones délaissées et (re)créer du lien entre les habitantes et habitants du quartier, la municipalité a fait le choix d’investir dans la démocratie participative.
Une stratégie payante qui a permis aux populations locales de s’approprier davantage leur lieu de vie, de contribuer à l’animation mais aussi à la gestion de leur quartier et de réduire l’insécurité au sein des zones concernées. L’objectif de la municipalité étant également de créer les conditions favorables à l’émergence de projets locaux autonomes.
Une nouvelle stratégie territoriale pour Amsterdam West
Sur bien des aspects, la ville d’Amsterdam est aujourd’hui présentée comme un exemple réussi de gestion urbaine durable, du modèle pérenne de la mobilité active, de conservation du patrimoine architectural, ou encore de participation habitante. Et Amsterdam West, l’une des sept divisions administratives qui façonnent la capitale néerlandaise, s’inscrit aujourd’hui en cohérence avec ses ambitions et politiques urbaines malgré un contexte de pauvreté.
Composée de près de 135 000 habitants, cette zone, la plus dense de la métropole, a concentré pendant de nombreuses années des problématiques de précarité, d’exclusion et d’insécurité, qui ont progressivement fragilisé les populations habitantes. Des difficultés sociales, urbaines et financières dont la nouvelle municipalité, associant le parti travailliste PVDA, les écologistes et une formation sociale-libérale, a voulu se saisir. Cette coalition, élue en 2010 à la suite du nouveau découpage territorial du Grand Amsterdam, avait pour objectif commun de déployer la démocratie participative sur le territoire, afin de réactiver les quartiers en perdition.
En décalage avec d’autres districts attachés à une tradition historique de planification néerlandaise et une approche top down, la municipalité d’Amsterdam West innove et propose un mode d’administration basé sur la théorie du spill-over. Aussi connue sous le nom de théorie fonctionnaliste et généralement utilisée dans les relations internationales, le spill-over part du principe que “les nécessités de la base entraînent la création d’institutions au sommet pour les satisfaire”. Et de ce fait, favorise l’implication des citoyennes et citoyens dans le développement et dans la vie de la cité.
Une nouvelle représentation des agents publics dans l’espace urbain
La nouvelle coalition porte alors une initiative ayant un triple objectif : “rendre aux citoyens le goût du « vivre ensemble », mettre la sociabilité au service du développement de services autogérés ; limiter et rationaliser l’intervention des pouvoirs publics”. Naturellement, les différentes équipes qui ont travaillé sur cette expérience inédite de démocratie participative ont adopté une démarche, des méthodes et des outils originaux et peu conventionnels pour y parvenir.
Afin d’assurer la prise en compte des besoins locaux et attentes de chaque habitante et habitant, la municipalité a divisé la zone Amsterdam West en différents quartiers au sein desquels a été mobilisée une équipe, composée d’un fonctionnaire responsable, d’un agent de police, d’un éducateur et d’un spécialiste de services sociaux. Des premières études sur chaque quartier ont été menées, basées principalement sur des statistiques. Ce travail a seulement permis d’initier les étapes suivantes, qui représentent le cœur du projet : le terrain.
Les responsables de chaque équipe ont ainsi pu délimiter des zones stratégiques, des espaces dégradés peu ou au contraire très fréquentés, et se sont par la suite rendus sur place, dans leur quartier respectif. Installés sur des bancs publics, mais aussi allant faire du porte à porte, l’idée était d’interpeller les passants, les habitants, les usagers de ces espaces urbains, de les questionner sur leurs besoins, leurs ressentis, sur le lien qu’ils entretenaient avec leur quartier. Afin de dépasser la seule concertation, le rôle des fonctionnaires était également d’identifier des initiatives citoyennes émergentes ou de potentiels projets locaux que des habitants, collectifs ou associations pourraient vouloir développer au sein de la ville.
Pour cette étape, il était essentiel de rendre visible le fonctionnaire dans l’espace public. De cette manière, les habitants ont pu littéralement voir les personnes du service public, dédiées à la vie de leur quartier, et leur implication dans le développement participatif de chaque zone d’Amsterdam West. Cette logique, de rendre visible le débat public et la parole habitante au cœur de l’espace public, n’est pas isolée. Des assistances à maîtrise d’usage s’emparent aujourd’hui de cette méthode, afin de faciliter et légitimer la participation citoyenne au sein de la fabrique urbaine. C’est notamment le cas de Comm1possible, dont l’idée ingénieuse a été de concevoir et fabriquer un mobilier urbain, la nacelle, dédiée à stimuler l’intelligence collective et aux interactions sociales bienfaitrices et créatrices pour nos villes.
Se rendre donc visibles dans un premier temps, mais aussi et surtout, se rapprocher des habitantes et habitants de chaque quartier, tel est l’objectif à atteindre. Les équipes mobilisées ont en effet tenu à instaurer une relation de confiance, de proximité et de dialogue avec chaque personne habitant, travaillant ou investissant l’espace urbain. Pour concrétiser cette ambition et poursuivre leurs missions, les équipes se sont chacune installées dans un logement social ou une maison de jeunes, des espaces délaissés par les acteurs locaux. S’éloigner hors de leur bureau traditionnel et de la vision administrative symbolique de leur fonction a naturellement permis de renforcer cette relation de confiance et de proximité.
L’empowerment : un outil pour faire émerger des usagers-acteurs ?
En France, cette logique de proximité a été initiée dans les quartiers en politique de la ville avec la mise en place d’une gestion urbaine de proximité. La démarche consiste à faire remonter les problèmes que les habitants peuvent rencontrer dans l’espace urbain au quotidien à un agent public. Cet agent se rend alors sur place, analyse le terrain et se saisit du sujet, puis le transmet aux services ou institutions concernés, et assure son traitement. L’objectif est donc d’assurer un suivi fréquent de l’évolution de la vie du quartier et une présence du service public sur le terrain afin de résoudre de potentiels litiges ou dysfonctionnements. Une approche qui diffère cependant de la démarche adoptée par la municipalité d’Amsterdam West, davantage centrée sur l’accompagnement de projets locaux, avec une approche sensible, immersive, visant à l’autonomisation des habitants dans la vie et la gestion de leur quartier.
En effet, toutes les étapes et actions citées précédemment, de terrain et d’engagement des équipes au sein de locaux vacants des quartiers concernés, ont été menées, certes, pour que les agents publics puissent mieux comprendre les réalités locales et par la suite s’adapter au contexte et aux ambitions citoyennes, mais surtout pour créer les conditions favorables à l’émergence de projets locaux autonomes. L’un des enjeux du projet initial était bien de réduire l’institutionnalisation, de passer d’une logique top down à une logique bottom up, et de redonner de ce fait le pouvoir d’action, voire de décision, aux habitants. Marjolaine Koch, journaliste pour La lettre du cadre, écrit à ce sujet : “L’équipe se positionne en support, pour aider à la constitution de communautés locales d’entraide et d’échange de services. Un processus d’empowerment qui peut rapidement dépasser la création d’entraide locale pour s’intéresser également à l’orientation du budget municipal”.
Cette logique d’empowerment a aujourd’hui véritablement porté ses fruits. Comme nous l’explique l’étude de la fondation Jean Jaurès, cette ambition de développer la démocratie participative et de rendre les habitants acteurs du développement, de l’animation et de la gestion de l’espace urbain s’est concrétisée dans plusieurs quartiers. La zone de Bos-en-Lommer, par exemple, était autrefois caractérisée par la densité et la dégradation de son parc d’habitat social, et par des projets locaux qui n’aboutissaient pas. Les agents publics investis sur le terrain ont alors initié une collaboration entre la ville et une société de gestion de logements, afin de rénover et réactiver les espaces délaissés. Des artistes locaux se sont appropriés les lieux pour proposer des prestations culturelles, à destination des enfants, en échange d’un faible loyer. Appréciant la démarche et la nouvelle atmosphère ambiante créée, les habitants se sont progressivement associés aux artistes pour développer une large gamme d’activités et réactiver ainsi leur quartier.
Dans la zone de Baarsjes, une association locale est même allée jusqu’à se transformer en PME spécialisée dans le secteur de la petite restauration, et a, de cette manière, contribué à relancer le dynamisme économique du territoire, tout en participant à créer des liens fédérateurs entre les acteurs locaux.
La socialité : moyen ou finalité de la démocratie participative ?
Et c’est finalement cet aspect, la rencontre, la (re)connexion entre les habitantes et habitants d’un quartier, entre les commerçantes et commerçants, entre les associations artistiques et les collectifs sportifs ou culinaires qui dynamisent et activent une ville. L’étude de cas d’Amsterdam West démontre bien, que la démocratie participative, l’implication habitante, la démarche bottom up sont des actions nécessaires à l’émergence de territoires plus inclusifs, plus concertés et ancrés dans la réalité, mais ne suffisent pas à créer des villes vivantes. C’est aussi et surtout par l’entente et par l’entraide des acteurs locaux qu’un quartier gagne en vitalité et attractivité.
Dans la zone de Landlust, la dégradation des espaces publics avait favorisé le développement d’une certaine forme de délinquance et un sentiment d’insécurité, voire de méfiance des habitants envers les jeunes du quartier. Après avoir finement analysé le terrain et rencontré les personnes concernées par ces dynamiques, les agents publics ont lancé un projet de réaménagement du site et la création d’une maison de quartier au sein de laquelle l’équipe s’est installée de manière pérenne, afin d’être au plus près des habitants.
Cette maison de quartier est devenue “le lieu de rencontre d’une association de mères qui ont renforcé leurs liens en allant chercher les enfants. Dans ce contexte, plusieurs projets permettant le développement de services locaux autogérés ont été lancés : une bourse de vêtements qui fonctionne à partir d’un mécanisme de troc, un service de restauration” nous informe la fondation Jean Jaurès. Cette démarche, accompagnée d’une certaine médiation par l’équipe chargée de la démocratie participative sur la zone, a également permis la rencontre des commerçants et des jeunes du quartier. Certains d’entre eux ont par la suite été embauchés par les mêmes commerçants qui s’en méfiaient auparavant. En plus d’incarner un moyen de faire participer les habitants à la vie de la cité, la démocratie participative est également un formidable outil pour relancer des formes de socialité en ville.